20/08/2009
Je me souviens (4) In memoriam, Michel Jacquesson (Le plaisir vaporeux fuira vers l'horizon...)
Je me souviens de Lawrence, le chauffeur taciturne de "Big Apple Bus", et de son vieux minibus poussif sorti d'un hangard de Brooklyn, dont la climatisation nous chauffait davantage les pieds qu'elle nous rafraîchissait la tête.
Je me souviens de notre joyeuse procession remontant paisiblement la 88ème depuis l'angle de Riverside Drive, par une splendide journée d'été, à l'ombre mesurée des arbres chétifs qui venaient d'y être plantés.
Je me souviens, tel père, tel fils, que nous avons accroché nos cravates direct en entrant, comme des Américains, une touche de classe en plus - avec le temps, je me détends, tu t'adoucis.
Je me souviens des coupes de Ponsardin qui s'alignaient sur le buffet mongol, rebaptisé bar américain, du Chassagne-Montrachet - et du Michel Jacquesson, de Beaunay, ça ne s'invente guère, entre la mort de Michael et la fête de nos noces ; et je me souviens, là dessus, d'Eric brisant deux coupes d'affilée, pour nous porter bonne chance.
Je me souviens du régal de la cuisine américano-japonaise des Docks à laquelle s'affairait un chef faussement dur et une serveuse adorable - des petits hamburgers et des bouchées de homard, des bruschette et des chicken satay, des petits hot dogs et des maki rolls minute.
Je me souviens du magnifique chapeau jaune et noir de Régine que s'arrachaient les filles et qui volait de tête en tête, près du miroir de la cheminée, dans de grands éclats de rire.
Je me souviens de Jules, ravi et subversif, me rappelant que l'on avait choisi l'église où Chomsky officiait ("Crisis and Hope: Theirs and Ours" - je me souviens d'ailleurs, mon gars, avoir piqué l'affiche pour toi) tout en visant la bibliothèque, pendant que Ben sécurisait le périmètre.
Je me souviens de papa posant, heureux, sur la terrasse doucement ombragée, entre ses deux fils et faisant, d'un sourire, la synthèse entre celui qui causait trop et celui qui n'en pensait pas moins.
Je me souviens que je ne savais plus où donner de la tête, entre le séjour et la terrasse, les verres et les mets, la cuisine et la chambre, le frigo et la cave, les uns et les autres - je me souviens que le temps filait à toute allure, entre mes mains de maçon.
Je me souviens que les femmes étaient belles et que nous étions heureux, à boire des coups ensemble - l'éternité, mon Dieu, à présent que te voilà mon nouveau camarade de fortune, ça passe trop vite, vois-tu, mon petit Père.
Oui, " Souviens-toi !...
Le Plaisir vaporeux fuira vers l'horizon / Ainsi qu'une sylphide au fond de la coulisse; / Chaque instant te dévore un morceau du délice / À chaque homme accordé pour toute sa saison....".
06:43 Publié dans Un mariage à New York | Tags : chomsky, mariage, amour, new york, veuve clicquot, chassagne-montrachet, docks | Lien permanent | Commentaires (2)
07/01/2008
Bruce Lee, Obama (Huckabee) et moi (3) Le retour du dragon (et de Chuck Norris par la même occasion)
Enfin, fuir : non (j'ai toujours eu du mal à tirer les leçons du passé, ça finira par me perdre dans le futur). Et mourir ? Vu comment il assure en karaté l'autre teigne là : peut-être quand même que ce serait difficile de passer au travers le zigouillage pour de bon ce coup-là.
Sous le regard dubitatif des passants, qui ne pouvaient pas comprendre vu qu'ils avaient raté l'épisode précédent, je me suis donc mis en garde à mon tour, me suis déplacé de droite à gauche, ai fait craquer quelques cervicales - c'est un truc de karateka qui impressionne toujours, et que j'ai gardé pour les matins de torticolis, enfin surtout quand le torticolis est passé en fait, sinon ça coince douloureusement, comme quand cette espèce d'abruti de kiropracteur de Val Plaisance s'acharnait à me passer la numéro 23, ou la 37 je ne sais plus, alors qu'il voyait bien que c'était aussi coincé que le pouvoir d'achat à Marolles en Hurepoix, ce qui fait d'ailleurs que les arts martiaux sont très développés dans cette petite commune moche comme tout.
