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15/04/2007

Free Style (4) On air

Rien.

Je ne comprends rien à ce que me racontent en vol Hamouchi & Dobski, qui multiplient les signes supposés m'aider à corriger ma position. Un langage de sourds. Tout ceci à 200 km/h, un peu plus de 50 m /s, ce qui nous rapproche tout de même assez rapidement du plancher des vaches. Quelques poignées témoins pour répéter l'ouverture - la main droite va toucher le hand deploy derrière la cuisse, la gauche équilibre symétriquement par un geste courbe au-dessus de la tête, comme dans le "gedan barai" des karatekas.

La vitesse déforme les visages. Les joues remontent vers les pommettes en une série de vaguelettes ininterrompues qui semblent flotter au vent comme des drapeaux de chair. On en prend plein la gueule. A peine le temps de profiter de la chute. Pas plus d'espace pour regarder au-delà du staff, qui bloque l'horizon autour de moi et sature l'espace de signes dans tous les sens. Vieux travers pédagogique : une prétention à la maîtrise qui étouffe le plaisir. Du coup, j'ai le dépucelage technique - la fierté sans l'extase.

C'est Dobski finalement qui dégaine vers 2000 mètres. Je me retrouve illico projeté vers le plafond par l'effet de freinage produit par l'ouverture de la voile, qui tire sur le harnais et happe littéralement le corps par les épaules et les aines vers le haut, en pleine vitesse. Le temps de se caler dans les sangles soudain violemment resserrées, je teste la voile, qui s'ouvre et se déploie normalement, et les freins, qui se desserrent en douceur. Puis, dans un lent balancement de virages alternés, descente tranquille, guidée à la radio et aux jumelles par Claude, depuis le terrain. Approche en "U" amorcée à 500 mètres. C'est du gâteau pour se positionner en deux derniers virages face au vent, lâcher les freins à deux mètres du plancher et accompagner le contact au sol de quelques foulées.

Atterrissage nickel.

Le lendemain, avant même d'avoir sauté, un membre du groupe jette l'éponge. Le surlendemain, deux autres se font éjecter : un gars du Nord, tétanisé d'heures en heures par un défi qui, manifestement, n'est pas le sien, et un jeune pilote d'hélico marocain. Trop incontrôlables en vol, le pilote en particulier : une vraie toupie, ce type, il tourne, il tourne, sans jamais parvenir à s'arrêter. Obligé à la fois de l'agripper et de le plaquer en l'air, le staff ne peut pas le laisser sauter seul. Fin de l'aventure. Pareil pour un ancien militaire trop habitué à être lâché en automatique comme un sac à patates avec trente kilos de matos sur le dos et à s'écraser au sol comme une masse pour entrer dans la danse, dans la liberté de la chute.

Je continue les jours qui suivent en corrigeant peu à peu un réflexe idiot, qui apparaît nettement à la video, consistant dans les premiers mètres à rechercher mes appuis en l'air avec les jambes, comme en une ultime résistance au geste le plus anti-naturel qui soit : se jeter dans le vide à 4500 mètres, sans intention suicidaire identifiée a priori au moment du saut.

Conformément à la procédure, Dobski s'éloigne de plus en plus de moi, jusqu'à deux ou trois cents mètres, à partir du troisième saut. Sorties du zinc seul ou en figures avec lui, dans toutes les positions - avant, arrière, en boule ou en saut de l'ange. Déplacement progressif du curseur de la peur vers le plaisir. Premières figures en vol : rotations à droite, à gauche, loopings avant, loopings arrière, descentes en flèche et rétablissement en douceur. Sensation de maîtrise d'une nouvelle gymnastique dans l'espace. Jouissif.

Reste tout de même un problème de taille : la difficulté à se rétablir à plat à partir d'une position dos au sol. Difficile de me lâcher avant d'avoir sérieusement bordé le sujet, sauf à prendre le risque de me laisser ouvrir dos au sol. Autant dire d'aller à l'abattoir.