20/06/2007
Une vie de chien (2) Mauvaise passe
Bref, après nous être ratés samedi, au retour de Cincinatti - une escapade qui ciblait les soldes annuelles de Design Within Reach, mais qui parvint tout de même à faire un détour par le très beau musée de la ville, sur Mount Adams -, cela faisait une belle occasion de retrouvailles avant le départ prochain de Camille.
La conversation fusait ainsi de toutes parts, comme à l'accoutumée, au sujet des différences entre la France et les Etats-Unis, le français et l'anglais, les nuances et autres tournures idiomatiques des langues, que tous pratiquent en double. Dans le feu de la conversation, et pour honorer mon "Raymond Reserve", Mark nous a même ouvert un château La Lagune 1995 - un crû que je n'avais pas eu l'occasion de boire depuis la Nouvelle-Calédonie, soyeux à souhait. Une petite merveille.
Et puis soudain, alors que nous nous acheminions tranquillement vers le moment de nous séparer - et nous, d'aller finir la soirée au Club 185 à l'angle de Livingstone et de Mohawk, je me sens un peu humide du bas de pantalon. J'y regarde de plus près, intrigué. Un verre d'eau que j'aurais renversé sans m'en rendre compte ? Une vaguelette de la piscine, juste derrière, poussée par une rafale de vent ? Une manifestation de joie mal maîtrisée ? La quarantaine qui approche à grands pas ?...
J'aperçois alors, planqué entre Mark et Amy, Joe, un autre caniche - décidément - mais qui m'était a priori plutôt sympathique celui-là, qui se met soudain à fuir mon regard, genre "j'ai fait une connerie mais bon, là où je suis, ça va pas être facile de m'attrapper cowboy".
Je dois traverser une mauvaise passe.
Je finis par émettre l'hypothèse, au milieu de cette conversation policée, que Joe venait, selon toute vraisemblance, de m'humidifier le jarret. Et de bon coeur vu que, non content d'avoir aspergé le droit, il s'est aussi offert le gauche et les pieds de la chaise par la même occasion. Cela même, notons-le en passant, à un moment où j'étais en train de le caresser distraitement en m'efforçant de trouver une explication à la sous-climatisation de notre pays - clairement, il n'y aura pas d'amélioration significative des relations transatlantiques tant qu'on n'aura pas trouvé de solution à ce problème, à côté duquel la guerre en Irak paraît tout de même une aimable broutille.
Naturellement, pour ne pas aggraver davantage la détérioration des relations franco-américaines, et face à l'embarras manifeste de Mark et Amy, je relativise alors l'incident : "Mais non, pensez donc ! ce n'est vraiment rien. Au contraire, ajoutè-je (mais c'était peut-être un peu trop, à la réflexion), je suis même tout honoré de cette marque d'affection que vient de me manifester Joe avec beaucoup de zèle".
Silence intrigué de nos hôtes qui me trouvent soit très diplomate, soit vraiment bizarre comme type. Mark, qui finit par réprimander Joe pour la forme, hésite de son côté entre deux explications. Ou bien Joe voulait marquer son territoire à l'égard d'un étranger. Ou bien il m'aimait vraiment beaucoup.
Là dessus, pour rétablir l'équilibre de cet excès de diplomatie, j'avance que, si Joe m'a en effet témoigné son amitié de cette manière originale et néanmoins chaleureuse, alors je ne voudrais pas paraître ingrat. Et de proposer de lui rendre la pareille. Nouveau silence, gêné cette fois. Sans doute chacun doit-il se représenter la scène, ou s'interroger sur des coutumes françaises encore mal connues à ce jour dans le Midwest. Las, nous passâmes à autre chose et il fut d'ailleurs bientôt temps de prendre congé de nos hôtes.
Tout ceci ressemble tout de même clairement à un complot de caniches dans le quartier à mon égard. Des représailles graduées, peut-être même bien massives, s'imposent. Certes, le sort du ramasse-miettes d'à-côté est désormais scellé : je m'en vais lui concocter une baballe en acier inoxydable à 12% de nickel avec autant d'application que met Mel Gibson dans Patriot à fondre ses balles pour l'armée de Sa Majesté.
Mais pour Joe, il va falloir à la fois ruser et faire un exemple, faute de quoi ma vie sociale va devenir un enfer ici. Je pourrais gentiment proposer, un de ces jours, de garder Joe : et si, par mégarde ou inexpérience avec les bêtes, je lui faisais faire un petit tour de machine à laver, avant de le réchauffer au micro-ondes ? Après tout, si l'urine est canine, l'erreur est humaine.
