09/10/2007
Tropique de la catastrophe (ouverture)
Une nouvelle idée de roman s'est imposée ces derniers jours et, plus encore, ces dernières nuits, au cours de mon périple en Asie, reléguant la précédente, moins ancrée, à de meilleurs auspices (elle avait une entrée indéniable, mais manquait encore d'une gravité propre).
L'Océanie l'emporte sur l'Amérique ! C'est à la fois étonnant tant je me sens américain de bonne foi, et sans surprise parce que je suis bien davantage né une seconde fois il y a quinze ans dans le Pacifique que je n'aurais pu mourir, bêtement, il y a peu en Amérique - mais ce n'est pas fini, il est vrai, j'ai vu comme tout le monde que ça continuait à canarder dans les bourgs du Wisconsin. C'est donc la vie qui l'emporte dans une voie qui s'annonce pourtant délétère.
Cette idée est enracinée dans des images anciennes. Je crois qu'elle a grandi aussi entre deux escapades, l'une en Afrique (la Lettre à D., son inverse), l'autre en Asie-Océanie (en dérivant sur Alabama Song). Et puis aussi autour de deux ou trois pages de l'Extension, il y a quoi, cinq ans peut-être, dans un petit hôtel de passage à Paris, en remontant d'Océanie justement, du côté de Saint-Julien, à deux pas de l'ancien emplacement du Fogon.
En fait, c'est plus compliqué, car elle en recouvre une, plus ancienne encore et qui fait l'objet, dans un registre différent, d'une focalisation similaire, et une autre, plus récente elle, qu'avait précisément révélée la magnifique Lettre à D, qui m'avait éblouie, lors d'un instant volé dans le recoin d'un bungalow de Moanda, peu avant une cérémonie officielle.
C'est un enchevêtrement en somme, mais dans lequel s'est ouverte une brèche d'attaque - une attaque à l'acide, peut-être.
Je manque de temps. Il me faudrait ici, à Hong-Kong, m'immerger dans la ville, écrire, et en même temps poursuivre, ou reprendre, mes lectures. Je repense à Sartre, les amphètes des dernières années - seule issue pour accorder le mouvement de la pensée à la vitesse de l'écriture sans perdre le fil de l'action.
Je décide aussi d'entreprendre simultanément le texte et son commentaire ; cela, bien que j'eusse trouvé détestable la conclusion égotique d'Alabama Song. Un ridicule épilogue de donzelle qui exhibe une clé dont on se moque. Imagine-t-on Barthes passer aux aveux à la fin des Fragments ? car, quoi, c'est bien de cela dont il s'agit, beaucoup plus que de je-ne-sais-quel making-off à la noix de ce roman dont la puissance poétique déglinguée se suffisait à elle-même. Le texte et son commentaitre donc, mais séparés.
Nous verrons bien à quoi cela va nous mener. Après tout, une ouverture, ce n'est pas un essai. Même sans transformation pourtant, il en resterait un mouvement, assez conforme en tant que tel à l'une des vocations exploratoires de ces cahiers ouverts.
06:48 Publié dans Tropique de la catastrophe (commentaire) | Tags : littérature, roman, Asie, Afrique, Alabama Song, Lettre à D, Barthes | Lien permanent | Commentaires (0)
10/09/2007
Persoweb : lettre aux (é)lecteurs
Je publie ici, pour mémoire, une note un peu fantaisiste (d'où le déménagement) initialement parue sur "New world,new deal" à l'occasion de la nomination de ce dernier blog pour le concours Persoweb organisé par Le Soir et RTL, alors que le président de la République venait de rendre publique sa "lettre aux éducateurs".
Madamemonsieur,
Avec un jour de retard sur la date que j'avais initialement prévue - mais bon, je vous le dis sans détour, il fallait vraiment qu'on sème la pelouse aujourd'hui vu qu'on reporte ça depuis le printemps -, je saisis l'occasion de la rentrée, la première depuis que je suis aux Etats-Unis d'Amérique, pour vous écrire.
