Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

23/02/2008

Le sommeil est un sport dangereux

Le combat de ju-jitsu fait rage. Il est même douloureux. La France prend l'avantage. Un haltérophile se couche sur une haltère en la bloquant pour empêcher un sumo sur le côté de la rambarde du terrain de hockey de la porter dans le camp adverse de cette partie de baby foot. L'entraîneur de basket est à la fois impeccablement vêtu et très nerveux. En bon demi-centre et capitaine de l'équipe de handball, je distribue le jeu comme une bête. C'est finalement un mannequin latin qui gagne le concours de coiffure.

Plus tard, dans un bar espagnol, à deux pas du Camp Nou, bien que m'efforçant de l'éviter, je retrouve un ancien condisciple de Sciences-Po - un grand échalas, aussi polar que faux-cul - qui cherche à s'inviter à dîner à la maison avec un jeune frère (qui porte des lunettes), que je ne lui connaissais pas. On parvient à noyer le poisson et à prendre la tangente.

Puis, des amis calédoniens proches ne me reconnaissent pas dans l'appartement où se déroule un tournoi de football en salle. J'en suis attristé. Une marée d'enfants en mouvement (beaucoup ont grandi), habillés de toutes les couleurs, à l'océanienne, couvrent le terrain et l'allée devant un grand manoir normand. A l'un des angles, on débouche sur une avenue new-yorkaise.

26/10/2007

L'exfiltration du guerrier viking en terres australes via la gare de Rouen

Il fallait s'y attendre. Le résultat lamentable de ce périple en tous sens entre l'Europe, l'Amérique, l'Asie et l'Océanie, ces dernières semaines, c'est un ensemble de rêves abracadabrantesques qui s'emmêlent les pinceaux en une sorte de conte féérique et guerrier.

Moi qui ne me souviens presque jamais de mes rêves (ce qui, paraît-il, signale des songes pervers, rien moins, j'avais bien besoin de ça), j'ai pris le parti d'en noter quelques bribes sur un petit carnet de nuit ramené de l'Intercontinental d'Hong Kong.

C'est pas moi qui l'ai piqué, le carnet.

Du coup, on verra bien si c'est aussi pervers que ça ; d'ailleurs, si ça l'est vraiment - je prends bien déjà quelques libertés avec le casting -, je commettrais quelques petits arrangements au montage.

Ça a commencé l'autre nuit. Je me retrouvai propulsé à la tête d'une bande de Norvégiens sanguinaires - le chef répondait au nom, tout à fait inattendu, de Knut -, qui s'apprêtaient à faire main basse, non sur la schnouf, mais sur la Normandie.

Un réalisateur northumbrien en difficulté aura sans doute pensé à un remake facile en forme de comédie musicale sur le thème plein de fraîcheur : "J'irai revoir ma Normandie " pour se relancer à travers un partenariat, sponsorisé par Media Plus, entre la Svensk Filmindustri et les Caudebec-en-Caux Cruise.

On a beau dire, on sent une indéniable accélération - oserais-je dire un nouveau souffle ? - sur le plan culturel, depuis l'approbation du Traité simplifié. Qu'est-ce que ça va être après la ratification, les enfants.

Le problème, c'est que tout ce petit monde gueulait vraiment très fort en attendant le prochain Intercités, en anglais - ce qui relativise clairement tout ce que notre vision des hordes du Nord pourrait véhiculer de primitif -, et dans le hall de la gare de Rouen en plus, qui résonne beaucoup comme hall, on dirait une cathédrale.

Et puis, la nuit dernière, vous allez rire - du moins, ceux qui, me connaissant un peu, savent combien j'ai su conserver une certaine sobriété de moeurs en dépit d'une carrière fulgurante et de sollicitations aussi multiples que décousues -, je me retrouve en prince perse, peut-être wahhabite, circulant majestueusement dans une sorte d'immense salon zen.

On aurait dit le deuxième étage du Metropolitan de Bangkok sur Sathorn Road, dédié à tout un tas de soins chics et bienfaisants. A moins qu'il ne se soit agi des installations de l'Athletic Club de Columbus - un club huppé, niché dans un vénérable building de briques rouges sur Broad Street, que nous nous apprêtons à rejoindre ; du moins que nous nous apprêtions à rejoindre avant qu'il y en ait un qui ne tombit, que dis-je, qui ne chutassions sur la petite ligne qui précisait les admission fees s'ajoutant aux cotisations mensuelles, ainsi qu'aux frais de parking, de coaching et de fooding.

