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17/04/2007

Free Style (The end) Chute libre

Je me laisse quand même tenter par le rendez-vous que me propose Dremeaux à Troyes, avec Bertillon - pas le glacier, le champion du monde de vol relatif. On arrive un matin d'octobre, sur le terrain de Brienne-le-Château, en retard. Bertillon fait la gueule. C'est un ancien officier. On n'a pas la même approche de la discipline ; je suis beaucoup plus pointilleux que lui... Quel clown, ce Bertillon. D'entrée de jeu, je sens qu'on ne vas pas rigoler des masses.

D'ailleurs, ça commence fort. Pour le café, on verra plus tard. A peine, je lâche mes fringues qu'il me passe la combinaison. Briefing, court. On enchaîne trois sauts dans la foulée. Bertillon, au sol, c'est deux mots - trois quand il se sent de faire un discours. Un concentré technique limpide, qui me change des bavardages fumeux. En l'air, pareil. Tandis que d'autres me racontaient le code de la route en trente secondes avec tout ce qu'il faut savoir du langage des sourds et des malentendants, et l'apprentissage du swahili en option, Bertillon fait un geste ou deux de la main, pas plus, bien planté, en face, puis il va vivre sa vie et se fait oublier. De la maîtrise comme esthétique de la sobriété.

En l'air, on dirait qu'il est sur terre. Son expresso, lui, il doit le prendre tous les matins en chute libre. Sans les mains. Sans renverser une goutte non plus. Bertillon, ça doit vouloir dire Jacques Maillol en martien. Un autre monde. Aujourd'hui encore, j'ai un très grand respect, et de l'estime, pour ce type.

Après un premier saut exploratoire, on vérifie dans le deuxième que je me retourne, non pas comme je peux, mais quand je veux. Il me donne un truc tout con, Bertillon : il suffit, en cambrant le dos, de ramener un bras sur le torse et de pencher la tête comme pour regarder vers le sol du côté du bras replié. Avec la vitesse, l'air pousse sur le bras déployé et ça crée tout de suite un déséquilibre qui fait naturellement basculer sur le ventre. Bricolage de haut vol, redoutablement efficace.

Au troisième, il s'éloigne, me laisse faire, vérifie du coin de l'oeil. J'enchaîne, j'ouvre, j'atterris sans bavure - ce qui n'est pas gagné à Brienne : avec un terrain en "L" très étroit encastré entre une usine désaffectée, une route nationale et une forêt, l'atterrissage est assez technique. Sur le terrain, j'attends. Je fais quelques pas, je tourne en rond. Il finit par approcher. Un signe de la tête. Presque un sourire. "C'est bon, tu peux y aller ".

Seul.

Le lendemain matin, je grimpe tôt, toujours en Pilatus. Il fait froid, mais il y a un beau soleil, pâle et bleuté, qu'on sent monter en puissance, au-dessus de la forêt d'à-côté. De ce saut, je n'ai en fait que peu de souvenirs factuels. Pendant la montée, je suis très calme. On traverse une couche de brume, très étirée. Respiration lente, un sourire même à certains moments, mais très effacé. Beaucoup de concentration. Une sensation puissante, non pas de bien-être, mais d'unité. Très méthodique à l'approche des 4000. Salut rituel. Quand la porte s'ouvre, je suis prêt. Vraiment prêt.

En dessous, le grand bleu.

Sortie en looping. Rapide, puis freînée lentement dans les derniers tours, quand le vent prend le dessus sur l'impulsion de la rotation. Quand la boucle s'arrête, je me déploie. Je prends une position d'albatros - le bassin ancré sur la poussée de l'air, les bras largement déployés au-dessus des épaules, les jambes souples et légèrement repliées derrière.

Je reste suspendu quelques secondes... Puis enchaîne quelques figures, pour entrer dans la danse. Premier tour à gauche ; retour à la position de départ. Un temps d'arrêt. Deuxième tour à droite, puis stabilisation. Un coup d'oeil sur l'alti. J'entame un lent panoramique, bien ancré dans l'air, la tête au ciel, à 200 km/h.

Chute libre.

Face à l'horizon - une ligne pure.
Et le soleil froid de l'Aube, à portée de mains.

1500 mètres. Je tire le hand deploy, l'écarte, le lâche sur le vent relatif, l'extracteur monte à toute vitesse. La voile se déploie d'un trait, en une demi-sphère parfaite au-dessus de moi. Je décroche les freins. Pendant deux ou trois secondes, quand la voile cesse d'accrocher au vent, c'est l'expérience renouvelée du silence absolu - pendu en l'air - dans un moment de suspension indéfini... mais il faut vite remonter les suspentes pour permettre à la voile de se regonfler au vent, et les reprendre en main pour piloter la descente.