22:44 Publié dans Jours tranquilles à German Village | Tags : chiens, mel gibson, électro-ménager, nickel, grands crus, relations franco-américaines | Lien permanent | Commentaires (1)
Une vie de chien (1) L'art de la guerre
Tout se présentait pourtant bien l'autre soir. Mark et Amy nous attendaient, un peu plus bas, sur City Park Avenue pour un apéritif qu'au lieu d'aller prendre au bar de Lindey's nous acceptâmes bien volontiers de prendre sur la terrasse qui borde la piscine derrière leur maison. Soit. Je m'empresserais donc, tandis que les filles commenceraient à papoter, à retourner chercher un "Raymond reserve" à la maison - un nom au pittoresque indéniable, au moins ici, qui fait aussi un crû plus qu'honorable de la Nappa Valley.
Seul inconvénient : la manoeuvre m'oblige à repasser devant le voisin côté nord. Le problème, ce n'est pas lui - il est seulement impotent et un peu sourd, donc inoffensif n'était sa maison blanche dont je n'aime pas du tout les reflets bleutés. C'est son chien, une saleté de caniche gris avec des poils on dirait des plumes, qui me couvre d'aboiements inamicaux chaque fois que je passe. Je sais, c'est ballot et cela témoigne, dans une certaine mesure, à la fois d'une vision du monde égocentrée et d'un manque de sang-froid.
Mais ces piaillements de roquets, comme dirait Chirac à Fabius, que je prends sans doute à tort de façon trop personnelle, ont vraiment le don de m'énerver. D'ailleurs, l'autre jour, devant une nouvelle bordée d'aboiements stridents, et profitant que son maître avait le dos tourné, je lui ai balancé un caillou qui traînait devant la barrière.
Une vieille manie : plus jeune, j'avais ainsi profité que tout le monde avait le dos tourné lors d'un repas dominical chez mes grand-parents, pour balancer sur les cyclistes qui participaient au criterium de la Saint-Barthélémy et qui passaient en bas du jardin, tout ce que j'avais pu trouver dans le placard de la cuisine (oeufs, liquide vaisselle, etc).
A mon avis, les coureurs ne s'en sont toujours pas remis. Mamie Jeanne non plus d'ailleurs, qui cherche toujours, une bonne trentaine d'années plus tard, les produits disparus dans le placard désordonné de ses souvenirs. La honte, c'est quand ils sont venus m'en reparler le lendemain - pourquoi moi ? - et qu'il m'a bien fallu, après un interrogatoire serré, passer aux aveux sans que personne n'envisage une seconde de m'appliquer le VIe amendement. Ah ! Cruelle justice. On aurait dit Guantanamo la maison, ce jour-là.
Et là, zut ! Canichou, je le rate. Techniquement, je m'en veux un peu : je n'étais pas très loin et, ancien handballeur approché pour passer en filière sport-études, je manque rarement ces coups-là. Bien sûr, il y avait la difficulté, non négligeable, de trouver le bon angle à travers la barrière. Peut-être aurait-il fallu désaxer davantage le tir, et ne pas vouloir d'un seul coup lui dégommer les dents et lui boucher la glotte en libérant toute la puissance du shoot. C'était ambitieux mais, avec une seconde de concentration en plus, c'était jouable, je crois.
Toutounet a tout de même senti passer le vent du boulet - un avant-goût de la lucarne que je lui mettrais la prochaine fois dans son neurone. Et d'autant plus dissuasif qu'à défaut d'avoir le chien, j'ai tout de même dégommé la Sainte-Vierge qui trônait au fond du jardin - le fracas plus le vent, ça l'a changé des petites tapettes sur la tête, à mon sens, un peu trop complaisantes, de son maître quand il dépasse vraiment les bornes. Etant donné qu'il n'a pas eu le temps de faire la relation entre le lancer du caillou et le salto arrière de la Sainte-Vierge, il a dû se dire, si ça se trouve, ce type est vraiment très fort - peut-être un nouveau Révérend Farewell dans le quartier -, et ça lui a donné à réfléchir.
