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05/01/2008

Bruce Lee, Obama et moi (2) La multiplication des pains peut toujours en cacher une autre

Finalement, c'est à Hong-Kong qu'a eu lieu la confrontation. Ça s'est passé sur l'avenue des Stars, en octobre dernier, sur la promenade, devant l'hôtel. Tout à coup, je me suis retrouvé face à lui. Il était déjà en position, manifestement agressif - vous savez avec ce petit sourire méchant, en coin, et cette sorte de feulement de la mort qui l'accompagne et qui vous paralyse rien qu'en souvenir - immense, là, au milieu des badauds.

Je n'ai pas reculé. Je ne pouvais pas. Tout seul, je ne dis pas que je ne me serais pas enfui discrètement dans le mall à côté acheter, je-ne-sais-pas moi, un slip, une perruque ou une paire de Ray-Ban. Mais là, non, ça aurait fait lâche genre : "Ah d'accord, tu provoques en faux, mais quand après c'est en vrai, il y a plus personne". On n'imagine pas le nombre de types qui sont morts pour faire le beau - moi-même, plusieurs fois, ça ne m'est pas passé loin.

Comme une fois devant le collège Fontenelle en revenant du lycée Jeanne d'Arc, abrité de la pluie sous un porche, avec la belle Claude : le premier qui était venu nous emmerder, j'avais fini par me le faire. C'est avec le deuxième, le boxeur qui m'a tapé sur l'épaule, que j'ai moins sympathisé.

Ça avait pourtant bien commencé avec son : "Eh, t'as fait quoi à mon pote, toi ?". Une entrée en matière un peu rugueuse, mais enfin une amorce de dialogue. Le truc, c'est que je n'ai pas eu le temps de répondre. Après, ça a fait un peu la même musique que le récit de Joe Pesci au restaurant dans Goodfellas : bim bam bom, etc. Enfin tout de même : je me demande si le quarante-troisième bourre-pif était vraiment nécessaire. C'est comme l'épisode de la multiplication des pains (Matthieu 14, 14-21) : il y a un moment où on voit bien que tout le monde est rassasié, mais non, il faut qu'il continue l'autre, tout ça pour faire le malin.

Résultat, le lendemain, elle m'abandonne en disant que sa tête ne tournait pas rond, tout ça. Ben et moi, avec ce que je m'étais pris la veille, j'allais bien dans ma tête au carré peut-être ? Sacrée Claude, va. D'ailleurs, franchement, avec un prénom pareil, je ne dis pas que c'est pire que Bernard par exemple, mais il aurait tout de même fallu que, malgré la compétition de baby-foot qui redoublait d'intensité à la Tonne et le bac de français qui approchait à grands pas, je te trouve un petit nom vite fait ma cocotte. "Clodette" peut-être. Sinon, il y a Monica que j'aime bien aussi.

Bref. Ce coup-ci : non.

24/12/2007

Bruce Lee, Obama et moi (1) Vertige de l'amour à l'état de pré-cristallisation automnale

La première fois, ça m'avait pris en traversant Chinatown en direction de Little Italy, NYC. "Tu veux te battre avec moi ?" lançais-je à la cantonnade en esquissant le geste qui ouvre le premier kata do shokotan, sous les yeux effarés de ma compagne, qui devait alors se dire à elle-même : "Mon Dieu, je me suis complètement trompée sur le compte de ce type, qui m'a tout l'air d'un dangereux frappadingue" (comme dirait ma copine Régine). A moins qu'il ne s'agisse d'un abruti fini ?" hésita-t-elle peut-être alors.

Vertige de l'amour à l'état de pré-cristallisation automnale. Cela ne faisait pas extrêmement longtemps en effet que nous étions ensemble, peut-être deux ou trois mois en décomptant cette s... d'été - ah, l'aimable saison - où elle m'avait laissé quasiment sans nouvelles, la langue pendante, brûlant au soleil, après notre première rencontre. Alors soit, passons sur ces atroces souffrances puisque ce n'est pas là le sujet de cette chronique, mais ne glissons pas pour autant, sous la torture éponyme, sur le côté déjà chinois de l'affaire.

