10/04/2007
Zénitude (le problème avec la quarantaine)
Tout allait bien, jusqu'à ce que je tombe sur ce papier de L'expansion l'autre jour intitulé "Négocier les virages de chaque âge", chapitre "redonnez-vous de l'élan" la quarantaine venue. "40 ans, c'est l'âge où la maturité fait craindre la calcification, résume avec humour Yves Desjacques". Voilà qu'ils se croient drôles maintenant à L'expansion.
Si la calcification désigne "l'infiltration par des sels de calcium de tissus ou organes qui n'en contiennent pas normalement" (Petit Robert), pourquoi ça ne toucherait pas le cerveau ? Je veux dire, le calcium, il va bien finir par trouver où il se cache, un jour, le cerveau ? Je préfère le prévenir tout de suite : vu ma tendance à fonctionner avec un seul hémisphère, ce n'est pas gagné. Par exemple, à Questions pour un champion, je n'ai jamais pu dépasser deux bonnes réponses d'affilée ; et encore, il fallait que ça porte sur des questions d'histoire très connues, comme le cheval blanc de Rocky IV.
Il est peut-être trop tard, finalement.
Poursuivons, malgré tout, la lecture de ce passionnant article. "La mise en orbite de sa carrière étant en principe derrière lui (aïe, mais je ne suis sur l'orbite de rien du tout, moi, les gars, je vois bien de temps en temps d'autres planètes sur Encyclopedia, mais ça s'arrête là), le quadragénaire doit solidifier sa trajectoire" (couper des arbres dans l'Ohio, ça le fait comme solidification ?). "Tout en n'évitant pas les questions dérangeantes" (on n'a pas déjà fait le tour, là ?) : vais-je faire le même métier toute ma vie ? (bûcheron pendant trente ans, ça va pas non ?) Ne devrais-je pas tenter une mobilité internationale ?
A la bonne heure, enfin une idée brillante.
"Il s'agit, poursuit le journal, de la transition professionnelle la plus délicate pour le cadre (délicate ? mais je me sentais d'une zénitude mêlée d'audacitude à toute épreuve avant de lire cet article, moi). Celui-ci éprouve souvent le sentiment d'être positionné sur des rails le menant tout droit jusqu'à sa retraite (ils ont un partenariat avec La vie du rail à L'expansion ou quoi?). D'où une certaine angoisse existentielle qui peut le saisir au moment de faire le bilan de la fameuse mi-vie, confirme le coach Thierry Chavel".
Mais il me connaît d'où, lui, Thierry Chavel ?
Ça porte un nouveau nom d'ailleurs ce syndrôme : la "middlescence aiguë", contraction de middle age et adolescence (Morison, Erickson & Dychtwald, in Harvard Business Review, mars 2006). C'est comme enfant gaté, mais sans le gâteau. Et ce ne serait pas une chimère : près des deux tiers des 7700 salariés de 35 à 55 ans interrogés par les auteurs ne se sentiraient plus "énergisés" par leur travail, et un sur trois aurait le sentiment d'être dans une impasse. En somme, il faut choisir : devenir un leader, se droguer. Ou aller en finale de Questions pour un champion.
Heureusement, il y a mon ami Byron, un canadien rencontré il y a vingt ans dans un cercle universitaire international - et que l'on pourrait bien retrouver Premier ministre du Canada d'ici quelques années - qui m'a remonté le moral, dans son dernier mail. D'abord, en plaçant d'emblée cette expatriation à son vrai niveau: "Ton séjour américain sera excellent pour les rapports franco-américains, globalement". Traduisez: le prochain discours à l'ONU, c'est pour toi (surtout peut-être dans le cas où je serais en finale avec Besancenot). Il est comme ça Byron, il m'a toujours vu exercer de hautes responsabilités politiques. Il faut dire qu'à vingt ans, on s'était faits élire comme délégués de ces forums étudiants par une sorte d'assemblée générale internationale et, depuis, ça nous est un peu monté à la tête.
Il poursuit : "Columbus, ça va, il a une masse critical de commerces, et il est un vrai ville américaine, donc il sera un bon expérience cultural". Ouf. "Il y a un enorme université, donc beaucoup de jolies jeunes filles". Ah oui mais là, non Byron. Quelle folie, quand j'y repense, ce concept de grands raouts étudiants internationaux, je ne dis pas du point de vue de la coopération entres les peuples - sous cet angle, ça créait des liens indéniables-, mais de celui du progrès de la recherche fondamentale.
