16/04/2007
Free Style (5) Haute voltige
Techniquement, il n'y a rien à redire. Mais quid en cas de problème - une turbulence de dernière minute, un déséquilibre imprévu, un problème matériel ?
Lorsque je pars pour le septième saut, j'ai conscience de l'enjeu. Mais je n'évalue pas bien la nécessité brutale du test qui en découle. Mi-réflexe, mi-répétition, au cas où, je refais une ou deux fois le geste du secours. Libérer le regard de l'horizon, le fixer sur la poignée de gauche, la saisir à deux mains, tirer fort pour larguer la voile principale et, dans la foulée pour éviter un déséquilibre qui obligerait à ouvrir en mauvaise posture, attrapper celle de droite et libérer le secours.
C'est reparti.
Après m'avoir laissé accomplir la série d'enchaînements programmés, à mi-chute, Dobski descend en flèche serrée comme une bombe et vient se placer, au cordeau, face à moi. Je suis bien, très stable après un piqué rapide. Je ne me souviens encore que de son sourire. Je crois à une seconde fraternelle...
Je ne vois pas le coup venir.
D'un coup, je pars en vrille sans comprendre d'où vient le problème. Et surtout, sans rien maîtriser du dérapage. Balancé violemment à droite, à gauche, en avant, en arrière, à l'endroit, à l'envers, je valdingue dans l'espace, je n'ai plus aucun point fixe en ligne de mire. Ni stabilité, ni repères. Une affaire plutôt mal engagée.
La seule chose que je sais, que je sens physiquement, c'est que je n'ai que quelques secondes - dix peut-être, quinze au plus - pour rétablir la position et préparer l'ouverture. Et ces secondes infernales, comme scandées par un métronome implacable, défilent à une vitesse ahurissante.
Une scène hollywoodienne de déminage, dans un (très) court-métrage : quelqu'un a enclenché le compte à rebours, je joue le rôle de la bombe, le réalisateur s'est fait la malle et un type me crie : ce n'est pas un film.
Réserve sérieuse sur le happy end.
Concentré sur ma tentative de retrouver un peu de stabilité, je ne peux jeter un oeil à mon altimètre. Mais cette impossibilité-même amplifie la sensation mêlée de désordre et de vitesse. Je dois passer 1500, bientôt 1200... 1000 mètres en trombe.
Et toujours en vrac.
Au sol, les visages se tendent en commençant à distinguer clairement un point bleu descendre comme une comète, sans l'ombre d'un début d'ouverture. La limite réglementaire est à 700. Les secondes, précieuses, passent, et je continue à enchaîner tonneaux sur tonneaux, dans tous les sens, comme un coureur éjecté d'un hors-bord.
Soudain, je comprends que c'est moi qui alimente ce maelströem. Je cesse de me battre sur tous les fronts en même temps. Un très court instant, je me laisse porter par cette chute folle. Renoncer à la maîtrise à tout prix, jouer avec le mouvement. D'un coup de rein, je crée un brusque déséquilibre avec le vent pour me rétablir in extremis sur le ventre.
Pas encore tout à fait stable. Je m'en fous. C'est suffisant pour ce que j'ai à faire ; pour la perfection, on verra plus tard.
A peine la position retrouvée, j'arrache le hand deploy comme une brute. La voile se gonfle instantanément au vent. Un coup d'oeil en remontant au sol qui, enfin, semble s'éloigner un peu. Et tout de suite un autre, en sens inverse, vers le haut.
Vers la voile.
Quelques instants de doute face à un début de torsade. Je pédale dans l'autre sens pour inverser le mouvement... Après une seconde ou deux d'inertie, les suspentes retrouvent en quelques tours une position normale, droite et équilibrée sous la voile.
Reste la sangle droite, qui me paraît anormalement détachée. A trente centimètres environ au-dessus de l'épaule, j'ai l'impression que le harnais peut décrocher... Tant pis, on fera avec, tout doux. Je compense en me calant progressivement de façon plus serrée sur la partie gauche du harnais.
Pas de gestes brusques. Respirer avec la voile. Des virages au millimètre. Manipuler le parachute comme si j'avais le paquetage blindé de nitro. Laisser filer, manoeuvrer au strict minimum.
Je me laisse descendre vers le terrain, concentré sur un mouvement fluide et précis pour se caler tout de suite sur la manoeuvre d'approche.
C'est fini.
Si ça se trouve, il a eu un aïeul massacré dans une bataille napoléonienne. Ce cosaque vient de me passer, à quelques secondes de l'ouverture, une planchette japonaise à 250 km/h. Et moi je viens de passer à côté du crash, et du solo à suivre. Le pire, c'est qu'il a eu raison, Dobski.
Je me mets à douter.
Partie remise ?
19:10 Publié dans Petit traité de gravitation appliquée | Tags : récit, littérature, aventure | Lien permanent | Commentaires (0)
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