La Chine a beau être la magnifique contrée que décrivent avec tant d'entrain les associations philanthropiques tibétaines, elle n'en recèle donc pas moins en son sein un horrible déni du droit de l'homme qui a rencontré sa femme au début de l'été à la retrouver avant la fin du moins de septembre. Ingrid Betancourt ? On va y arriver ! Le Darfour ? Continuons ! Mais l'amour en Chine, qui s'en soucie ? Question droits de l'Homme, il y aurait donc bien deux poids, deux gonades.

Or donc, au beau milieu de Chinatown, juste avant que je ne finisse par entrer dans une boutique de massage du dos express avec vue sur rue pour me détendre (je travaillai beaucoup cet automne-là), je vérifiais, non sans bravoure, et d'une façon imparable, mon invulnérabilité - un peu comme du Guesclin, si l'on veut, mais sans l'armure, donc plus souple, mais aussi plus exposé.

Car aucun asiate n'osa relever le défi, le lâche.

Pourtant, aujourd'hui encore, je m'interroge : étaient-ils réellement pétrifiés par la puissance de mon art ? (la place me manque ici pour rentrer dans la technique, mais disons simplement que j'avais étudié avec soin, des années même avant de pratiquer cet art noble et viril à l'Université de Mont-Saint Aignan, la technique brucelinienne associant la souplesse du chat à la force du tigre) Ou bien n'y en avait-il réellement pas un pour parler français, dans ce quartier ?

28/11/2007

Trois jours chez ma mère (l'abus de mobilité nuit gravement à la santé)

Il y a des escapades dont on sent bien, fût-ce à travers des signes infinitésimaux, que, sans jamais basculer dans le pathétique, elles seraient presque de trop. Ne jamais revenir à intervalles trop rapprochés de l'endroit que l'on a quitté. Ça perturbe les repères. Et ça finit par embrouiller tout le monde. Ce n'est pas encore : "Mais qui c'est celui-là déjà ?", mais c'est presque : "Bon, et sinon tu t'es décidé, finalement, sur ton nouveau lieu de résidence ?". Bref, on est à deux doigts du célèbre proverbe norvégien : les invités, c'est comme le poisson : il y a un moment où ça pue. Ce qui n'empêche pas les Norvégiens d'être des gens adorables, en début de soirée.

Avis donc aux DRH inspirés (ce qui est généralement le cas, passé un certain niveau de poésie dans la carrière) ou aux familles skizophrènes (lassées de la grisaille, mais effrayées par Sicko) : poussée dans ses retranchements les plus extrêmes, qu'on se le dise, l'abus de mobilité nuit gravement à la santé. Et, il faut bien le reconnaître, l'expatriation rend fou.

Les voyages forment sans doute la jeunesse, mais ils fatiguent la maturité, sur un plan d'ailleurs plus psychologique que physique, et parfois davantage son entourage que soi-même. Au moins, en passant trois jours chez ma mère, l'autre jour, quasiment sans bouger, du moins pas au-delà d'un périmètre raisonnable, aurais-je reposé tout le monde, y compris mon père (excepté peut-être au cours de l'épisode, impromptu, de l'inventaire, critique, d'une adolescence, houleuse).

Mais la psychologie ne fait pas tout : dans le brouillage des repères, les décalages horaires ont aussi leur part. Chez moi, ils ont la vertu, que je n'apprécie pourtant guère d'ordinaire, de me réveiller aux alentours de cinq heures du matin et de m'amener, selon les circonstances et les lieux, à me jeter au bureau avant l'aube ou à me faire traverser Paris à pied entre les éboueurs et les cafetiers.

Nous avons perdu le goût du mélange des genres et des gens, quelle tristesse! Moi, c'est l'uniformité qui m'ennuie et la mobilité qui m'amuse. Ai croisé Elephant Man au Luxembourg, Zeldin chez Attali (à propos, vous connaissez son histoire de muse ?) et une femme de 2,73 m chez Giacometti. J'ai même poussé la rapière avec des consoeurs un soir de grève et opté pour un Santenay à la suite d'un Languedoc en galante compagnie au comptoir des Papilles.

