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24/04/2007

Pataskala Tornado (2) Du problème de l'employabilité en période de tempête

Tout au long de la semaine, j'ai donc vaillamment enrichi l'éventail, certes déjà large, de mes compétences : chauffeur, garde du corps, goûteur, teenager-sitter, punching ball, nounours (aujourd'hui encore, il y a Barnabé, un hippopotame en peluche coincé entre deux coussins, qui témoigne de l'étendue du désastre sur le sofa), majordome, clown, chien de compagnie (j'ai même été rebaptisé "Dudaï Brutus", une sorte de mix entre Doudou et Toutou, pour la circonstance), assistant video, secrétaire, DJ, coach. Et j'en passe.

Il faudra que je leur en reparle à l'ANPE, ils ont pas voulu de moi, mais je les aime quand même. Il faut dire aussi que je traverse une phase christique d'amour universel pour le genre humain ces derniers temps, ça se voit surtout à mes cheveux plus longs et à mes jeans "shabby", comme on dit chez Abercrombie. Quand je pense d'ailleurs qu'à l'heure qu'il est, Anny est en train de présenter ses collections au boss de la New Albany Company et à ses acolytes, je me sens quand même un peu coupable.

A moins que je ne me fasse embaucher dans une boutique d'Aber. Je le sens moyen, remarquez, le : "Il te plaît ton nouveau slip, Bob ? ça te dirait une casquette avec ?". Sur un plan esthétique, la concurrence est rude, mais l'autre jour, dans la boutique d'Easton, il y a bien une cliente qui m'a pris pour un vendeur (c'était juste avant que je comprenne que les filles n'en auraient pas pour dix minutes comme convenu, mais pour cinq heures). Mettons qu'il s'agissait plutôt de la mère d'une cliente, mais quand même. Il faut bien reconnaître aussi qu'avec mes nouveaux jeans déglingués et mes tee-shirts californiens, je me rapproche quand même davantage jour après jour, mine de rien, de l'American teenager way of life que du standard des réunions SFAF au Lutetia. Ah, à peine arrivé qu'il est bien parti le retour, tiens. Aujourd'hui, quand je regarde mes costumes, je commence à me demander, un peu comme un capitaine du GIGN devant une armure d'Azincourt, pourquoi il faudrait que je m'habille en musée pour aller vaquer à mes occupations.

Tout de même, ça pourrait bien me relancer dans les services cette semaine multi-tâches, c'est sûr. Je pourrais aussi, tornade oblige, y ajouter une petite touche de passion météorologique et un surcroît d'expérience en gestion de crise, histoire d'assurer la cohérence avec ce qui a précédé. La cohérence, il n'y a que ça de vrai les enfants : on peut faire un truc débile toute sa vie, l'essentiel, c'est de le faire avec cohérence - cohérence définie comme l'amplitude à l'intérieur de laquelle il est possible de faire le truc en question de façon un peu plus, ou un peu moins débile. Je sens que ça va nous ouvrir des perspectives immenses, l'employadébilité.

Quand je repense, à propos de ma dernière tornade, à cette histoire d'injonction paradoxale à dormir debout, ah ! on m'y reprendra à disserter sur les théories fumeuses des gars de Palo Alto - encore un type qui n'a pas dû croiser Camille sur son chemin, Watzlawick. Sans parler du fait qu'une écrasante majorité de lecteurs sont quand même plus intéressés par la gaudriole que par le new deal, ce qui va finir par me poser un problème - à moins que ce ne soit le sens de l'histoire. Parmi les autres, même ma mère a laissé tomber ; d'ailleurs, depuis l'histoire de l'Aston Martin, c'est bien simple, elle ne me parle plus, même s'il subsiste un doute attendu que mes parents sont partis gambader au Cap-Vert entretemps et que ça ne doit pas être truffé de web cafés à tous les coins de savane non plus, ce pays, ça me laisse une chance de détruire la note avant qu'ils ne reviennent à la maison.

Ou alors - je réfléchis tout haut -, j'embauche un hacker du coin pour flinguer les connexions à Baons, mais ça risque aussi de ralentir le rythme de croissance du portefeuille de mon père chez Boursorama et, virtuellement et par ricochet, d'appauvrir ma situation à long terme, si bien que je me retrouve dans un dilemme cruel entre ma futurabilité patrimonialesque et ma présentabilité blogomaniaque. Encore n'intégrè-je pas ici ma crédibilité professionnellatique qui, et je peux le comprendre, pourrait apparaître, à la lecture de ce blog, en aussi bonne posture que Gérard Schivardi dans la course à la présidentielle. En matière de course, il ferait mieux de se concentrer sur les échalottes, cela dit, Gérard Schilardi. Mettons que j'en profite pour m'occuper de mes oignons : qui est-ce qui va se dévouer, pour la ciboulette ?... Parce qu'il a autre chose de mieux à faire, peut-être, le Frédéric Nihous ? Et pourquoi Vercingétorix il se présenterait pas non plus, tant qu'on y est ?