Là, en peignoir, je déclare humblement à deux jeunes journalistes calédoniennes qui m'entourent, tandis qu'une maîtresse de jeunesse, aussi saxophoniste que dévergondée, me guette d'un peu plus loin, que je m'en vais prétendre au Goncourt chez Flammarion. Sur ce, dans un rêve désespérément borné au plan de la géographie comme en une sorte de résistance sourde et bien campée à cette longue suite d'escales, je me prépare à (re)prendre le train pour, devinez quoi, aller (re)voir ma Normandie.

Je ne sais pas qui est le trouvère souffreteux qui a inventé la chanson, mais je ne serais pas fâché que Knut et sa bande - et cela même, rétrospectivement, dès les premières descentes historiques sur Villequier, un peu comme Jim Caviezel par Denzel Washington dans Déjà vu -, le zigouillent une bonne fois pour toutes. Ça m'ouvrirait des horizons sur le plan onirique. Et puis ça éviterait des tas de morts inutiles sur le Mississipi, en plus.

31/05/2007

Bienvenue au zoo (les heures supplémentaires ne font pas le bonheur, même défiscalisées)

A German Village, qu'on se le dise, l'animal est roi. Et d'abord le chien, naturellement. Il y en a ici de tous les formats, de tous les âges et de toutes les couleurs - Bullmastiffs, Chow Chows, Epagneuls tibétains, Welsh Corgi Pembrokes, Rhodesian Ridgebacks, et j'en passe - tous chouchoutés d'un même élan new age. Des petites personnes bien comme il faut - pas un pet de travers - et traîtées comme il se doit, entre dog-sitters, toiletteurs, traiteurs et psychologues dédiés.

Un domaine - la psychologie canine - dans lequel j'estime toujours avoir mes chances bien que mon savoir, en la matière, soit essentiellement intuitif. Qu'importe : le vrai génie canin se contrefiche de l'académisme, il invente de nouvelles théories, propose une vision, ouvre des perspectives, bâtit un projet. Et fait adhérer la communauté canine à son programme pour lequel, naturellement, une majorité s'avère nécessaire, vu que sinon on pourra pas tout faire ce qu'on a dit pour créer de nouvelles niches défiscalisées et continuer à mener cette vie de chien comme si le chien chinois, dit de la houpette à poudre, ne menaçait pas déjà, à nos portes, cet édifice patiemment construit d'attentions raffinées.

Je le sens bien, ils ne vont pas tarder à voter ici, les chiens. Visionnaire (on le sait), inspiré (c'est moins reconnu), je me prépare.

Mais, le truc le plus nouveau, ici, ce ne sont pas les chiens, ce sont les écureuils. Au début, j'ai crû qu'ils passaient ici par hasard, limite pour jeter un oeil aux nouveaux non millionnaires du quartier - ce serait presque méprisant comme animal, l'écureuil.

Mais non, ça passe, ça repasse, et dans tous les sens en plus, à l'envers, à l'endroit, ça se course, ça sautille, ça chahute sur les arbres, les fils électriques, les escaliers, les parterres. Et encore, je vois pas tout. Il faut dire que je n'ai pas que ça à faire, non plus, faut quand même pas déconner.

Il y a un économiste qui soutenait récemment qu'avec le malheur de la faim dans le monde et notamment des heures supplémentaires non encore défiscalisées, il manque un peu de contemplation dans nos existences. Un beau métier, économiste, il faudra que je reconsidère ma position adoptée, sans doute un peu hâtivement il y a une quinzaine d'années, après les explications de Fitoussi sur le modèle IS/LM.

En tout cas, je m'inscris d'ores et déjà dans cette nouvelle tendance économique visionnaire : un quart d'heure d'écureuils par jour, et hop, le tour est joué. Après ça, on peut dépecer la planète et écraser ses voisins, on se sent tout de même mieux, plus aériens, enfin en paix avec soi-même.

Cela dit, j'ai comme l'impression qu'ils s'en foutent un peu, les écureuils, de la contemplation. Non, ce qu'ils veulent, eux, c'est de la noisette fraîche, et de la bonne. Des vrais drogués. Au début, je lâchais bien de temps en temps une croûte de fromage - de chez Wholde Food Market -, voire une chute de pizza - même provenance, ça rehausse tout de même la beauté du geste. D'ailleurs, comme je n'avais pas encore détecté l'hyménoptère dans les parages, je me disais que ça mangeait quand même beaucoup comme bestiole, la fourmi américaine. Une stupide erreur de diagnostic qui, sans aller jusqu'à m'empêcher de dormir, m'a tout de même laissé perplexe quelques jours.