D'ailleurs, si Dieu existe, ce dont m'assure la plupart de mes nouveaux amis américains avec lesquels je ne souhaite pas me brouiller en masse trop vite - l'Humanité étant ce qu'elle est, ces choses-là viennent bien assez vite comme ça et après quand ça dégénère, tout peut arriver, je le vois bien dans Les bienveillantes -, il ne devrait pas apprécier et, avec un peu de chance, Dieu, il lui mettra la foudre, les sauterelles, les serpents, les grenouilles, et une petite une bombe H pour être bien sûr, au chien, pour le prochain orage, et je ferai d'une pierre deux coups.
Faudrait voir à ne pas me sous-estimer dans le coin, je peux faire dans la stratégie de haut vol - et, que les choses soient claires, ce n'est là qu'une modeste illustration de mes capacités.
15:15 Publié dans Jours tranquilles à German Village | Tags : amérique, dieu, chiens, révérend farewell, irak | Lien permanent | Commentaires (1)
11/06/2007
Les geraniums ou le cancer ? (un malheur ne vient jamais seul)
Non mais, il ne se paierait pas un peu ma tête, le Phil, des fois ?
L'autre jour, lors d'une escapade éclair à la maison entre Cup O Joe, North Market et l'aéroport de Dayton, je le vois - allez, à 85 ans bien sonnés - monté sur une malheureuse caisse en plastique orange (c'est son côté MoDem) en train de trifouiller au-dessus de la fenêtre de la maison d'à-côté, qu'il loue d'ailleurs - il fallait bien une exception dans le quartier - à un sale type.
Malgré la voiture mal garée, le moteur en marche et l'ordi resté au coffee shop, je ne pouvais pas le laisser comme ça, Phil. Mettons qu'il se soit ramassé : qui c'est qui aurait dû nettoyer le trottoir ? Quitte à ce que le bon voisinage crée des obligations, autant choisir la moins salissante.
Et alors là, voilà qu'il se met à m'expliquer qu'en fait il cherche à planter de petites fleurs dans la jardinière de la fenêtre, qu'il me remercie de mon aide, et qu'il me serait d'ailleurs très reconnaissant de bien vouloir les planter à sa place. Et de me la laisser bien volontiers, sa place, en commençant à me donner les directives pour une plantation appropriée.
Bon. Passons sur le fait de me donner des directives, comme ça, de but en blanc, sans me laisser le temps d'adhérer au projet. Admettons aussi qu'on appelle ça effectivement des fleurs, ici, ces plumeaux rouges atrophiés (en fait, une variété de Celosia dénommée "Kimono Red"). Mais dis-moi, mon petit Phil, entre nous, est-ce que j'ai une tête à planter les geraniums américains ? Est-ce qu'il a bien regardé le mien, de jardin, ou en plus d'être sourd, il a eu myope aussi comme cadeau, au dernier Thanksgiving, le Philou ?
Mon jardin... Rien que d'y penser, ou plutôt rien que de penser au dernier devis que m'a passé le paysagiste du coin, ça me donne envie de pleurer. Il n'a manifestement pas saisi, le paysagiste, qu'on ne souhaitait pas tout de suite deux piscines, trois garages, un studio d'enregistrement, un héliport, et aussi une clinique pour les premières urgences tant qu'on y est, c'est quand même vite arrivé de nos jours, le cancer de la bite, comme dirait Lefty Ruggiero à Jo Pistone dans Donnie Brasco, au prix d'un petit relâchement lexical dont la reprise ici, j'en conviens volontiers, ne fait pas plus honneur à la science médicale qu'au sens des convenances.
Je me demande bien ce qui est pire, à cet égard, avoir des geraniums ou le cancer ? Mettons le cancer, mais c'est vraiment pour dire. A tout prendre, et bien que l'on n'ait généralement guère le choix en ces matières délicates, le mieux serait peut-être le cancer à la fenêtre et des geraniums aux parties - un peu comme Adam, en plus fleuri.
Cela dit bien, d'ailleurs, à quel point nous ne sommes pas sortis du combat titanesque, et peut-être sans issue, entre le Bien et le Mal malgré les efforts de W à Bagdad ou, aussi bien, les miens à Columbus à travers un récit qui, pour paraître ordinaire, n'en revisite pas moins d'un même élan, comme on va le voir, la théorie levinassienne du visage d'autrui (mettons ici sa face de rat) comme responsabilité, la sociologie du voisinage et notamment les principales conclusions de l'Ecole de Chicago, ainsi que les relations transatlantiques, tout en s'offrant même le luxe d'un petit détour didactique par la technique botanique - tout arrive.