D'ailleurs, il corrige tout de suite - il est très bien ce garçon : "C'est formidable que tu peux être flexible avec ta carrière pour suivre ton femme" (il prononce toujours "feum" ; et, c'est plus fort que lui, il le met toujours au masculin, c'est quand même un drôle de pays le Canada). Ah ça, c'est rien de le dire. Flexible, c'est la traduction pour kamikaze en yankee ? Parce qu'en fait de le négocier, je le passerais plutôt tout droit comme une brute, moi, le virage de la quarantaine.
07:05 Publié dans De l'employabilité en période de tempête | Tags : l'expansion, management, quarantaine, angoisse existentielle, byron | Lien permanent | Commentaires (0)
Agence nationale Pour l'Expatriation (2) Pour une poignée de dollars
Numéro 20 ? numéro 20 ?! numéro 21 ?... J'étais tellement absorbé dans mes pensées que j'ai failli me faire doubler sur le fil de ma nouvelle vie. Je pensais à la réplique de Jean-Claude Van Damme dans Chasse à l'homme. Après avoir criblé de balles un malfrat (qui l'avait bien cherché, il faut bien le reconnaître, un vrai sale type comme dirait Régine), il se penche vers lui et lui souffle à l'oreille : "Désolé pour ta chemise, mon vieux". Sacré Jean-Claude. C'est comme ça, tous les trucs débiles, je m'en souviens. C'est comme les refrains de midinettes que je chantonnais à longueur de journée au Quai (par exemple : "Quand vient la fin de l'étéééé sur la plaaa-geuh..."), en rédigeant des notes sur les dernières facéties de la junte, en Birmanie, entre deux coups de fil de la troisième secrétaire de l'Ambassade - une tueuse. A la fin, ma binôme, une mélomane en plus, elle n'en pouvait plus. Moi, avec la junte birmane, pareil.
Identifiant s'il vous plaît ? - euh, numéro 20 - non, l'identifiant ! - euh... Ça commence mal cette affaire. Voyons voir : badge de cantine ? date de naissance ? numéro de carte bleue... non ? Faut pas me faire des trucs comme ça, madame, je suis quand même fragile, moi, comme nouveau chômeur. Je sens bien qu'au fond d'elle-même, elle n'est pas méchante d'ailleurs, cette femme. Parfois même, quand on la fait rire, un sourire passe, imperceptible, sur son visage marqué. Puis elle reprend vite son rôle, sinon on sent bien que ça ferait craquer tout l'édifice, qu'elle enverrait tout valdinguer - ce système tout gris, et son mari avec. Peut-être bien qu'elle m'immolerait par le feu dans la foulée, on ne sait pas ce qui peut passer par la tête des gens, dans ces moments-là.
Prudence.
S'ensuit une investigation minutieuse à l'issue de laquelle le verdict tombe. Il y a une bonne et une mauvaise nouvelle. La bonne, c'est que j'ai 100 % des pièces demandées. La mauvaise, que j'ai 0 % de celles qui ne m'avaient pas été demandées. Et qui sont pourtant indispensables. Il faudra renvoyer tout ça vite fait, sinon je n'aurai pas le temps d'entrer dans les listes que j'en serai déjà sorti. On peut dire ce qu'on veut, ils sont quand même super rapides aux Assedic, on le voit bien sur le terrain.
Ce n'est pas terminé. Je dois aussi passer voir mon conseiller ANPE pour l'emploi, en face. C'est quelqu'un qui va m'aider, à qui je pourrais me confier, et qui me proposera des premières pistes de job. Là, j'ai un moment de flottement compte tenu de ce qui avait été convenu au téléphone, sur l'anticipation de mon départ. Manifestement, il faut quand même faire semblant, la machine ne pourrait sans doute pas tolérer cet écart de procédure. Elle vient de photocopier le contrat de ma compagne, je viens de lui réexpliquer la situation. " Ah, ben elle va être belle la vie là-bas!" Bon. Je fais donc comme si c'était une idée très positive de l'ANPE. Mais je redoute le pire. Qui n'est jamais sûr. Comme quand on roule à 150 km/h en freînant à dix mètres du mur. Il y a toujours un espoir, si Spiderman passe par là, en revenant de la boum de Sophie Marceau, le soir de l'élection de Bayrou.