Je souhaite vous parler de l'avenir de nos relations. Cet avenir, il est entre les mains de chacun d'entre vous qui avez en charge de choisir, de sélectionner, de protéger l'esprit et la sensibilité qui, certes, ne sont pas encore complètement formatés, qui n'ont pas atteint leur pleine maturité (oui bon ça va), qui se cherchent, qui sont encore fragiles, vulnérables (il est lourd des fois lui aussi) - mais bon en même temps aussi très forts dans leur tête (non mais).
Ah, qu'il faut en traverser des épreuves Madamemonsieur, des fois, je vous jure quand on voit que dans son propre courrier il y en a qui vous tirent dans votre propre pied sous votre propre plume, et aussi que dès qu'on a le dos tourné, il n'y a plus personne qui vote pour vous.
Vous avez la responsabilité d'accompagner l'épanouissement de ses aptitudes intellectuelles, de son sens moral - et, pour ce qui est de ses capacités physiques, si quelqu'un sait comment on peut surmonter les crampes au-delà des 20 km, qu'il m'écrive. Cette responsabilité n'est pas si lourde que ça, quand on y pense, mais elle est des plus belles et des plus gratifiantes - et d'abord pour vous car, je vous le dis, Madamemonsieur, ma victoire, ce sera la victoire d'une équipe qui gagne.
Et une équipe-qui-gagne qui perd, ça ne s'est jamais vu.
Ou alors à la dernière coupe du monde de foot, mais bon, alors là, si on se met à insulter ses adversaires et leur famille aussi, où on va, hein, je vous le demande ? Question sens moral dont je viens justement de parler, on a bonne mine après.
Non, Madamemonsieur, aider mon intelligence, ma sensibilité à s'épanouir, à trouver leur chemin - comme par exemple l'autre jour après le festival grec -, quoi de plus grand et de plus beau en effet - et aussi de plus pratique, après le festival grec ? (Soyons clair : je n'ai rien contre les Grecs et d'ailleurs, même si c'était le cas, je ne pourrais guère, dans ma position, en faire état. Tant de culture. Et tellement d'incendies en ce moment, en plus. Mais bon, si, dans le vin résiné, ils pouvaient mettre un peu plus de vin et un peu moins de résiné, ça détendrait quand même tout le monde et on retrouverait plus facilement son chemin après, comme je dis dans ma lettre).
Quoi de plus difficile aussi ? Mouais, bof. Je l'ai écrit, je l'ai écrit ; mais je ne suis pas persuadé que ça soye super dur non plus, il ne faut tout de même pas exagérer. Car à côté de la fierté de voir le nombre de votes grandir, les commentaires et les jugements s'affirmer, à côté du bonheur précieux - et aussi, là d'accord : fragile et vulnérable - de cliquer sur lui, il y a toujours la crainte de se tromper, de brider un talent, de freiner un élan, d'être trop indulgent ou trop sévère, de ne pas comprendre ce que ce brave type, au fond, porte lui-même, comme par exemple les lourds sacs de graines et d'engrais ce matin, ce qu'il éprouve quand il sème, et la pelouse qu'il est bien capable de réussir à faire sortir de terre, le bougre - du moins, si les oiseaux veulent bien arrêter de bouffer les graines et les écureuils de creuser des trous.
Je ne le répéterai pas deux fois.
Eduquer c'est chercher à concilier deux mouvements contraires : celui qui porte l'écureuil à trouver sa noisette et celui qui pousse à lui inculquer que, faire des trous partout, franchement, ça rien de juste, beau et vrai. Et ce n'est pas la peine d'avoir lu Platoon pour en arriver à cette conclusion.
Une exigence s'impose au lecteur face au blog qui grandit, celle de ne pas étouffer son développement sans renoncer à lui faire part de vos commentaires. Chaque blog, chaque post a sa manière propre. Savoir ou le trouver était placé au-dessus de tout - oui bon, il ne faut pas pousser non plus. Cette relation a sa grandeur. Exigeante et rigoureuse, elle tirait, et elle tire encore, vers le haut, elle amenait, et elle amène encore, je ne sais pas si c'est malgré soi, mais c'est à se dépasser en tout cas.