Le lecteur me pardonnera cet écart à la règle, toute d'humilité, que je me suis pourtant imposée dans ces colonnes : je ne résiste pas, à l'appui de ce propos, à redonner l'avis que s'apprête (sauf changement de dernière minute) à en publier Scott Horton dans le prochain Harper's que l'auteur vient gentiment de me communiquer : "Au-delà d'un récit faussement anodin, une puissance indéniable. Une écriture holistique en diable. Sans doute une des contributions les plus maîtrisées du moment à ce qu'il est désormais convenu d'appeler la "littérature monde".
Merci Scott.
Bref, si on observe un moment mon jardin, donc, et cela même furtivement, et si on ne tient pas plus que ça par ailleurs à créer les conditions d'une tuerie genre Virginia Tech en pire dans ce quartier paisible, ça ne peut tout de même pas venir à l'idée, de me proposer de planter des kiromoniums.
Et ben lui, oui.
Que faire ? Se pose alors (je décompose pour la beauté du geste, mais tout cela va, en réalité, et comme dans vie elle-même, très vite), se pose donc la question, toujours délicate, de l'arbitrage en situation de dilemme moral. Je ne peux tout de même pas l'abandonner comme ça, après lui avoir si généreusement proposé mon aide (encore qu'il me faille reconnaître avoir hésité faire demi-tour lors que je m'apprêtais à monter dans la voiture).
Je ne peux pas, non plus, juste avant qu'il n'en descende, donner un petit coup de pied, discret, dans la caisse en plastique pour provoquer un malheureux accident : mon voisin d'en face venait d'éclairer la veille les relations de bon voisinage d'un jour nouveau en confessant qu'il s'agissait aussi, dans cette affaire, de veiller les uns les autres sur nos biens respectifs, et que certaines femmes âgées s'étaient d'ailleurs faites une spécialité de cette surveillance assidue jusqu'à tout récemment dans le quartier.
D'ailleurs, je n'y ai pas pensé tout de suite non plus, à l'idée de l'accident. Pas davantage à le poignarder sauvagement avec un stylo comme Joe Pesci l'inconnu qui lui manque de respect au début de Casino, en invoquant après coup une crise de démence - je n'avais pas non plus de stylo sur moi.
Ne restait plus donc qu'à m'exécuter. Je monte sur cet escabot de fortune et en plante une. C'est laborieux, je manque écrabouiller cette saleté de pâquerette en voulant la faire pénétrer dans la terre, ça me prend un quart d'heure au lieu des dix secondes qui eussent été normalement nécessaires : mais j'y arrive. Presque fier, mais surtout énervé. Parfois, c'est impressionnant comme je parviens à masquer mon agacement sous un sourire hypocrite, à peine figé d'un léger rictus - adolescent, j'aurais pourtant juré ne jamais en arriver à ces extrêmités philosophiquement regrettables.
Et c'est le moment qu'il choisit, Philou, pour m'indiquer, un peu plus loin, le bac avec tous les autres plants qu'il s'attend manifestement à me voir mettre en terre avec le même entrain - et une dextérité améliorée, autant que possible. J'éprouve alors une seconde de rage contenue, ou plutôt à demi contenue vu l'allure du deuxième geranium après que je l'eus gaillardement enfoncé la tête la première histoire de communiquer une émotion floralo-morale.
Oui, le lecteur le sent, peut-être même le sait-il, je connais par métier, sinon par talent, la puissance de la communication non verbale à forte intensité démonstrative, comme par exemple dans le jeu de "tu me tiens, je te tiens par la barbichette" que j'ai pratiqué plus jeune avec, il est vrai, un succès inégal (il faut dire, et cela n'a rien de personnel contre mamie Jeanne, que c'est tout de même un peu con ce jeu), contrairement au jeu de "tête à claques" dans lequel j'excellais davantage bien qu'il ne valût guère mieux.
Au lieu de quoi, il me suggère de sortir de terre ce deuxième plan et de le replanter un peu plus loin dans la jardinière. Mais dis-moi, Phil, me dis-je alors en mon for intérieur, ça te dirait peut-être bien, après tout, d'en goûter un de geraniumodo ? Non, la seule issue que je trouve alors, c'est de lui expliquer que je suis vraiment extrêmement pressé et que, s'il le veut bien, je mets de côté les geraniums à la maison et je les planterai un peu plus tard. - " Perfect ! rebondit-il illico, so I can go back home right now !". Et d'emporter son tabouret de fortune du même élan.