J'ai donc défié Bruce Lee.
Mais non : rien. Il était tout simplément pétrifié. On aurait dit une vraie statue. Il n'y a pas eu de combat du coup. C'est là qu'on voit bien que La fureur de vaincre, c'était que du cinoche. Je ne dis pas que j'étais très fier de cette victoire, qui consacrait plutôt la faiblesse de mon adversaire que ma maîtrise des arts martiaux, mais enfin, une vieille névrose se dénouait, enfin - forcément avec un peu de tristesse, on s'attache.
Le pire avec tout ça c'est qu'en rentrant, et cela malgré les avertissements répétés de Zach Manifold, le patron des Démocrates du coin, j'ai fini par rater le meeting d'Obama au Convention Center de Columbus.
Quel con quel con quel con ce n'est pas possible d'être aussi con.
Juste avant le Cauca de l'Iowus, en plus.
Battre Bruce Lee à plates coutures, être soudain libéré de mes fantômes, voir s'ouvrir alors de nouveaux horizons et pouvoir notamment apporter mon soutien actif (ainsi que quelques conseils stratégiques) à Barack pour son meeting à la maison, et passer à travers, non mais, je vous jure...
Je me demande s'il y a vraiment lieu à commenter plus avant cette histoire - débile, et voilà tout. Ce serait un peu comme imaginer qu'en face, Chuck Norris, l'adversaire historique de Bruce Lee (dans La fureur du dragon notamment) apporte son soutien à Mike Huckabee et que celui-ci sorte vainqueur du premier scrutin dans le Midwest.
Il y a tout de même des limites à la connerie, vous ne trouvez pas ?
22:58 Publié dans Du rififi chez les Yankees | Tags : Obama, Huckabee, amour, karaté, politique, Dieu, Iowa | Lien permanent | Commentaires (2)
05/01/2008
Bruce Lee, Obama et moi (2) La multiplication des pains peut toujours en cacher une autre
Finalement, c'est à Hong-Kong qu'a eu lieu la confrontation. Ça s'est passé sur l'avenue des Stars, en octobre dernier, sur la promenade, devant l'hôtel. Tout à coup, je me suis retrouvé face à lui. Il était déjà en position, manifestement agressif - vous savez avec ce petit sourire méchant, en coin, et cette sorte de feulement de la mort qui l'accompagne et qui vous paralyse rien qu'en souvenir - immense, là, au milieu des badauds.
Je n'ai pas reculé. Je ne pouvais pas. Tout seul, je ne dis pas que je ne me serais pas enfui discrètement dans le mall à côté acheter, je-ne-sais-pas moi, un slip, une perruque ou une paire de Ray-Ban. Mais là, non, ça aurait fait lâche genre : "Ah d'accord, tu provoques en faux, mais quand après c'est en vrai, il y a plus personne". On n'imagine pas le nombre de types qui sont morts pour faire le beau - moi-même, plusieurs fois, ça ne m'est pas passé loin.
Comme une fois devant le collège Fontenelle en revenant du lycée Jeanne d'Arc, abrité de la pluie sous un porche, avec la belle Claude : le premier qui était venu nous emmerder, j'avais fini par me le faire. C'est avec le deuxième, le boxeur qui m'a tapé sur l'épaule, que j'ai moins sympathisé.
Ça avait pourtant bien commencé avec son : "Eh, t'as fait quoi à mon pote, toi ?". Une entrée en matière un peu rugueuse, mais enfin une amorce de dialogue. Le truc, c'est que je n'ai pas eu le temps de répondre. Après, ça a fait un peu la même musique que le récit de Joe Pesci au restaurant dans Goodfellas : bim bam bom, etc. Enfin tout de même : je me demande si le quarante-troisième bourre-pif était vraiment nécessaire. C'est comme l'épisode de la multiplication des pains (Matthieu 14, 14-21) : il y a un moment où on voit bien que tout le monde est rassasié, mais non, il faut qu'il continue l'autre, tout ça pour faire le malin.