Je me lâche. C'est l'euphorie d'une descente de cascadeur sous voile. Sur chacune des suspentes, à tour de rôle, je tire à fond, ce qui donne à la descente un enchaînement de figures à 360° dans lesquelles, entraîné par le mouvement et la vitesse, on se retrouve à chaque bas de cycle la tête à l'envers, au-dessus de la voile...

Je calme le jeu à l'approche des 7-800 mètres pour caler l'atterrissage, qui se termine en douceur, en petites foulées, avec le parachute dont les larges soufflets s'affaissent lentement derrière moi.

A côté, un vieux para a atterri lui aussi. Ce monsieur de quatre-vingt ans double tout le monde en chute, avec un piqué genre Pearl Harbour qui doit l'amener au-delà des 300 km/h. Le problème, c'est qu'avec ses broches dans les tibias, il est obligé, à chaque saut, de planter l'atterrissage tout net, sans pouvoir accompagner le contact au sol. Je ne sais pas pourquoi, je me mets à songer qu'un jour, il pourrait décider de son dernier saut, sans parachute. Je repense souvent à lui.

Un coup d'oeil au ciel.

Moi qui croyais avoir atterri une bonne fois pour toutes, je me rends bien compte, à peu près aussi embarrassé que Jésus avant l'oral, que j'ai laissé le plus sublime là-haut, que le plus difficile, ce n'est pas de sauter. Et qu'il faudra bien, de temps à autre, reprendre un peu de hauteur.

16/04/2007

Free Style (5) Haute voltige

Techniquement, il n'y a rien à redire. Mais quid en cas de problème - une turbulence de dernière minute, un déséquilibre imprévu, un problème matériel ?

Lorsque je pars pour le septième saut, j'ai conscience de l'enjeu. Mais je n'évalue pas bien la nécessité brutale du test qui en découle. Mi-réflexe, mi-répétition, au cas où, je refais une ou deux fois le geste du secours. Libérer le regard de l'horizon, le fixer sur la poignée de gauche, la saisir à deux mains, tirer fort pour larguer la voile principale et, dans la foulée pour éviter un déséquilibre qui obligerait à ouvrir en mauvaise posture, attrapper celle de droite et libérer le secours.

C'est reparti.

Après m'avoir laissé accomplir la série d'enchaînements programmés, à mi-chute, Dobski descend en flèche serrée comme une bombe et vient se placer, au cordeau, face à moi. Je suis bien, très stable après un piqué rapide. Je ne me souviens encore que de son sourire. Je crois à une seconde fraternelle...

Je ne vois pas le coup venir.

D'un coup, je pars en vrille sans comprendre d'où vient le problème. Et surtout, sans rien maîtriser du dérapage. Balancé violemment à droite, à gauche, en avant, en arrière, à l'endroit, à l'envers, je valdingue dans l'espace, je n'ai plus aucun point fixe en ligne de mire. Ni stabilité, ni repères. Une affaire plutôt mal engagée.

La seule chose que je sais, que je sens physiquement, c'est que je n'ai que quelques secondes - dix peut-être, quinze au plus - pour rétablir la position et préparer l'ouverture. Et ces secondes infernales, comme scandées par un métronome implacable, défilent à une vitesse ahurissante.

Une scène hollywoodienne de déminage, dans un (très) court-métrage : quelqu'un a enclenché le compte à rebours, je joue le rôle de la bombe, le réalisateur s'est fait la malle et un type me crie : ce n'est pas un film.

Réserve sérieuse sur le happy end.

Concentré sur ma tentative de retrouver un peu de stabilité, je ne peux jeter un oeil à mon altimètre. Mais cette impossibilité-même amplifie la sensation mêlée de désordre et de vitesse. Je dois passer 1500, bientôt 1200... 1000 mètres en trombe.

Et toujours en vrac.

Au sol, les visages se tendent en commençant à distinguer clairement un point bleu descendre comme une comète, sans l'ombre d'un début d'ouverture. La limite réglementaire est à 700. Les secondes, précieuses, passent, et je continue à enchaîner tonneaux sur tonneaux, dans tous les sens, comme un coureur éjecté d'un hors-bord.

Soudain, je comprends que c'est moi qui alimente ce maelströem. Je cesse de me battre sur tous les fronts en même temps. Un très court instant, je me laisse porter par cette chute folle. Renoncer à la maîtrise à tout prix, jouer avec le mouvement. D'un coup de rein, je crée un brusque déséquilibre avec le vent pour me rétablir in extremis sur le ventre.