Avec ces conneries, j'ai failli me tuer en revenant de l'aéroport de Dayton, tout ça pour expliquer à temps que ces fleurs ne trônaient sur le plan de travail de la cuisine américaine que comme qui dirait par accident et qu'il n'entra à aucun moment dans l'esprit de quiconque d'en faire cadeau à quelqu'un à la maison. Il ne se rend plus compte, Phil, mais on a vu des types se faire découper en rondelle pour moins que ça. Du coup, je me suis empressé de repasser les fleurs au voisin dès le lendemain. Ah ! son sourire ravi, et le mien, fielleux à souhait - un beau moment d'authentique fraternité.
Le pire dans cette affaire, c'est qu'une semaine plus tard, ce matin-même, par un magnifique dimanche ensoleillé, peu de temps après que j'eus croisé Mark qui portait Joe, son chien, chez une amie avant de monter avec Amy à Cleveland en allant chercher une baguette française chez Katzinger, il nous demande cette fois, le Philou, si des fois ça ne nous dérangerait pas d'arroser ses fleurs tous les soirs, maintenant que le voisin les a plantées.
Mais, j'y pense, il ne le connaît peut-être pas le jeu de "tête à claques", Philou ; ça lui dirait, des fois, une petite partie ?
19:49 Publié dans Jours tranquilles à German Village | Tags : modem, cancer, jeux, guerre en irak, levinas, littérature monde | Lien permanent | Commentaires (1)
31/05/2007
Bienvenue au zoo (les heures supplémentaires ne font pas le bonheur, même défiscalisées)
A German Village, qu'on se le dise, l'animal est roi. Et d'abord le chien, naturellement. Il y en a ici de tous les formats, de tous les âges et de toutes les couleurs - Bullmastiffs, Chow Chows, Epagneuls tibétains, Welsh Corgi Pembrokes, Rhodesian Ridgebacks, et j'en passe - tous chouchoutés d'un même élan new age. Des petites personnes bien comme il faut - pas un pet de travers - et traîtées comme il se doit, entre dog-sitters, toiletteurs, traiteurs et psychologues dédiés.
Un domaine - la psychologie canine - dans lequel j'estime toujours avoir mes chances bien que mon savoir, en la matière, soit essentiellement intuitif. Qu'importe : le vrai génie canin se contrefiche de l'académisme, il invente de nouvelles théories, propose une vision, ouvre des perspectives, bâtit un projet. Et fait adhérer la communauté canine à son programme pour lequel, naturellement, une majorité s'avère nécessaire, vu que sinon on pourra pas tout faire ce qu'on a dit pour créer de nouvelles niches défiscalisées et continuer à mener cette vie de chien comme si le chien chinois, dit de la houpette à poudre, ne menaçait pas déjà, à nos portes, cet édifice patiemment construit d'attentions raffinées.
Je le sens bien, ils ne vont pas tarder à voter ici, les chiens. Visionnaire (on le sait), inspiré (c'est moins reconnu), je me prépare.
Mais, le truc le plus nouveau, ici, ce ne sont pas les chiens, ce sont les écureuils. Au début, j'ai crû qu'ils passaient ici par hasard, limite pour jeter un oeil aux nouveaux non millionnaires du quartier - ce serait presque méprisant comme animal, l'écureuil.
Mais non, ça passe, ça repasse, et dans tous les sens en plus, à l'envers, à l'endroit, ça se course, ça sautille, ça chahute sur les arbres, les fils électriques, les escaliers, les parterres. Et encore, je vois pas tout. Il faut dire que je n'ai pas que ça à faire, non plus, faut quand même pas déconner.
Il y a un économiste qui soutenait récemment qu'avec le malheur de la faim dans le monde et notamment des heures supplémentaires non encore défiscalisées, il manque un peu de contemplation dans nos existences. Un beau métier, économiste, il faudra que je reconsidère ma position adoptée, sans doute un peu hâtivement il y a une quinzaine d'années, après les explications de Fitoussi sur le modèle IS/LM.
En tout cas, je m'inscris d'ores et déjà dans cette nouvelle tendance économique visionnaire : un quart d'heure d'écureuils par jour, et hop, le tour est joué. Après ça, on peut dépecer la planète et écraser ses voisins, on se sent tout de même mieux, plus aériens, enfin en paix avec soi-même.