De fait, avec mon nouveau coach, j'entre dans une nouvelle dimension. D'abord, mon rendez-vous tombe mal : c'est l'heure du déjeuner. Au signe qu'il me fait d'entrer, je comprends qu'il va me tolérer à titre exceptionnel, mon conseiller spécial, mais c'est vraiment parce que, comme ça, soudain, il m'aime bien. Il ne va pas falloir que je me la ramène de trop non plus.
Même si ça part sur une base amicale forte, à l'évidence, tous les deux.
- Quelle est votre profession, monsieur ? directeur de la communication. Il cherche. Désolé, mais on n'a pas de code pour cette profession. Ah ? eh bien, je ne sais pas moi, on pourrait peut-être regarder à boulanger, garagiste. Ou proxénète ? non non, je plaisante, je ne mange pas de ce pain-là - pour boulanger ou pour proxénète, précisez s'il vous plaît, ce n'est pas le même code - on ne va pas y arriver là : les deux, tenez, mettez chargé de communication voir... Quelques instants de tapotage de clavier. Ah, votre bassin est en tension monsieur (je suis tombé sur le seul rebouteux de toute l'ANPE d'Ile-de-France) Il y a beaucoup d'offres, et dans votre branche, et dans votre secteur géographique (je savais que j'étais né sous une bonne étoile) : nous allons les examiner une par une, si vous voulez bien. Super, très bonne idée que je fais, assertif.
A-t-il senti un brin d'ironie ? A moins qu'il n'ait percé à jour le flottement de mon business plan et préféré m'orienter, sagement, vers un vrai métier ? Ils ont l'oeil ces gars-là, c'est le métier qui parle, parce que des gugusses comme moi qui se prétendent charcutiers en chef, ils en voient passer quelques uns par ici, on ne la leur fait plus. Suit donc un inventaire remarquablement bien ciblé : hôtesse d'accueil, responsable fichiers, sous-traitant de l'assistant d'un webmaster d'une start up d'une personne en projet (mais en fort développement), coursier dans une agence de communication... On en passe au moins une trentaine d'opportunités, comme ça, en revue : c'est vrai que c'est beaucoup, mais ça montre bien la tension dans mon bassin. Une fois sur trois, le salaire horaire oscille entre 6,1 et 8,03 euros de l'heure.
Un petit coup de mou. Je le sens mal, d'un coup, mon nouveau challenge avec l'ANPE.
Mais bon, je vois bien qu'il débute dans le métier, il veut bien faire, il sent, malgré ma bonne volonté évidente, un problème d'appropriation, il cherche à comprendre pourquoi je n'adhère pas à la nouvelle démarche active de l'agence. Je fais donc pédagogique : ce sont tout de même des fonctions très spécialisées, ces offres, je ne suis pas sûr d'être à la hauteur non plus. C'est comme pour cette histoire de poulets, dans le Kentucky. - Ah, mais si le poulet vous intéresse, monsieur, j'ai là un très beau job de manager chez Kentucky Fried Chicken justement, un métier de relation, pour ne pas dire de communication - ça vous dit ? (...) C'est vrai que c'est tentant, mais je vais quand même réfléchir un peu. Tant pis si, par maheur, le boulot me passait sous le nez.
En même temps, si ça continue comme ça, je peux peut-être aussi faire dans la tarte, remarquez. Après tout, il y a un important besoin de tartes dans le monde, aussi.
La conclusion finit par s'imposer : il faut organiser un rendez-vous avec un conseiller encore plus spécialisé. Même si c'est quand même difficile à imaginer. Comme il faut choisir un créneau tout de suite et que je n'ai pas mon agenda, réflexe magique, j'appelle mon assistante pour trouver ledit créneau en quelques secondes, sans me rendre compte de ce que je suis en train de faire. Je raccroche. Et là le type me fait :
- Mais, vous travaillez encore en ce moment ?