Pas encore tout à fait stable. Je m'en fous. C'est suffisant pour ce que j'ai à faire ; pour la perfection, on verra plus tard.

A peine la position retrouvée, j'arrache le hand deploy comme une brute. La voile se gonfle instantanément au vent. Un coup d'oeil en remontant au sol qui, enfin, semble s'éloigner un peu. Et tout de suite un autre, en sens inverse, vers le haut.

Vers la voile.

Quelques instants de doute face à un début de torsade. Je pédale dans l'autre sens pour inverser le mouvement... Après une seconde ou deux d'inertie, les suspentes retrouvent en quelques tours une position normale, droite et équilibrée sous la voile.

Reste la sangle droite, qui me paraît anormalement détachée. A trente centimètres environ au-dessus de l'épaule, j'ai l'impression que le harnais peut décrocher... Tant pis, on fera avec, tout doux. Je compense en me calant progressivement de façon plus serrée sur la partie gauche du harnais.

Pas de gestes brusques. Respirer avec la voile. Des virages au millimètre. Manipuler le parachute comme si j'avais le paquetage blindé de nitro. Laisser filer, manoeuvrer au strict minimum.

Je me laisse descendre vers le terrain, concentré sur un mouvement fluide et précis pour se caler tout de suite sur la manoeuvre d'approche.

C'est fini.


Si ça se trouve, il a eu un aïeul massacré dans une bataille napoléonienne. Ce cosaque vient de me passer, à quelques secondes de l'ouverture, une planchette japonaise à 250 km/h. Et moi je viens de passer à côté du crash, et du solo à suivre. Le pire, c'est qu'il a eu raison, Dobski.

Je me mets à douter.

Partie remise ?

15/04/2007

Free Style (4) On air

Rien.

Je ne comprends rien à ce que me racontent en vol Hamouchi & Dobski, qui multiplient les signes supposés m'aider à corriger ma position. Un langage de sourds. Tout ceci à 200 km/h, un peu plus de 50 m /s, ce qui nous rapproche tout de même assez rapidement du plancher des vaches. Quelques poignées témoins pour répéter l'ouverture - la main droite va toucher le hand deploy derrière la cuisse, la gauche équilibre symétriquement par un geste courbe au-dessus de la tête, comme dans le "gedan barai" des karatekas.

La vitesse déforme les visages. Les joues remontent vers les pommettes en une série de vaguelettes ininterrompues qui semblent flotter au vent comme des drapeaux de chair. On en prend plein la gueule. A peine le temps de profiter de la chute. Pas plus d'espace pour regarder au-delà du staff, qui bloque l'horizon autour de moi et sature l'espace de signes dans tous les sens. Vieux travers pédagogique : une prétention à la maîtrise qui étouffe le plaisir. Du coup, j'ai le dépucelage technique - la fierté sans l'extase.

C'est Dobski finalement qui dégaine vers 2000 mètres. Je me retrouve illico projeté vers le plafond par l'effet de freinage produit par l'ouverture de la voile, qui tire sur le harnais et happe littéralement le corps par les épaules et les aines vers le haut, en pleine vitesse. Le temps de se caler dans les sangles soudain violemment resserrées, je teste la voile, qui s'ouvre et se déploie normalement, et les freins, qui se desserrent en douceur. Puis, dans un lent balancement de virages alternés, descente tranquille, guidée à la radio et aux jumelles par Claude, depuis le terrain. Approche en "U" amorcée à 500 mètres. C'est du gâteau pour se positionner en deux derniers virages face au vent, lâcher les freins à deux mètres du plancher et accompagner le contact au sol de quelques foulées.

Atterrissage nickel.

Le lendemain, avant même d'avoir sauté, un membre du groupe jette l'éponge. Le surlendemain, deux autres se font éjecter : un gars du Nord, tétanisé d'heures en heures par un défi qui, manifestement, n'est pas le sien, et un jeune pilote d'hélico marocain. Trop incontrôlables en vol, le pilote en particulier : une vraie toupie, ce type, il tourne, il tourne, sans jamais parvenir à s'arrêter. Obligé à la fois de l'agripper et de le plaquer en l'air, le staff ne peut pas le laisser sauter seul. Fin de l'aventure. Pareil pour un ancien militaire trop habitué à être lâché en automatique comme un sac à patates avec trente kilos de matos sur le dos et à s'écraser au sol comme une masse pour entrer dans la danse, dans la liberté de la chute.