Cela dit, j'ai comme l'impression qu'ils s'en foutent un peu, les écureuils, de la contemplation. Non, ce qu'ils veulent, eux, c'est de la noisette fraîche, et de la bonne. Des vrais drogués. Au début, je lâchais bien de temps en temps une croûte de fromage - de chez Wholde Food Market -, voire une chute de pizza - même provenance, ça rehausse tout de même la beauté du geste. D'ailleurs, comme je n'avais pas encore détecté l'hyménoptère dans les parages, je me disais que ça mangeait quand même beaucoup comme bestiole, la fourmi américaine. Une stupide erreur de diagnostic qui, sans aller jusqu'à m'empêcher de dormir, m'a tout de même laissé perplexe quelques jours.
Petit à petit, j'ai commencé à balancer de la noix de cajou, de l'amande et même, tout récemment, de la pistache. C'est drôle la pistache, surtout quand ils montent aux arbres avec - il y en a un qui s'est fait une espèce de fauteuil, là, sur une demie branche surplombant le jardin - vu qu'il leur faut d'abord écarter les deux coquilles tout en conservant la pistache à l'intérieur.
C'est technique. L'écureuil qui a un CAP, il s'en sort. Mais le malheureux qui a fait Centrale, HEC ou Science Po, il est cuit : quand la pistache s'ouvre, il perd la coquille et la pistache avec. Et, il faut bien le dire, il a l'air un peu ballot, après ça, à regarder partout, le sourcil froncé, genre : c'est qui qui m'a piqué ma noisette ? Je me demande même s'il ne serait pas un peu soupçonneux à mon égard, dans ces moments-là, l'écureuil qui a fait Science Po. Où ça mène l'avidité. Il n'y a décidément aucun esprit de corps dans cette école.
D'ailleurs, quand j'en fait trop pleuvoir, de la noisette, ils essaient chacun d'en ramasser le plus possible, les goinfres - ça castagne un peu, par la même occasion et, à mon avis, il y a aussi un problème de parité, chez eux, aggravé par un problème de chapardage de noisette tout de même assez rustre - vu qu'il reste difficile de faire les courses et de manger en même temps. Ils enterrent ensuite leur butin où ils peuvent, en espérant que leurs potes ne les voient pas, ce qui est bien sûr une illusion, vu que tout finit par se savoir dans le quartier, je le sais, en Nouvelle-Calédonie c'était pareil. Pire peut-être.
Et puis bon, un jour, ça a fini par m'énerver ce défilé zoologique, du coup, je leur est livré en pâture une poignée de Haribo épicés de toutes les couleurs (un truc réellement inmangeable, acheté par erreur chez Giant Eaggle). Pas de bol, ils ont clairement eu l'air d'en raffoler. Je ne sais pas quel genre d'ingrédients psychédéliques ils mettent là-dedans chez Haribo mais, au vu des effets secondaires apparents, ça fait quand même peur.
Il y en a même un, le lendemain, qui s'est mis à boulotter les fleurs qu'on avait laissées sur la terrasse - de somptueux oeillets blancs que nous avait offerts Fred, le voisin de derrière, pour Memorial Day. S'il a vu le carnage en passant, il a dû se dire qu'on était vraiment des sales types - il a tout de même libéré la France, en 44, le Fred, et d'ailleurs, on dirait qu'il n'a pas lâché sa casquette de Commander in Chief depuis - ou alors qu'on adorait les oeillets à un point qu'il ne soupçonnait pas. Voire qu'on avait vraiment très faim.
C'est sans doute cette dernière option dont, localement, la malséance le dispute à l'exotisme, qu'il a retenue : le lendemain, il nous invitait à un apéritif avec les francophiles du quartier. On a évité de se jeter sur les petits fours pour infirmer la thèse de la faim ; du coup, je ne suis pas sûr que nous n'eussions commencé à accréditer celle de la soif.
Si la vie est un confluent de dilemmes qui finissent par se noyer dans une vallée de larmes, après tout, autant que ça soit dans la Sonoma.
En tout cas, je leur passerais un ou deux comprimés d'ecstasy à la place, aux écureuils, que ça serait pas pire. Des vrais maboules. Mettons qu'on se fasse un ou deux petits écureuils au barbecue un de ces jours, il faudra quand même bien faire attention à en choisir un élevé au maïs et à la noisette fraîche, sinon, je ne réponds plus de rien, ça pourrait bien nous faire vraiment bizarre, à nous aussi, le Haribo épicé, par contrecoup.
