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14/04/2007

Free Style (3) Boucan d'enfer

Dans un boucan d'enfer, porte ouverte pour attrapper un peu d'air au passage - on est tassés à une dizaine là-dedans -, le zinc se dirige vers la piste. C'est un Pilatus, un appareil de montagne conçu pour porter des charges, et utilisé par les paras parce qu'il décolle court. L'avion amorce un dernier virage, stoppe quelques instants. Puis, il met plein gaz. L'appareil prend de la vitesse, persiste, accumule de la puissance. Le zinc tremble de tous les côtés, le corps de l'avion se cabre, ça craque, ça vibre, le moteur nous hurle dans les tympans tout ce qu'il a dans le ventre. On finit par s'arracher du sol. Et on monte, lentement, droit devant.

100, 200, 300 mètres, on est encore un peu sur terre. Impression, irréelle, de faire du surplace. Vers 4/500 mètres, le zinc commence à entamer une série de cercles concentriques. L'ascension se poursuit en spirales. Bientôt 1000 mètres. A bord, concentrée, une petite équipe, les yeux fermés, commence à répéter mentalement les gestes des figures de vol relatif à suivre, seulement esquissées ici, dans la promiscuité de l'appareil, à travers les signes contenus de la scansion des postures. Etrange rite. On dirait une prière.

1500 mètres. L'air, peu à peu, se rafraîchit. Toute la bande fait corps, encastrée en deux rangées, l'une sur un minuscule banc de bois, l'autre par terre. 2000... 2500 mètres. Je sens que c'est à ce moment-là que le saut commence. Faire le vide. Ne plus penser. Basculer de la tête aux tripes. Puissant moment de vérité. J'ai vu des gens, plus tard, lâcher à cet instant parce que c'est à ce moment que, pour basculer mentalement de l'autre côté il faut faire un avec son corps, trouver instinctivement son centre de gravité propre. Connaître sa faiblesse, découvrir sa force. En avoir ou pas.

On approche des 3000 mètres. La courbe de l'ascension s'infléchit très progressivement. Premier signal. Lunettes, casque: chacun complète son équipement dans des gestes réglés au millimètre. 3200 mètres. Re-vérification du matériel. Dobski checke l'arrière de mon sac, les deux aiguilles de déclenchement du principal et du secours, et le hand deploy (la poignée d'ouverture), dont il s'assure qu'elle est dégagée. De la tête, il me demande de saisir à mon tour la boule de mousse, derrière, collée à la cuisse, qui la matérialise.

3300, 3400 mètres. L'aiguille de l'altimètre, à droite de la porte, ralentit son cours. Les poings, brièvement, se croisent et s'entrechoquent en un salut rituel. L'ascension prend fin. Nouvelle impression de sur-place, cette fois complètement affranchie du sol, au sommet du dernier virage que l'avion vient de dessiner - vent de face pour nous permettre de gicler vers l'arrière. L'alti se boque sur 3500 mètres. L'appareil se stabilise. On dirait que le pilote vient de couper les gaz.

Brusquement, un des passagers ouvre la porte latérale. Le vent s'engouffre aussi sec au droit de l'ouverture. Les premiers chuteurs, en solo, ou en grappes de deux ou trois, dégagent à la vitesse de l'éclair. Deux ou trois secondes pour se caler près de la porte, une ou deux autres pour sauter. De l'intérieur, on ne les voit que disparaître, sur un tempo serré que personne ne donne, mais qui s'impose à tout le monde. C'est le vide, et l'aspiration dans laquelle il nous entraîne, qui commande.

Tout va très vite. Je remonte en continu la rangée à mesure qu'elle se libère. C'est mon tour. Hamouchi passe devant et se suspend au-dessus de la porte, face à moi. Dobski attrappe la barre latérale. Dans le mouvement, je viens me caler à la lisière de la porte. Un genou replié pour l'impulsion, l'autre à terre - au-dessus du vide. Hamouchi me regarde. Droit dans les yeux. Puis il compte de la tête... Trois... deux...

Un millième de seconde d'éternité.

Je plonge.

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