Je continue les jours qui suivent en corrigeant peu à peu un réflexe idiot, qui apparaît nettement à la video, consistant dans les premiers mètres à rechercher mes appuis en l'air avec les jambes, comme en une ultime résistance au geste le plus anti-naturel qui soit : se jeter dans le vide à 4500 mètres, sans intention suicidaire identifiée a priori au moment du saut.

Conformément à la procédure, Dobski s'éloigne de plus en plus de moi, jusqu'à deux ou trois cents mètres, à partir du troisième saut. Sorties du zinc seul ou en figures avec lui, dans toutes les positions - avant, arrière, en boule ou en saut de l'ange. Déplacement progressif du curseur de la peur vers le plaisir. Premières figures en vol : rotations à droite, à gauche, loopings avant, loopings arrière, descentes en flèche et rétablissement en douceur. Sensation de maîtrise d'une nouvelle gymnastique dans l'espace. Jouissif.

Reste tout de même un problème de taille : la difficulté à se rétablir à plat à partir d'une position dos au sol. Difficile de me lâcher avant d'avoir sérieusement bordé le sujet, sauf à prendre le risque de me laisser ouvrir dos au sol. Autant dire d'aller à l'abattoir.

14/04/2007

Free Style (3) Boucan d'enfer

Dans un boucan d'enfer, porte ouverte pour attrapper un peu d'air au passage - on est tassés à une dizaine là-dedans -, le zinc se dirige vers la piste. C'est un Pilatus, un appareil de montagne conçu pour porter des charges, et utilisé par les paras parce qu'il décolle court. L'avion amorce un dernier virage, stoppe quelques instants. Puis, il met plein gaz. L'appareil prend de la vitesse, persiste, accumule de la puissance. Le zinc tremble de tous les côtés, le corps de l'avion se cabre, ça craque, ça vibre, le moteur nous hurle dans les tympans tout ce qu'il a dans le ventre. On finit par s'arracher du sol. Et on monte, lentement, droit devant.

100, 200, 300 mètres, on est encore un peu sur terre. Impression, irréelle, de faire du surplace. Vers 4/500 mètres, le zinc commence à entamer une série de cercles concentriques. L'ascension se poursuit en spirales. Bientôt 1000 mètres. A bord, concentrée, une petite équipe, les yeux fermés, commence à répéter mentalement les gestes des figures de vol relatif à suivre, seulement esquissées ici, dans la promiscuité de l'appareil, à travers les signes contenus de la scansion des postures. Etrange rite. On dirait une prière.

1500 mètres. L'air, peu à peu, se rafraîchit. Toute la bande fait corps, encastrée en deux rangées, l'une sur un minuscule banc de bois, l'autre par terre. 2000... 2500 mètres. Je sens que c'est à ce moment-là que le saut commence. Faire le vide. Ne plus penser. Basculer de la tête aux tripes. Puissant moment de vérité. J'ai vu des gens, plus tard, lâcher à cet instant parce que c'est à ce moment que, pour basculer mentalement de l'autre côté il faut faire un avec son corps, trouver instinctivement son centre de gravité propre. Connaître sa faiblesse, découvrir sa force. En avoir ou pas.

On approche des 3000 mètres. La courbe de l'ascension s'infléchit très progressivement. Premier signal. Lunettes, casque: chacun complète son équipement dans des gestes réglés au millimètre. 3200 mètres. Re-vérification du matériel. Dobski checke l'arrière de mon sac, les deux aiguilles de déclenchement du principal et du secours, et le hand deploy (la poignée d'ouverture), dont il s'assure qu'elle est dégagée. De la tête, il me demande de saisir à mon tour la boule de mousse, derrière, collée à la cuisse, qui la matérialise.

3300, 3400 mètres. L'aiguille de l'altimètre, à droite de la porte, ralentit son cours. Les poings, brièvement, se croisent et s'entrechoquent en un salut rituel. L'ascension prend fin. Nouvelle impression de sur-place, cette fois complètement affranchie du sol, au sommet du dernier virage que l'avion vient de dessiner - vent de face pour nous permettre de gicler vers l'arrière. L'alti se boque sur 3500 mètres. L'appareil se stabilise. On dirait que le pilote vient de couper les gaz.

Brusquement, un des passagers ouvre la porte latérale. Le vent s'engouffre aussi sec au droit de l'ouverture. Les premiers chuteurs, en solo, ou en grappes de deux ou trois, dégagent à la vitesse de l'éclair. Deux ou trois secondes pour se caler près de la porte, une ou deux autres pour sauter. De l'intérieur, on ne les voit que disparaître, sur un tempo serré que personne ne donne, mais qui s'impose à tout le monde. C'est le vide, et l'aspiration dans laquelle il nous entraîne, qui commande.