01:40 Publié dans Jours tranquilles à German Village | Tags : animaux, chiens, écureuils, nouvelle-calédonie, science po, hec, lsd | Lien permanent | Commentaires (0)
30/05/2007
Qui veut rêver de gagner des millions ? (ma vie matérielle)
Mais c'est un vrai quartier de millionnaires, ce coin de German Village, qui d'ailleurs, comme tout quartier de millionnaires qui se respecte, devrait n'accueillir que des millionnaires. Il va falloir que je leur en parle, à mes nouveaux voisins.
Il faut toujours dire la vérité.
C'est ce que m'a appris mon père, à huit ans, lorsque l'on est allé habiter à la campagne et que j'ai raconté à tout le monde que j'étais champion de karaté. Il faut dire que je trouvais ça un peu ballot, comme idée, d'habiter la campagne, cauchoise en plus comme campagne - finir déjanté comme Maupassant, merci bien. D'ailleurs, à certains moments, ça n'a pas dû me passer bien loin, la déraison et, aujourd'hui encore, il y a des fois où je dois rester bien concentré pour ne pas m'emmêler les synapses.
Bref, j'ai dû surcompenser. Je faisais même des démonstrations de maniement du fouet - une technique chinoise ancestrale, comme chacun sait - devant mes nouveaux amis ébahis.
N'importe quoi.
Comme à l'école primaire, quand j'entraînais derrière moi toute la cour de récréation dans le rôle de Napoléon. Un soufle incontestable. C'est beau, l'enfance d'un chef. Ou que je mettais la foule en transe dans des concerts de rock mimés au coin de la cantine avec mon copain Christophe Lias (que je mettais au fond, à la batterie). Je crois bien qu'on a inventé une nouvelle langue par la même occasion, dans une sorte de no man's land linguistique entre le français et l'américain (il n'y a tout de même pas de hasard), avec peut-être aussi une petite pointe de swahili de temps à autres - ça fait toujours chic un petit laïus sur les racines africaines des mélodies endiablées dans les interviews d'après-concerts, dans le journal de l'école, en sirotant une grenadine au bord de la piscine municipale.
L'esperanto, à vrai dire, on s'en foutait un peu. L'essentiel, c'était de faire vibrer la foule. Ce qu'a d'ailleurs, plus tard, confirmé sans ambages mon thème astral des éditions Marabout selon lequel j'avais une relation privilégiée à la femme, à l'enfant - et à la foule. Et aussi que j'étais un amant remarquable, je n'invente rien, je veux dire, c'était incontestablement écrit par les gars de Marabout qui devaient quand même s'y connaître sur le sujet, sinon ils auraient pas fait écrivains chez Marabout. C'est d'ailleurs à ce moment-là - une mauvaise passe - que j'ai trouvé ça pas con, l'astrologie, ça me revient maintenant.
N'empêche, l'ivresse de la scène, les enfants, c'est vrai que ce n'est pas donné à tout le monde, mais c'est tout de même quelque chose.
Tout ce succès ne m'a d'ailleurs pas empêché de rester un garçon très accessible par ailleurs. J'ai su garder la tête froide. Un vrai gentleman, simple, avec toujours un mot gentil pour ses fans. Surtout pour Anne et Nath, je n'ai jamais pu réussir à choisir entre les deux. J'ai vu plus tard que Ray Charles avait eu le même problème, ça a fini par m'aider, cette proximité, je ne dis pas de nos talents - Ray déclinait un peu à l'époque tandis que j'étais en pleine ascension à l'école Henri Cahan - mais au moins de nos dilemmes, même si ça a pris du temps.
Mais, à la différence de Ray, j'ai évité la coke. Le talent musical avec, mais déjà, avec un dilemme, j'ai du mal, alors avec deux en même temps, il aurait fallu qu'en plus de la coke, je me mette à la sophrologie et j'ai toujours trouvé ça un peu fantasque, comme discipline, la sophrologie. Moins rigolo que la dianétique en tout cas, bien que je ne sois pas très calé non plus en dianétique.