L'exigence et la rigueur de cette relation en faisaient un puissant facteur de victoire au Persoweb.
Beaucoup de blogueurs néanmoins souffrent et se trouvent exclus des bienfaits du vote. Ce n'est pas parce qu'ils manquent de talent, ni parce qu'ils sont incapables d'apprendre et de comprendre, mais parce que leur sensibilité, leur intelligence, leur caractère se trouvent mal à l'aise dans les malheureuses voix que l'on veut lui attribuer à ce blog - une misère, Madamemonsieur.
Mais bon, Madamemonsieur, vu qu'il est quand même tard, que j'ai aussi beaucoup de travail demain à cause du retard lié à la pelouse qu'on ne pouvait pas reporter aujourd'hui et aussi des formalités administratives à préparer avant mes prochains voyages, je vais être obligé de reprendre demain ou plus tard ma lettre d'hier et de faire une petite parenthèse parce que, si je ne compte que sur mon premier projet de lettre, on n'est pas couchés.
Je me vois donc contraint de revenir quelques instants sur le concours "Persoweb" dont je vous ai parlé l'autre jour. Naturellement, si j'y reviens au risque disons d'une certaine lourdeur de style, c'est parce que même sans partager l'intimité de chacun d'entre vous tous les jours, je sais bien que vous avez tous, ou presque, déjà oublié. Ce n'est donc pas de gaité de coeur, croyez-moi. Surtout depuis que j'ai découvert les commentaires. Oh, ce n'est pas qu'ils soient désagréables ces commentaires, au contraire Madamemonsieur, c'est plutôt à cause des courants d'air entre les commentaires.
Vu que, globalement, c'est un peu chétif comme nombre de commentaires. Et je ne dis pas ça que pour Persoweb, même si c'est ma préoccupation du moment et que c'est pourquoi j'ai voulu vous écrire une lettre à votre domicile.
Et pourtant, Madamemonsieur, vous pouvez encore tout faire basculer. Jusqu'au 7 septembre - et remarquez bien, Madamemonsieur, qu'on est déjà le 5 -, vous pouvez attribuer un vote par jour - oui, par jour -, au blog de votre choix.
Par exemple : New world.
Ou sinon New deal.
Je ne suis pas fermé non plus. Je serais même le seul de ma catégorie à offrir une vraie alternative. Ah certes, j'entends déjà les beaux esprits protester. Mais c'est à tort : on peut très bien - new world - avoir un nouveau monde, mais sans aucune perspective nouvelle. Ou - new deal - un nouvel élan, mais toujours dans le même vieux monde.
L'enfer, quoi.
Eh bien, New world, new deal, c'est à la fois l'alternative et la synthèse. Un truc, en somme, à rendre fou le parti socialiste.
J'espère donc, pour ma part, qu'il y a plus de votes que de commentaires sur Persotruc, sinon je vais être obligé de me terrer sous la blogosphère, à l'étranger, pendant plus longtemps que prévu, les amis. Peut-être même pendant de longues décennies. Car enfin, le type qui reverrait sa normandie comme ça et qui n'aurait même pas gagné le concours Persoweb, entre nous, de quoi il aurait l'air à parcourir à cheval toute la côte de Cherbourg à Dieppe au retour, dédaigné de tous et seulement acclamé par les flots ?
Serait-il même décent qu'il rentrât au pays, même plus tard, le type ? Non, naturellement. Ou alors, c'est comme dans Braveheart, et alors là, pas de quartier les gars. Je ne menace personne : j'essaie juste d'anticiper sur un possible enchaînement des faits quand viendra l'heure de la reconstitution. Et alors là, Madamemonsieur, il sera trop tard pour dire qu'on ne savait pas.
Bref, j'en reviens à la fin de ma lettre.
Le temps de l'élection est venu. C'est à cette élection que je vous invite. Nous avons déjà trop tardé.
Surtout vous, Madamemonsieur.
Sacré Madamemonsieur, va.