Bon, qu'est-ce que je disais déjà, ah oui, mais qu'est-ce que je lui ai donc fait à Watzlawick, hein ? Fais gaffe, Paul, faudrait quand même voir à ne pas abuser de ma période christique non plus. Ou alors c'est un peu comme la fable de La Fontaine avec Abraham, sauf que Dieu, au lieu de me demander d'écraser une fourmi dans Animal Planet, m'aurait envoyé une tornade sur National Geographic - genre, ah, monsieur chantait avec Palo Alto, eh bien, qu'il danse avec l'injonction paradoxale, maintenant.

A moins que ce ne soit plutôt l'histoire de la tentation de Jésus par le diable dans le désert, je ne me souviens plus bien quelles soldes (genre "moitié pour cent" comme dirait Camille qui, après un an dans le Kansas, a un peu de mal à recauser français dans le texte) il lui propose à Jésus, Satan, chez Abercrombie, mais je sais que c'était pas un moment facile pour lui, il a fallu qu'il soit super aware et fort dans sa tête, Jésus, pour ne pas céder à la pression du shopping.

Ou l'on voit que ma prédisposition évidente à la psychologie fait de moi, outre un coach naturel, un exégète motazilite de premier plan - Note pour mon conseiller ANPE : surtout, ne pas chercher à rentrer "motazilite" dans le référentiel métiers, ça va faire péter le système, on va mettre toutes les agences au chômage, et on va se prendre une telle série d'engueulades en chaîne qu'à la fin, c'est sûr, il y aura des morts. Tiens, allez, au hasard, Schilardi, viré. Non, bon, je veux bien me dévouer encore pour cette fois-ci à cause de mon potentiel de résurrection du moment, mais faudra pas y revenir, je serai pas toujours là pour vous sauver les miches les gars, ok ?

En tout cas, quand ça vous passe dessus, pas moyen de réfléchir à toutes ces questions pourtant passionnantes : ça ruine toute velléité d'activité ou d'intérêt étrangère à son coeur, une tornade de cet acabit. Avec une légère rémission, à mi-séjour, autour de l'Ecole du Louvre que Camille, qui a un joli coup de crayon et un sens munchien en diable de la couleur, veut intégrer. Il va falloir se dépêcher d'aller s'y faire une toile avant parce que, une fois que Pastakala Tornado y aura pointé son nez, les déferlements touristiques du Da Vinci Code vont vite prendre l'allure d'un mouvement de panique dans l'autre sens digne de War Of The Worlds, je vous le dis moi, ça va déménager chez les Templiers - et d'ailleurs, si ça se trouve, c'est à Kansas City qu'il se cache, le tombeau de Marie-Madeleine.

C'est pas un scoop, ça, peut-être ?

Les tornades, c'est sûr, ça pertube un peu. Mais le truc, c'est qu'à peine elles ont passé leur chemin que, déjà, elles vous manquent.

17/04/2007

Free Style (The end) Chute libre

Je me laisse quand même tenter par le rendez-vous que me propose Dremeaux à Troyes, avec Bertillon - pas le glacier, le champion du monde de vol relatif. On arrive un matin d'octobre, sur le terrain de Brienne-le-Château, en retard. Bertillon fait la gueule. C'est un ancien officier. On n'a pas la même approche de la discipline ; je suis beaucoup plus pointilleux que lui... Quel clown, ce Bertillon. D'entrée de jeu, je sens qu'on ne vas pas rigoler des masses.

D'ailleurs, ça commence fort. Pour le café, on verra plus tard. A peine, je lâche mes fringues qu'il me passe la combinaison. Briefing, court. On enchaîne trois sauts dans la foulée. Bertillon, au sol, c'est deux mots - trois quand il se sent de faire un discours. Un concentré technique limpide, qui me change des bavardages fumeux. En l'air, pareil. Tandis que d'autres me racontaient le code de la route en trente secondes avec tout ce qu'il faut savoir du langage des sourds et des malentendants, et l'apprentissage du swahili en option, Bertillon fait un geste ou deux de la main, pas plus, bien planté, en face, puis il va vivre sa vie et se fait oublier. De la maîtrise comme esthétique de la sobriété.

En l'air, on dirait qu'il est sur terre. Son expresso, lui, il doit le prendre tous les matins en chute libre. Sans les mains. Sans renverser une goutte non plus. Bertillon, ça doit vouloir dire Jacques Maillol en martien. Un autre monde. Aujourd'hui encore, j'ai un très grand respect, et de l'estime, pour ce type.