Tout va très vite. Je remonte en continu la rangée à mesure qu'elle se libère. C'est mon tour. Hamouchi passe devant et se suspend au-dessus de la porte, face à moi. Dobski attrappe la barre latérale. Dans le mouvement, je viens me caler à la lisière de la porte. Un genou replié pour l'impulsion, l'autre à terre - au-dessus du vide. Hamouchi me regarde. Droit dans les yeux. Puis il compte de la tête... Trois... deux...

Un millième de seconde d'éternité.

Je plonge.

13/04/2007

Free Style (2) Dernier vol

On finit par débarquer le 6 août sur le terrain de Lapalisse, près de Vichy - un centre européen de chute libre réputé. La veille, pour la clôture d'un grand rassemblement, deux types s'étaient heurtés de plein fouet en phase d'atterrissage. Une sorte d'accident de la circulation, à une centaine de mètres du sol.

Deux morts.

Silence pesant autour de Claude, le directeur technique, le soir à table lorsque j'évoque la sécurité en vol, sans être alors au courant de ce qui venait se passer. Quelques propos rassurants de principe sortent ; puis la conversation reprend son cours.

Le lendemain matin, briefing sur le terrain, la "PAC" (préparation accélérée à la chute, un concept yankee) démarre. On est huit dans le groupe. Toute la journée, cours, répétitions, exercices, langage des signes en l'air, manipulations, tests.

Dix fois, vingt fois, cent fois dans la journée, on se focalise sur l'altimètre, sorte de montre de survie. Point focal d'un espace-temps singulier où le temps passe, mais en beaucoup plus vite, et où simultanément le sol se rapproche, mais d'une façon si irréelle que l'on n'en prend pas conscience - ou plutôt, que l'on n'en prend pas conscience assez vite. Surtout au début lorsque, soudain projeté dans les airs, on se retrouve bombardé de milliers d'informations inédites dans un univers radicalement nouveau, presque une autre planète.

Mais c'est encore vrai plus tard, comme par une sorte de narcose des airs. J'en ai connu un à Troyes, un type qui avait 6 ou 7000 sauts au compteur, et qui, pris par les enchaînements d'une séance free style, a ouvert sous les 225 m en même temps que le parachute de sécurité. A peine eu le temps de larguer sa voile principale (qu'on a retrouvé 4 ou 5 km plus loin). Il s'est scratché sur un arbre. Indemme. Si bien que nombre de parachutistes chevronnés s'équipent d'un altimètre sonore pour se consacrer totalement au saut, tout en sécurisant le process.

La fin de la journée approche. La tension monte. Sortie sur le terrain, à deux pas du tarmac, pour voir. Il reste une place dans le dernier vol. Le terrain est soudain envahi d'un coucher de soleil puissant et chaud - une chaleur concentrée, accentuée par le port de la combinaison. C'est comme si, à ce moment précis, j'accueillais en plein plexus le centre de gravité d'une fusion vacillante de la terre et du ciel - un peu comme dans un mirage - estompant les frontières habituelles autour de moi. Le reste du groupe devient flou. Les autres n'existent plus. Je sens que c'est pour moi. J'avance vers Hamouchi. "Ok, ça marche, on y va".

Claude, qui veille, m'appelle et me prend en charge immédiatement. Pendant vingt secondes, tout affect disparaît. Je ne suis plus là qu'un morceau de chair harnachée, un objet volant potentiel, qu'il manipule des yeux et des mains en passant en revue méthodiquement tous les points clés. Re-test du matériel, vérification du sac, du harnais, de la sangle de poitrine et des cuissardes, du LOR (liberation ouverture reserve), alti, poignée, casque, lunettes - tout y passe, et peut-être aussi, la tension, contrôlée, du drame des derniers jours, qui n'avait d'ailleurs rien à voir avec une quelconque faute technique au sol. Fin du contrôle. Léger sourire. C'est bon.

Le premier saut est accompagné de deux moniteurs, Dobski se joint à nous. Je suis entouré d'un petit maghrébin, aux allures de Djamel, en moins drôle, et d'un grand russe, qui ressemble à la brute qui massacre le copain de Stallone dans Rocky III, en nettement plus amène.

Derniers conseils en se dirigeant vers l'appareil. Nouvelle répétition, cette fois de la sortie de l'avion. Les moteurs vrombissent, lâchant une odeur âcre de kérosène sur le tarmac. On embarque.