02:42 Publié dans De l'employabilité en période de tempête | Tags : persoweb, blog, sarkozy, politique, lettre aux éducateurs | Lien permanent | Commentaires (0)
30/08/2007
On achève bien les ados (la compassion de Laura Cole)
Après une intense journée de travail sur trois ou quatre sujets en même temps, compliquée par surcroît de nouveaux dêmélés administratifs, je m'apprêtais, comme souvent, à aller courir aux environs de sept heures sur Schiller Park. J'étais quasiment prêt quand, soudain, on sonne. Je m'en vais ouvrir de bonne grâce, bien que la pulsion de la petite foulée en fin de journée ait quelque chose de relativement irrépressible.
En fait, et contrairement à mes footings océaniens, le soir venu, au long des cocoteraies - qui, oui, parfois me manquent -, ces sorties-là sont l'occasion le plus souvent d'un moment d'isolement, de recentrage, de concentration particulier, voire de chautauqua, cette sorte de déambulation mentale que l'on déroule comme un fil, aurait dit Pirsig dans son Traité du zen et de l'entretien des motocyclettes. Un nouveau couple d'Adventistes du Septième jour peut-être ? A moins qu'il ne s'agisse de fervents adeptes de l'Eglise de Zion, ou de David Beckham passé me saluer en ami ? - Sacré David.
En fait, non. Quand Laura Cole s'est présentée sur le pas de ma porte, j'ai d'abord crû à une sorte de psychologue, ou d'assistante sociale, venue me réconforter après l'agression de l'autre jour. Il faut dire qu'elle s'est tout de suite enquise de ma santé avec un sens de la compassion que, dans ma tenue de jogging, bouche bée, là, comme ça, au-dessus des marches, j'ai trouvé vraiment charmant. Mais si la compassion est l'un des grands ressorts de ce monde, las ! Rien n'est gratuit... La fourbe était en fait une envoyée spéciale de CBS venue tout spécialement m'interviewer sur les lieux du délit.
Il s'agissait de boucler un sujet pour le journal du soir sur Channel 10 consacré à la recrudescence de la criminalité au sud de Columbus. Pensez donc : on dénombre 28 agressions au cours des trois dernières semaines. Heureusement que je ne les ai pas rencontrés à chaque fois, ces types, ça m'aurait lassé. Une fois ça va, ce serait presque même divertissant, mais vingt-huit là, 1,333 par jour, non merci. Ou alors on en profite pour travailler vraiment le sujet, on pimente les dialogues, on met du rythme, et on finit par mettre sur pied un truc hollywoodien... Bon, ok, je veux bien me faire interviewer, mais pas en short. Ni devant le numéro de la maison. D'ailleurs, l'agression ayant eu lieu dans la rue d'à-côté, il suffira de faire deux pas pour tourner le sujet.
Me voilà donc ressorti deux minutes plus tard tout fringant - point trop non plus, pour garder un petit côté cowboy, voire boxeur, à mon avis indispensable aussi bien à la reconstitution de la scène qu'au message que je m'apprête à délivrer à l'Amérique profonde. Au milieu de Columbus Street, le caméraman m'équipe d'un micro et teste la lumière pendant qu'on commence à bavarder avec ma nouvelle amie journaliste. De fil en aiguille, je déroule le récit (que je vais d'ailleurs bientôt pouvoir raconter en chinois en faisant le poirier si ça continue). Je prends même du recul à sa demande pour reprendre mon arrivée dans la rue et la scène du choc des civilisations au milieu de la route.
Il y avait deux options possibles. La première : noircir le tableau à mort, en faire un thriller auquel j'aurais échappé de justesse, encore sous le choc face aux caméras. La seconde : en faire un récit plus distancié, dédramatisé, presque léger. La télévision américaine aurait naturellement préféré la première, histoire de continuer à mettre le feu aux poudres - on connaît l'histoire du ressort de la peur depuis le film de Moore. Mais je ne tiens pas particulièrement à ce que les trois types de vingt ans finissent lynchés au coin de Reynoldsburg.