Un éléphant rose passe dans la pièce avec de petites ailes - très mignonnes d'ailleurs, les petites ailes. C'est sûr, ça fait désordre. Alors, je recommence mon explication et là, ouf, je sens bien qu'il fait comme s'il n'avait rien entendu, il s'en bat les orteils de mes circonvolutions, mon conseiller spécial. En bon coach, il est centré sur le résultat, c'est un homme d'action, ce qu'il lui faut, c'est inscrire un autre rendez-vous sur l'agenda de son collègue expert, et un code dans la case. Et on finit par en mettre un, de code, dans la case : pilote de ligne, hôtesse de l'air, charcutier, président du conseil constitutionnel - on s'en contrefout. Ce qui compte, c'est le code. Le pire, c'est qu'il finit par entrer un code erroné, que je me permets de rectifier - on ne sait jamais, des fois qu'ils me convoquent demain matin chez Olida. Ou à la brigade des moeurs de Courchevel. D'ailleurs, d'instinct, il sent bien qu'on ne peut pas avoir confiance dans un type qui fait de la communication.
Allez lui en vouloir.
07:04 Publié dans De l'employabilité en période de tempête | Tags : birmanie, jean-claude van damme, administration, kentucky fried chicken | Lien permanent | Commentaires (0)
Agence nationale Pour l'Expatriation (1) On achève bien les poulets
La première démarche du candidat à la création d'entreprise, c'est... l'inscription à l'ANPE et aux Assedic réunis. Evidemment, dans le genre conquête de nouveaux marchés, ça calme. En fait, il s'agit d'une démarche liée à ma démission pour motif familial, qui peut s'avérer utile pour activer si nécessaire des droits à indemnisation au retour, mais qui vient quand même se télescoper avec mes démarches actuelles pour créer une société en France, avant mon départ aux US.
Démarche préalable qui semble en effet plus pratique à effectuer ici, compte tenu des conditions très restrictives mises à la création d'une entreprise par un résident étranger aux Etats-Unis en tant que Treaty investor (tant pis pour l'avis de l'avocate américaine, qui considère manifestement que le dossier est clos). Sauf si on veut créer une usine de fabrication de poulets dans le Kentucky, ou une unité taxidermique pour centenaires en Floride avec 854 emplois à la clé - pistes sur lesquelles j'hésite encore un peu vu que dans ma prochaine formation marketing, il n'y a pas l'option poulets par exemple, ce qui est un oubli bête compte tenu du besoin de poulets dans le monde. Et puis bon, gérer comme ça 854 employés spécialisés dans le découpage du poulet, ou du centenaire, honnêtement, je ne sais pas si j'y arriverais. C'est quand même un sacré challenge de gérer en même temps les employés et les poulets.
Et moi, pendant ce temps-là, je me tape un article de Guelfand intitulé : "La transdiciplinarité en acte" qui permet d'éviter le piège quantophrénique magistralement identifié par Gilbert Durand dans le décryptage du discours consommateur à travers la méthode dite de l'analyse projective. C'est bien gentil ces conneries, mais heureusement qu'il y en a une qui bosse à la maison parce que, à ce stade, je ne vois pas bien qui à qui je vais pouvoir la vendre moi, l'analyse projective, sur le marché de Short North entre le boulanger et le fleuriste. Ça va faire exotique, ils vont se dire "les français, quelle bande de taches tout de même... " Mais pardon, c'est quand même pas tous les Français qui connaissent l'analyse projective. En plus, Guelfand, il ne m'a jamais payé les études que j'avais faites pour lui, il y a une vingtaine d'années, sur le shampoing Dove pour la maman et pour le bébé. C'était une sorte de CPE en plus performant : on n'était pas sûr d'être embauché, mais on n'était pas sûr d'être payé non plus. La grande époque.
Une heure d'attente par rapport au rendez-vous fixé. Honnêtement, je trouve ça raisonnable. D'autant plus qu'ils n'avaient pas noté le rendez-vous pourtant convenu au téléphone aux Assedic, ce qui aurait pu me valoir de revenir une prochaine fois - situation qui, vis-à-vis de l'administration en général, me met dans un état de transe intérieure. Il faudra quand même que j'aille en parler aux Adventistes du Septième Jour à Columbus, c'est pas normal : on ne perd pas la foi dans l'intêret général comme ça. Mais là, rien du tout, je me sens au contraire extraordinairement détendu comme si, je ne sais pas moi, je me préparais à un week-end de deux ans, une sorte de RTT thermonucléarisée dont personne ne maîtriserait plus le reporting. Je ne dis pas que ça détend tout à fait sur le plan de l'employabilité, en imaginant par exemple la réponse à faire au type qui me demandera bien un jour : "bon, c'est bien gentil tout ça, mais vous avez fait quoi là-bas, au juste ? en insistant bien sur le "au juste " dans le cas où je me serais contenté d'écrire à côté de mon boulot de psychologue pour chiens - ou alors il faudra surtout insister sur le côté psychologie. Mais enfin, dans l'immédiat, ça s'apparenterait plutôt à une apesanteur cotonneuse en situation de vol interstellaire.