Petit à petit, j'ai commencé à balancer de la noix de cajou, de l'amande et même, tout récemment, de la pistache. C'est drôle la pistache, surtout quand ils montent aux arbres avec - il y en a un qui s'est fait une espèce de fauteuil, là, sur une demie branche surplombant le jardin - vu qu'il leur faut d'abord écarter les deux coquilles tout en conservant la pistache à l'intérieur.

C'est technique. L'écureuil qui a un CAP, il s'en sort. Mais le malheureux qui a fait Centrale, HEC ou Science Po, il est cuit : quand la pistache s'ouvre, il perd la coquille et la pistache avec. Et, il faut bien le dire, il a l'air un peu ballot, après ça, à regarder partout, le sourcil froncé, genre : c'est qui qui m'a piqué ma noisette ? Je me demande même s'il ne serait pas un peu soupçonneux à mon égard, dans ces moments-là, l'écureuil qui a fait Science Po. Où ça mène l'avidité. Il n'y a décidément aucun esprit de corps dans cette école.

D'ailleurs, quand j'en fait trop pleuvoir, de la noisette, ils essaient chacun d'en ramasser le plus possible, les goinfres - ça castagne un peu, par la même occasion et, à mon avis, il y a aussi un problème de parité, chez eux, aggravé par un problème de chapardage de noisette tout de même assez rustre - vu qu'il reste difficile de faire les courses et de manger en même temps. Ils enterrent ensuite leur butin où ils peuvent, en espérant que leurs potes ne les voient pas, ce qui est bien sûr une illusion, vu que tout finit par se savoir dans le quartier, je le sais, en Nouvelle-Calédonie c'était pareil. Pire peut-être.

Et puis bon, un jour, ça a fini par m'énerver ce défilé zoologique, du coup, je leur est livré en pâture une poignée de Haribo épicés de toutes les couleurs (un truc réellement inmangeable, acheté par erreur chez Giant Eaggle). Pas de bol, ils ont clairement eu l'air d'en raffoler. Je ne sais pas quel genre d'ingrédients psychédéliques ils mettent là-dedans chez Haribo mais, au vu des effets secondaires apparents, ça fait quand même peur.

Il y en a même un, le lendemain, qui s'est mis à boulotter les fleurs qu'on avait laissées sur la terrasse - de somptueux oeillets blancs que nous avait offerts Fred, le voisin de derrière, pour Memorial Day. S'il a vu le carnage en passant, il a dû se dire qu'on était vraiment des sales types - il a tout de même libéré la France, en 44, le Fred, et d'ailleurs, on dirait qu'il n'a pas lâché sa casquette de Commander in Chief depuis - ou alors qu'on adorait les oeillets à un point qu'il ne soupçonnait pas. Voire qu'on avait vraiment très faim.

C'est sans doute cette dernière option dont, localement, la malséance le dispute à l'exotisme, qu'il a retenue : le lendemain, il nous invitait à un apéritif avec les francophiles du quartier. On a évité de se jeter sur les petits fours pour infirmer la thèse de la faim ; du coup, je ne suis pas sûr que nous n'eussions commencé à accréditer celle de la soif.

Si la vie est un confluent de dilemmes qui finissent par se noyer dans une vallée de larmes, après tout, autant que ça soit dans la Sonoma.

En tout cas, je leur passerais un ou deux comprimés d'ecstasy à la place, aux écureuils, que ça serait pas pire. Des vrais maboules. Mettons qu'on se fasse un ou deux petits écureuils au barbecue un de ces jours, il faudra quand même bien faire attention à en choisir un élevé au maïs et à la noisette fraîche, sinon, je ne réponds plus de rien, ça pourrait bien nous faire vraiment bizarre, à nous aussi, le Haribo épicé, par contrecoup.

20/04/2007

L'Amériii-que, l'Amériii-que...

Cela a commencé comme le refrain de la chanson de Joe Dassin, comme un air inconscient qui aurait accompagné ces derniers mois, et qui de fil en aiguille m'aurait mené jusqu'ici. A dire vrai, je m'y suis laissé entraîner par ma compagne, doucement, mais sûrement. C'est elle déjà qui m'a fait découvrir New York, il y a trois ans. C'est à nouveau elle qui m'embarque dans l'aventure américaine, reprenant au vol une envie que nous avions eue alors.