Ou en prennent pour cent cinquante ans de prison. Je ne plaisante pas : il y a deux ans, pour mettre fin à une série de cambriolages, faire un exemple et sanctuariser ce quartier chic, c'est ce qu'ils ont collé à une autre bande de trois types, vers Jaeger. Entendons-nous : cent cinquante, ce n'était pas le total, mais la peine de chacun. Sentence de pierre, silence de mort. Franchement, quand j'y pense, ça me rend fou. A lui seul, ce fait-là pourrait ruiner définitivement toute espèce de sympathie à l'égard de l'Amérique. Et me faire ouvrir une cellule trotzkiste au beau milieu de Third Street, juste pour voir. Et aussi pour mettre un peu le souk, comme à la belle époque. On ne devrait jamais trop s'éloigner de son adolescence.
En attendant, je calme à nouveau le jeu entre les poubelles, le lampadaire, la caméra et la chaussée de Columbus Street. A la question de savoir si j'ai été effrayé, je lui réponds tranquillement que non, que ça va trop vite et qu'à proprement parler, on n'a pas le temps. La seule chose, c'est de rester concentré sur le flingue parce que ça peut partir n'importe comment (encore qu'en y repensant, c'était tout de même peu probable) et de la jouer cool en essayant de calmer le jeu. Que feriez-vous si c'était à refaire ? Une amie ici avait suggéré de parler tout de suite en français. Pas bête, ça surprend, ça complique, ça peut dérouter. Pas bête, mais pas sûr du tout non plus : a priori, l'objectif n'était pas de bavarder. Bref, je crois bien que j'aurais fait la même chose, en fait.
Tout cela finit par passer quelque part pour l'édition de 23h00. Pas grand chose à dire sur le sujet. Ça le fait plutôt bien. C'est un métier. Et puis, si j'ai déjà, dans une autre vie, fait des sujets (des interviews radio en l'occurence) avec Melbourne, Hong-Kong ou Singapour, je n'avais encore rien réalisé en direct avec la télé américaine. D'ailleurs, je confesse avoir accepté l'interview, non pas seulement par jeu, mais aussi pour des raisons professionnelles, pour vérifier : mais rien de plus universel qu'un sujet d'actu pour la télé, en fait.
Ce qui me frappe le plus, c'est que j'ai l'air désinvolte au début, magnanime à la fin, et qu'au milieu, je trouve le moyen de partir d'un grand éclat de rire en reconstituant la scène. Et ils retiennent la prise, en plus. De deux choses l'une : ou bien j'ai en effet été traumatisé et c'est un rire nerveux ; ou bien c'est vraiment à désespérer, à certains moments, de mon manque d'esprit de sérieux. C'est comme si les choses étaient à la fois très graves et infiniment drôles, sans que je parvienne très bien à choisir, vous comprenez ?
Au moins avec une balle entre les deux yeux, ç'aurait été moins équivoque comme reportage vu que des cadavres qui font les malins par ici, depuis la conquête de l'Ouest, il n'y en a tout de même pas des masses.
23:51 Publié dans Jours tranquilles à German Village | Tags : médias, etats-unis, violence, prison, channel 10, cbs | Lien permanent | Commentaires (0)
24/08/2007
Variations sur une rencontre (2) Sobre
L'autre soir, on dîne sur la terrasse. Puis il se met à pleuvoir à verse et j'en profite pour aller faire quelques pas sous la pluie.
Sur ce, il y a trois types qui me demandent de l'argent dans la rue d'à-côté, avant de passer leur chemin.
A peine eu le temps de bavarder.
Il faut dire qu'ici, le temps, c'est de l'argent. Ce n'est pas comme en Ardèche, me disait l'autre soir encore, un policier du coin.