Résultat, le lendemain, elle m'abandonne en disant que sa tête ne tournait pas rond, tout ça. Ben et moi, avec ce que je m'étais pris la veille, j'allais bien dans ma tête au carré peut-être ? Sacrée Claude, va. D'ailleurs, franchement, avec un prénom pareil, je ne dis pas que c'est pire que Bernard par exemple, mais il aurait tout de même fallu que, malgré la compétition de baby-foot qui redoublait d'intensité à la Tonne et le bac de français qui approchait à grands pas, je te trouve un petit nom vite fait ma cocotte. "Clodette" peut-être. Sinon, il y a Monica que j'aime bien aussi.
Bref. Ce coup-ci : non.
19:45 Publié dans Du rififi chez les Yankees | Tags : Obama, Huckabee, amour, karaté, politique, Dieu, Iowa | Lien permanent | Commentaires (0)
24/12/2007
Bruce Lee, Obama et moi (1) Vertige de l'amour à l'état de pré-cristallisation automnale
La première fois, ça m'avait pris en traversant Chinatown en direction de Little Italy, NYC. "Tu veux te battre avec moi ?" lançais-je à la cantonnade en esquissant le geste qui ouvre le premier kata do shokotan, sous les yeux effarés de ma compagne, qui devait alors se dire à elle-même : "Mon Dieu, je me suis complètement trompée sur le compte de ce type, qui m'a tout l'air d'un dangereux frappadingue" (comme dirait ma copine Régine). A moins qu'il ne s'agisse d'un abruti fini ?" hésita-t-elle peut-être alors.
Vertige de l'amour à l'état de pré-cristallisation automnale. Cela ne faisait pas extrêmement longtemps en effet que nous étions ensemble, peut-être deux ou trois mois en décomptant cette s... d'été - ah, l'aimable saison - où elle m'avait laissé quasiment sans nouvelles, la langue pendante, brûlant au soleil, après notre première rencontre. Alors soit, passons sur ces atroces souffrances puisque ce n'est pas là le sujet de cette chronique, mais ne glissons pas pour autant, sous la torture éponyme, sur le côté déjà chinois de l'affaire.
La Chine a beau être la magnifique contrée que décrivent avec tant d'entrain les associations philanthropiques tibétaines, elle n'en recèle donc pas moins en son sein un horrible déni du droit de l'homme qui a rencontré sa femme au début de l'été à la retrouver avant la fin du moins de septembre. Ingrid Betancourt ? On va y arriver ! Le Darfour ? Continuons ! Mais l'amour en Chine, qui s'en soucie ? Question droits de l'Homme, il y aurait donc bien deux poids, deux gonades.
Or donc, au beau milieu de Chinatown, juste avant que je ne finisse par entrer dans une boutique de massage du dos express avec vue sur rue pour me détendre (je travaillai beaucoup cet automne-là), je vérifiais, non sans bravoure, et d'une façon imparable, mon invulnérabilité - un peu comme du Guesclin, si l'on veut, mais sans l'armure, donc plus souple, mais aussi plus exposé.
Car aucun asiate n'osa relever le défi, le lâche.
Pourtant, aujourd'hui encore, je m'interroge : étaient-ils réellement pétrifiés par la puissance de mon art ? (la place me manque ici pour rentrer dans la technique, mais disons simplement que j'avais étudié avec soin, des années même avant de pratiquer cet art noble et viril à l'Université de Mont-Saint Aignan, la technique brucelinienne associant la souplesse du chat à la force du tigre) Ou bien n'y en avait-il réellement pas un pour parler français, dans ce quartier ?
07:11 Publié dans Du rififi chez les Yankees | Tags : Bruce Lee, politique, Chine, Darfour, Ingrid Betancourt, droits de l'homme, amour | Lien permanent | Commentaires (0)