Je les trouve gentilles, au reste, les hôtesses de l'ANPE, assez humaines même, elles ont dû faire un stage sur un thème du genre : "de l'usager au client" ou "de l'administration des situations à l'accompagnement des projets" comme dans les hôpitaux pour les malades en phase terminale. Et puis sexy en plus, il faut le dire, c'est étonnant, au début, j'ai même crû que j'étais entré par mégarde dans un bar à filles : cuissardes pour l'une, jean fleuri pour l'autre, petits hauts ravissants. On voit bien que ça bouge, l'emploi, en France. A moins que ça ne soit conçu pour détourner l'attention. Un peu comme si le gouvernement s'entendait avec Laure Sainclair et Zara Whites pour nous persuader qu'en réalité il ne faut pas compter 4,4 millions mais seulement 2,1 millions de chômeurs. Ah ah ah. Mais non, ça ne ferait rire personne. Et puis ce serait tout de même très machiavélique comme technique de communication.
07:02 Publié dans De l'employabilité en période de tempête | Tags : poulet, marketing, dove, cpe, rtt, zara whites, laure sinclair | Lien permanent | Commentaires (0)
09/04/2007
On n'a pas de chauffage, mais on a du gui
C'était en sortant l'autre samedi de chez Triadou, sur Haussman - une adresse découverte au radar faute de pouvoir se retrouver chez le petit italien de Madeleine, fermé pour les fêtes. Le cheeseburger est un plat fondamental du samedi midi pour week-ends à horaires indéfinis, et celui de Triadou tient la route (message en passant pour la cuisine : ce n'est pas la peine de planter un drapeau chinois dessus, même pour tenir ensemble les ingrédients, vu que ça perturbe, surtout avec une bière belge de Noël, et que le temps qu'on y réfléchisse, ça fait refroidir le plat ; le plus sage serait de renoncer à créer de la dissonance culturelle en tolérant un peu de jeu entre le pain et le steack).
Il pleut à grosses gouttes lorsqu'on en sort. On se réfugie sous un auvent. Passe une vendeuse de saison, du gui plein le panier. Elle s'arrête, nous en propose un bouquet sauvage. Moi (bien que plus attaché aux traditions qu'il n'y paraît), je ne comprends pas bien. C'est qui gui ? Des herbes provençales, de la colombienne, du muguet de chez Monsanto, ça se mange ?
Mais bon, on en prend quand même illico (ah ok, ça doit porter bonheur). Le prix ? " Cinq euros la botte". La vache ! C'est le London Metal Exchange ou le marché de Noël ? On dirait les cours du nickel, en plus élevé, avec deux heures de stock, la Chine qui découvre un nouveau milliard d'habitants cachés dans le Xinjiang, les Russes qui attaquent le Canada, le Brésil qui envahit l'Australie. Et la province Nord de la Nouvelle-Calédonie qui se prépare à attaquer la province Sud, le jour du Têt.
Mais que fait l'AMF ? m'interrogè-je. Non pas que je sois très regardant sur les prix - pas mesquin pour un sou, c'est vrai. M'enfin quand même. On s'en tire en demandant un plus beau bouquet, ça c'est de la négo. C'est comme pour les framboises au marché Mouffetard : c'est horriblement cher, mais on revient avec quinze barquettes, allez, quatre, dont la moitié décède de mort naturelle. Allez comprendre.
Et puis, lance Anny avec un sourire rayonnant : " On n'a pas de chauffage, mais on a du gui ! ". Ben gadon, comme disent les Bourguignons (un autre message, en passant, pour mon frère : on en reparlait le premier de l'An avec ton père, c'est vrai, il n'était pas mal du tout ce Gevrey-Chambertin l'autre jour, un peu dépouillé mais avec de la mémoire ; avec le temps pourtant, j'ai une préférence qui s'affirme pour les vins qui ont plus de concentration et de puissance, le Médoc plutôt que le Libournais, la Côte de Nuit plutôt que celle de Beaune. Egolf plutôt qu'Egloff aussi bien).