23:45 Publié dans Variations sur une rencontre | Tags : argent, rencontre, vie quotidienne | Lien permanent | Commentaires (1)
12/08/2007
Réchauffement : quand les Poutéouatamis s'y mettent (et les Quicapoux avec)
Ah, ça ! Ça nous pendait au nez depuis un moment. On le sentait venir, ces dernières semaines. Et puis revoir An Inconvenient Truth n'a pas dû arranger l'affaire : sacré Al, toujours le maux pour rire. Sauf que ça a tout de même dû énerver, là-haut, déchaîner les foudres des esprits Poutéouatamis. Peut-être bien aussi ceux de leurs cousins Quicapoux par la même occasion. Il suffit que ça tombe pendant une réunion de famille ces trucs-là et ça a vite fait de dégénérer. Ça crée un effet de surenchère, c'est comme pendant les campagnes électorales. Il y a les Poutéouatamis (qui s'ennuient toujours un peu, le dimanche) qui se disent :"Tiens, et si on montait un peu le radiateur en bas, pour rigoler un peu ?". Et les Quicapoux, qui ne veulent jamais être en reste d'une connerie (ce que je peux comprendre, ce n'est pas la question), qui rajoutent : "Ouais, pas mal. Et nous, si on faisait macérer la serre, pour voir?".
C'est tout vu, les gars. Des températures comprises entre 90 et 100° (Fahrenheit, tout de même) sur l'ensemble du territoire américain, et l'indice d'hygrométrie qui oscille entre 100 et 110-115 (il s'agit sans doute de l'indice humidex, toujours en Fahrenheit, sachant qu'à partir de 90, on entre dans une zone de malaise généralisé, et qu'au-delà commence une zone de risque qui rend les activités sportives dangereuses et les coups de chaleur probables). Même en Nouvelle-Calédonie, je n'ai pas souvenir d'avoir connu de telles chaleurs, en tout cas pas avec des taux d'humidité pareils. Ou alors peut-être au moment des alertes cycloniques, juste avant l'arrivée de la tempête, au-dessous de l'oeil du cyplope, quand plus un souffle de vent ne passe et qu'une chaleur poisseuse écrase et liquéfie soudain tout. A la télévision, CNN et Fox News multiplient les recommandations de prudence et suggèrent de ne sortir qu'en cas de nécessité.
Oh, je sais bien que la plupart d'entre nous réfute spontanément l'idée selon laquelle ni les Poutéouatamis, ni les Quicapoux n'y seraient pour quelque chose. Ah ah ah ! Grossière erreur, les amis. C'est à tort que nous nous persévérons dans nos schémas scientifico-laïques étriqués, alors qu'il serait encore temps de se convertir à l'Esprit Qui Souffle Sur La Grande Plaine (Et Qui Rafraîchit l'Atmosphère Par La Même Occasion). C'est pourtant évident. En tout cas, vu d'ici, à la limite de la Bible Belt - qui passe un peu plus bas, à Portsmouth, le repaire du regretté révérend Farewell, et qui se prolonge bien plus au sud, vers Atlanta -, c'est évident. Manifestement, on a fait une grosse connerie quelque part. Il y en a un, peut-être même une bande, qui s'en est aperçu, mais qui n'a pas voulu s'en vanter.
Résultat : tout le monde en slip, au coin. Comme à la maternelle, quand j'ai voulu faire une fugue (ma deuxième), en 1971 je crois. Franchement, c'est pas très brillant comme méthode pédagogique. Il y en a une à l'époque qui a dû sécher le module : "L'enfant apprend-il vraiment mieux en slip ?" de son cursus de sciences de l'éducation. Parce que la réponse est non. Ou alors c'est la chienlit, comme en 68. Ah ben, dans ce cas-là, d'accord. Et hop ! Tout le monde retire son slip ! D'accord, mais à ce moment-là, personne ne te demande de dessiner en même temps ta famille, de colorier ta maison ou de raconter tes vacances. Non, tu es libre de tes mouvements et, dans une certaine mesure, sur un plan plus ontologico-érotique, tu assumes même ton être-dans-le-slip-avec-autrui. Bref, premiers ou derniers au caté ? - "M'en fous", disent les Poutéouacapoux, toujours un peu rigides : tout le monde, peut-être pas en slip mais en tout cas dans la serre. Après, vous ferez ce que vous voulez, pour le slip.