Certes, l'Amérique de Georges Bush - son arrogance et sa bêtise - ne font pas un programme. Mais l'obscurantisme du moment, et le biais affligeant qu'il introduit dans notre rapport aux Etats-Unis, nous masque la profondeur de champ : le pays de la recherche, de l'innovation, de la conquête, du multiculturalisme - bref, une aventure ouverte sur le monde d'aujourd'hui, qui reste un creuset du monde de demain.

Sur un plan plus personnel, ce voyage ne va pas non plus, si l'on ose dire, sans une visée de rééquilibrage. Plus jeune, vers dix-sept ans je me suis passionné pour la Nouvelle-Calédonie pour des raisons d'abord politiques - comprendre un processus de décolonisation original - puis, vers trente, économiques, en y revenant défendre, auprès d'Yves Rambaud, les intérêts d'une compagnie minière française qui y a son coeur historique, et les ennuis qui vont avec. Il y avait aussi le sentiment que quelque chose de plus épique s'y passait. Le job est fait et, avec lui, une certaine aventure culturelle s'est déroulée au fil de rencontres improbables, au coeur de l'Océanie.

Partir de Calédonie c'était quitter une périphérie pour retrouver un centre. De même, quitter Paris et la France aujourd'hui, c'est déplacer le centre de gravité et, avec lui, le champ des possibles. Et, comme lorsque j'ai quitté le Quai d'Orsay en 1997, je sens autour de moi comme un mélange d'envie et de bienveillance dans cette aventure dont le caractère de projet neuf survit à des racines si anciennes ; c'est le propre des mythes. Et puis, je crois que je vais aimer notre nouvelle communauté de Columbus.

12/04/2007

Free Style (1) Entre deux mondes

C'est parti un soir, comme par bravade, l'été d'après mon retour des antipodes à Paris, au cours d'un dîner chez Jean-Pierre et Virginie. Il y avait aussi Jeff et Corinne - deux compères, deux aînés de mes années de khâgne, à Jeanne d'Arc, dans le cercle qu'animaient à l'époque Claude, Jacques, Catherine - tous les anciens du Guermantes qui se retrouvaient à La Tonne. Dès cette époque, il me semblait intuitivement que les apprentissages se faisaient au moins autant à l'extérieur qu'à l'intérieur des institutions, si peu aptes à transmettre les passions qui donnent les envies de conquête. N'en eussè-je pas, au reste, été encore tout à fait convaincu que ce cercle de libres-penseurs redoutables aurait eu tôt fait de parachever la démonstration.

A l'époque, Jean-Pierre poursuivait une quête singulière. Tous les six mois, il choisissait une spécialité et s'y investissait totalement. Psychanalyse, billard français, initiation à la Rose-Croix, immersion dans la physique quantique, lecture de la Recherche, pratique du karaté... en atteignant, dans chacune de ces disciplines, un niveau honorable. Etonnant. Il a fini par se stabiliser sur la plongée, et le parachutisme... Et, lançant l'idée ce soir-là, par m'embarquer dans l'aventure, pour le mois d'août qui suivait.

D'ordinaire, Virginie, à la fois fine et musclée, baroudeuse et en même temps posée, était de la partie - ce qui est toujours vrai pour la plongée. Mais, après le dernier incident - un saut en automatique mal engagé tout au long duquel elle s'était battue pour libérer sa jambe happée par les suspentes au sortir de l'avion, et y parvenant in extremis, elle avait, du moment où elle avait touché le sol, stoppé net - et à jamais - l'expérience.

Un an déjà que j'étais revenu en France et, sur le plan personnel, je n'avais pas encore vraiment atterri. Côté boulot, c'était parti comme en quarante - je ne pris d'ailleurs cette année-là que quatre ou cinq jours de congés. Je m'étais totalement investi dans mon nouveau job de dircom du groupe ; et puis, on préparait un peu de barouf dans le Nord, pour la rentrée.

Mais c'est comme si, psychologiquement, je ne pouvais m'empêcher de penser et de sentir en référence à la Nouvelle-Calédonie, aussi bien par un effet d'hystérésis que par une sorte d'antidote organique contre la grisaille ambiante, qui ressemblait tout de même d'assez près à une vaste dépression collective - loin, très loin de la lumière éclatante des antipodes. Je restais, pour ainsi dire, en suspension, entre deux mondes.

Je n'imaginais pas à quel point, cette fois, j'allais atterrir pour de bon.