Après tout, vu qu'on n'a plus de chauffage, ça peut peut-être brûler ce truc, non ? En plus, ça fera des signaux de fumée pour le concierge et groupama immobilier - qui sont tous partis en vacances sans un mot, les lâches, pour ceux qui repasseraient entre deux escales dans les parages. Si ça se trouve, on passera pas l'année. On va nous retrouver cryogénisés comme dans Alien. Ils sont peut-être au courant d'un truc qu'on a raté entre la Pedrera et trois tapas, à se dorer sous le soleil catalan.
Et d'ailleurs, parlons-en des voisins : pour commencer une nouvelle guerre du feu, encore faudrait-il qu'ils se montrassent. Celui du dessous n'est pas là. Et celui du dessus refuse obstinément d'ouvrir. Il y a une ambiance chaleureuse et fraternelle dans cet immeuble, c'est émouvant. Et, comme si ce n'était pas suffisant, dès le 2, en dessous, ils se mettent à attaquer au marteau piqueur et à la masse. C'était donc ça. On aurait dit Utah Beach le matin du 6 juin 44. Comme personne ne leur a dit qu'on était dans le camp des Alliés, ma moitié est allée s'en charger comme un missile Tomahawk. Même pas eu le temps d'esquisser un semblant de mouvement de début de mission commandée (quelqu'un a revu le Soldat Ryan au fait ?). N'empêche qu'une minute plus tard on aurait dit qu'ils creusaient à l'aiguille à coudre, les gars du dessous.
Bonne année, tu parles.
On s'en fout, le gui, ça porte bonheur.
23:37 Publié dans La vie quotidienne au temps de Jacques Chirac | Tags : Triadou, nickel, LME, Groupama, La Pedrera, Côte de nuit, Eglof | Lien permanent | Commentaires (0)
Un brin de misanthropie (au Rosebud)
Je repense à une discussion assez vive avec Lazare, l'autre soir, au Rosebud, un pub d'un autre âge de la rue Delambre, où passèrent jadis Sartre et Duras - un des lieux où ça se mélange encore un peu... sans pour autant sombrer dans le style filles de joie au comptoir d'à-côté, où nous avons atterri un soir avec deux copines universitaires que je n'ai pas réussi à arrêter dans leur intellectuel élan.
Mettons de côté le fait qu'il y ait eu dans la vivacité des échanges, ce soir-là au Rosebud, disons, de mâles considérations dues au fait que Lazare - le patron du Smoke, un peu plus haut dans la rue -, à un moment, a senti lui échapper son harem, et notamment sa maîtresse qui, si j'ai bien compris, était à la fois avec lui et disponible. Ce qui n'avait pas l'air aussi évident pour Lazare, soit dit en passant. Et puis franchement, je dois dire qu'autant ça m'amusait avant, ces ouvertures, autant ça me laisse de marbre maintenant, avec même un soupçon de gêne humaniste lorsque ladite ouverture se croit obligée d'en passer par la tirade de service sur les limites naturelles de la fidélité, comme si je n'avais pas lu L'amour et l'Occident à vingt ans.
Si bien que, forcément, le premier sujet à sentir la poudre, a mis un peu d'ambiance - et nous voilà partis dans un frittage de comptoir assez sévère à propos des Etats-Unis. Est-ce mon départ proche ? Je supporte encore moins qu'avant les diabolisations à deux cents, surtout quand elles prennent une posture du genre "France, éternel pays des droits de l'homme" - ce qui nous a mené droit (avec quand même quelques virages) au pied du monument aux morts d'Ouvea, en passant par la poésie de Whitman et le problème de la consanguinité en Norvége.
Tout ceci a quand même fini par s'apaiser et, passé ce moment de corrida, nous avons devisé tranquillement avec Lazare de la triangulaire du PS et du sens de la vie. C'est là que je lui ai confié que je devenais parfois misanthrope - sceptique en tout cas sur la capacité des gens à engager, à travers le dialogue, une recherche commune de la vérité, au-delà des postures. Lazare en est resté baba, lui qui a tout appris avec les autres. Et a commencé à me regarder comme une sorte d'extra-terrestre. J'aime bien Lazare. Va falloir que je me surveille.
23:33 Publié dans La vie quotidienne au temps de Jacques Chirac | Tags : Rosebud, Sartre, Lazare, Ouvea, Whitman, fidélité | Lien permanent | Commentaires (0)