Ici commence donc la phase terminale du réchauffement climatique, la dernière vague de chaleur de l'Humanité. On entend même le cataclop-cataclop des cavaliers de l'Apocalypse, le soir, dans les westerns à la télé. Ça fait quand même beaucoup de signes convergents tout ça. Quand je pense que nous, on n'a rien trouvé de mieux à faire qu'à venir se fourrer au beau milieu de la fournaise. On aurait pu, je ne sais pas moi, se donner le temps de la réflexion, protéger nos arrières, ouvrir un poulet ou égorger un mouton avant de partir. Mais non. Même pas l'ombre d'une danse de la pluie. Si encore j'avais gardé un lagon à portée de main. Le seul truc où on peut se baigner à la rigueur ici, à moins d'une demi-heure, c'est Alum Creek. Et Alum Creek, soyons clair, ce n'est ni Wolfeboro, ni Santa Monica. On a essayé une fois. On a crû à un casting pour Délivrance. Un grand souvenir, Alum Creek.
Il doit pourtant bien y avoir une raison à tout ça. Après tout, je me suis toujours senti un peu prophète. Et comme c'est moins facile, et parfois même nul, dans ton pays, du coup, tu te rattrappes à l'étranger où - et ça tombe bien - les gens saisissent un peu moins bien la subtilité de ta pensée, tout en acquiescant poliment à tes propos, ce qui renforce le gourou qui sommeille en toi. Rien ne m'arrête donc dès qu'il s'agit de pontifier souverainement, encore que je me sois un peu calmé ces dernières années. Mais alors, ce serait donc ça le sens de ma présence ici, en plein dans les braises : annoncer la fin du monde ?
Tout s'expliquerait alors. Notamment l'épisode du slip et aussi certains moments de flottement au cours de ces derniers mois. C'était donc ça : une épreuve. Comme Saint-Jérôme, ou de Gaulle entre 47 et 53 : dans le désert. Et ce blog alors, ce serait comme qui dirait l'Arche de Noé de la connerie. Pour qu'on se souvienne, un peu plus tard, dans les veillées, jusqu'à quelle profondeur, livrés à nous-mêmes, on pouvait atteindre. Le mieux, ce serait encore de persuader le Comité exécutif Poutéouatami de me sauver moi-même pour que je puisse témoigner en direct, faire des soirées à thèmes, une sorte d'inter-villes de la connerie. Il y a plein de trucs à faire. Il faut juste me donner l'opportunité de présenter le projet.
Et dire qu'il m'est arrivé de penser que j'étais abandonné de tous, notamment du responsable commercial de Time Warner et de la chargée de compte à la Huntington. Mais non, c'était calculé. Tout le monde avait dû se passer le mot. Je ne suis pas seul. Joie, joie ! En vérité, je vous l'annonce, tous ceux qui ont pêché, vont brûler. Et dans d'atroces souffrances, en plus. Les autres aussi. Je sais, ce n'était pas prévu comme ça au départ et, compte tenu de ce que certains ont crû pouvoir raconter dans un contexte de concurrence religieuse exacerbée pour l'obtention du module pratique d'inflammation de la foule, ça peut paraître injuste. Mais c'est comme ça : on a vrillé le thermostat et il y en a pas un, ni de Poutéoutami, ni de Quicapoux, qui est capable de remettre le truc d'équerre. Allons ! Il est encore temps de se repentir ! A genoux, frères hum...
Réveil en sursaut. - "Mon pauvre chéri ! Tu as dû attrapper un bon coup de chaleur, on dirait, sur le transat. Et puis, l'agression d'hier, ça n'a pas dû arranger les choses, non plus. Oh la la, ta pauvre tête. Déjà qu'avant... - Euh, tu veux dire que mon boulot de prophète du réchauffement là, c'était un mauvais rêve ? - Pour prophète, ça m'en a tout l'air. Mais pour le réchauffement, ça tournerait plutôt au cauchemar en ce moment par ici".
23:35 Publié dans Du rififi chez les Yankees | Tags : réchauffement climatique, climat, chaleur, An Inconvenient Truth, Wolfeboro, environnement | Lien permanent | Commentaires (2)