Bref, comme il n'était pas encore fermement établi, à l'époque, que je fusse vraiment visionnaire - et cela bien que j'eusse tout de même fini, quelques années plus tard, par me commettre sur les tatamis de l'Université de Mont-Saint Aignan au cours d'une première année universitaire aussi brillante sur le plan intellectuel que lamentable sur le plan administratif (j'y reviendrai si le lecteur le souhaite, ça éclairera d'un jour neuf le débat, parfois un peu technique il faut bien le reconnaître, sur la réforme de l'Université) -, mon père a suggéré que je dévoile le pot aux roses.
- Père, vous n'y pensez pas ? (On pourrait pas trouver un petit arrangement, genre, je tonds la pelouse ou j'arrête de torturer ma cousine, et on n'en parle plus ?). Mais non, Père, qui condamne l'esbroufe par tempérament plus encore que par philosophie, resta inflexible. Je dois dire que j'ai un peu ramé après ça pour redresser mon image, la vache. Et ça n'a pas été la dernière fois.
Mais tout ceci ne nous avance guère : comment je fais, moi, maintenant, pour leur avouer qu'on n'est pas millionnaires, à mes nouveaux voisins ? Dans la campagne cauchoise, passe encore, surtout entre Criquetot Isneauville et Hautot-le-Vatois : il n'y en a pas un qui est assujetti à l'ISF, une vraie misère, c'est pas comme entre Baons-le-Comte et New York, par exemple.
Mais ici, ça va faire tâche, je le sens, ils voudront plus me parler mes voisins. Pourtant, moi, je ne suis pas sectaire, et on me trouve généralement sympathique. Quoique, ça dépend en fait : des fois, on me prend aussi pour un sale con. Par exemple, le conseiller d'éducation du collège Albert Camus, le chef de la cellule trotskiste de Rouen-Jeanne d'Arc et le responsable local des Témoins de Jéhovah, un peu plus tard, avec lesquels j'avais pourtant accepté de discuter bien que j'eusse tout de même autre chose à faire. On ne peut pas plaire à tout le monde, non plus. C'est difficile à admettre comme idée au départ, mais c'est le début de la sagesse.
Parce que je vois bien que ça les travaille, moi, cette affaire, mes voisins. Et je ne le sens pas encore très bien de lancer un débat de proximité sur la mixité sociale. Généreux, mais trop prématuré. Voire dangereux. D'ailleurs, le premier truc que m'a dit Phil, le propriétaire de la maison d'à-côté avec son magnifique sweat-shirt des Buckeye, c'est que notre arrivée allait faire grimper la valeur de son bien. Ben, c'est rien de le dire, mon gars, vu que, pour le moment, ce qui grimpe, c'est surtout le prix des travaux et la valeur de l'euro avec. Comme s'il ne suffisait pas d'une épreuve à la fois.
Si encore on avait acheté une vieille ford pourrie, ou une masure en contreplaqué, je ne dis pas. Au moins, une maison pourrie, ça présente l'avantage estimable qu'on ne s'interroge pas pendant des semaines sur la meilleure manière de faire les travaux dedans, ni d'y faire entrer avec un sens consommé de l'ingénierie tous les corps de métiers avec, par la même occasion.
Non, ça ne vient pas même à l'idée, le concept de travaux, dans un gourbi. T'as ton gourbi, et voilà, t'es content et tu n'en bouges plus - du moins pas avant qu'il y en ait un qui se décide à défiscaliser les intérêts d'emprunts. Et encore, tu attends quand même qu'ils se mettent tous d'accord autour d'une loi en bonne et due forme, des fois qu'ils soient plusieurs sur le sujet à vouloir y ajouter une petite touche personnelle.
Non mais, si tout le monde donnait son opinion géopolitique, comment on la ferait, nous, la guerre en Irak ici, hein ?
En fait, je sens bien que ma réflexion n'est pas mûre sur le sujet, avec mes voisins. Je le sais, je ne devrais pas écrire avant d'être bien au clair, sinon après, ça me décrédibilise. S'il est vrai que la nuit porte conseil et aussi qu'une climatisation forcenée rafraîchit les idées au-delà de 80° fahrenheit, je devrais peut-être en laisser passer une ou deux, de nuits, avant de définir une stratégie.
D'ailleurs, moi qui ne me souviens jamais de mes rêves, je crois bien que la nuit dernière, j'en ai fait un en dollars. Ce n'est pas sans doute pas le commencement de la fortune, mais c'est sûrement le début de l'intégration.
23:55 Publié dans Jours tranquilles à German Village | Tags : argent, stars, politique, karaté, université, défiscalisation, etats-unis | Lien permanent | Commentaires (2)