Après un premier saut exploratoire, on vérifie dans le deuxième que je me retourne, non pas comme je peux, mais quand je veux. Il me donne un truc tout con, Bertillon : il suffit, en cambrant le dos, de ramener un bras sur le torse et de pencher la tête comme pour regarder vers le sol du côté du bras replié. Avec la vitesse, l'air pousse sur le bras déployé et ça crée tout de suite un déséquilibre qui fait naturellement basculer sur le ventre. Bricolage de haut vol, redoutablement efficace.

Au troisième, il s'éloigne, me laisse faire, vérifie du coin de l'oeil. J'enchaîne, j'ouvre, j'atterris sans bavure - ce qui n'est pas gagné à Brienne : avec un terrain en "L" très étroit encastré entre une usine désaffectée, une route nationale et une forêt, l'atterrissage est assez technique. Sur le terrain, j'attends. Je fais quelques pas, je tourne en rond. Il finit par approcher. Un signe de la tête. Presque un sourire. "C'est bon, tu peux y aller ".

Seul.

Le lendemain matin, je grimpe tôt, toujours en Pilatus. Il fait froid, mais il y a un beau soleil, pâle et bleuté, qu'on sent monter en puissance, au-dessus de la forêt d'à-côté. De ce saut, je n'ai en fait que peu de souvenirs factuels. Pendant la montée, je suis très calme. On traverse une couche de brume, très étirée. Respiration lente, un sourire même à certains moments, mais très effacé. Beaucoup de concentration. Une sensation puissante, non pas de bien-être, mais d'unité. Très méthodique à l'approche des 4000. Salut rituel. Quand la porte s'ouvre, je suis prêt. Vraiment prêt.

En dessous, le grand bleu.

Sortie en looping. Rapide, puis freînée lentement dans les derniers tours, quand le vent prend le dessus sur l'impulsion de la rotation. Quand la boucle s'arrête, je me déploie. Je prends une position d'albatros - le bassin ancré sur la poussée de l'air, les bras largement déployés au-dessus des épaules, les jambes souples et légèrement repliées derrière.

Je reste suspendu quelques secondes... Puis enchaîne quelques figures, pour entrer dans la danse. Premier tour à gauche ; retour à la position de départ. Un temps d'arrêt. Deuxième tour à droite, puis stabilisation. Un coup d'oeil sur l'alti. J'entame un lent panoramique, bien ancré dans l'air, la tête au ciel, à 200 km/h.

Chute libre.

Face à l'horizon - une ligne pure.
Et le soleil froid de l'Aube, à portée de mains.

1500 mètres. Je tire le hand deploy, l'écarte, le lâche sur le vent relatif, l'extracteur monte à toute vitesse. La voile se déploie d'un trait, en une demi-sphère parfaite au-dessus de moi. Je décroche les freins. Pendant deux ou trois secondes, quand la voile cesse d'accrocher au vent, c'est l'expérience renouvelée du silence absolu - pendu en l'air - dans un moment de suspension indéfini... mais il faut vite remonter les suspentes pour permettre à la voile de se regonfler au vent, et les reprendre en main pour piloter la descente.

Je me lâche. C'est l'euphorie d'une descente de cascadeur sous voile. Sur chacune des suspentes, à tour de rôle, je tire à fond, ce qui donne à la descente un enchaînement de figures à 360° dans lesquelles, entraîné par le mouvement et la vitesse, on se retrouve à chaque bas de cycle la tête à l'envers, au-dessus de la voile...

Je calme le jeu à l'approche des 7-800 mètres pour caler l'atterrissage, qui se termine en douceur, en petites foulées, avec le parachute dont les larges soufflets s'affaissent lentement derrière moi.

A côté, un vieux para a atterri lui aussi. Ce monsieur de quatre-vingt ans double tout le monde en chute, avec un piqué genre Pearl Harbour qui doit l'amener au-delà des 300 km/h. Le problème, c'est qu'avec ses broches dans les tibias, il est obligé, à chaque saut, de planter l'atterrissage tout net, sans pouvoir accompagner le contact au sol. Je ne sais pas pourquoi, je me mets à songer qu'un jour, il pourrait décider de son dernier saut, sans parachute. Je repense souvent à lui.

Un coup d'oeil au ciel.

Moi qui croyais avoir atterri une bonne fois pour toutes, je me rends bien compte, à peu près aussi embarrassé que Jésus avant l'oral, que j'ai laissé le plus sublime là-haut, que le plus difficile, ce n'est pas de sauter. Et qu'il faudra bien, de temps à autre, reprendre un peu de hauteur.