Ainsi vont les expatriations, mélange imprévisible d'aventure et d'exil, plein de fatigues souvent, autant que de fulgurances. C'est ce que s'acharnent à expliquer quelques psychologues éclairés, et les meilleurs coaches : les solutions aux problèmes les plus difficiles, c'est en sortant du cadre, parfois, qu'on peut les mettre à jour.

Apprendre à lire et à compter, c'est bien beau. A écrire, passe encore. Mais qui parle encore, au milieu du brouhaha ambiant, d'apprendre à regarder et à écouter ? Qui revoit La nuit américaine à part les étudiants en troisième cycle d'études françaises de la Ohio State University ? Et qui comprend vraiment ce que dit Cyrulnik ?

Anyway, home sweet home. Pour la première fois des trois ou quatre retours au pays depuis mon arrivée, en début d'année, aux Etats-Unis, je sens la perspective s'inverser. Rentrant en Amérique, ce n'est plus mon pays que je quitte. C'est chez moi que je rentre.

26/10/2007

L'exfiltration du guerrier viking en terres australes via la gare de Rouen

Il fallait s'y attendre. Le résultat lamentable de ce périple en tous sens entre l'Europe, l'Amérique, l'Asie et l'Océanie, ces dernières semaines, c'est un ensemble de rêves abracadabrantesques qui s'emmêlent les pinceaux en une sorte de conte féérique et guerrier.

Moi qui ne me souviens presque jamais de mes rêves (ce qui, paraît-il, signale des songes pervers, rien moins, j'avais bien besoin de ça), j'ai pris le parti d'en noter quelques bribes sur un petit carnet de nuit ramené de l'Intercontinental d'Hong Kong.

C'est pas moi qui l'ai piqué, le carnet.

Du coup, on verra bien si c'est aussi pervers que ça ; d'ailleurs, si ça l'est vraiment - je prends bien déjà quelques libertés avec le casting -, je commettrais quelques petits arrangements au montage.

Ça a commencé l'autre nuit. Je me retrouvai propulsé à la tête d'une bande de Norvégiens sanguinaires - le chef répondait au nom, tout à fait inattendu, de Knut -, qui s'apprêtaient à faire main basse, non sur la schnouf, mais sur la Normandie.

Un réalisateur northumbrien en difficulté aura sans doute pensé à un remake facile en forme de comédie musicale sur le thème plein de fraîcheur : "J'irai revoir ma Normandie " pour se relancer à travers un partenariat, sponsorisé par Media Plus, entre la Svensk Filmindustri et les Caudebec-en-Caux Cruise.

On a beau dire, on sent une indéniable accélération - oserais-je dire un nouveau souffle ? - sur le plan culturel, depuis l'approbation du Traité simplifié. Qu'est-ce que ça va être après la ratification, les enfants.

Le problème, c'est que tout ce petit monde gueulait vraiment très fort en attendant le prochain Intercités, en anglais - ce qui relativise clairement tout ce que notre vision des hordes du Nord pourrait véhiculer de primitif -, et dans le hall de la gare de Rouen en plus, qui résonne beaucoup comme hall, on dirait une cathédrale.

Et puis, la nuit dernière, vous allez rire - du moins, ceux qui, me connaissant un peu, savent combien j'ai su conserver une certaine sobriété de moeurs en dépit d'une carrière fulgurante et de sollicitations aussi multiples que décousues -, je me retrouve en prince perse, peut-être wahhabite, circulant majestueusement dans une sorte d'immense salon zen.

On aurait dit le deuxième étage du Metropolitan de Bangkok sur Sathorn Road, dédié à tout un tas de soins chics et bienfaisants. A moins qu'il ne se soit agi des installations de l'Athletic Club de Columbus - un club huppé, niché dans un vénérable building de briques rouges sur Broad Street, que nous nous apprêtons à rejoindre ; du moins que nous nous apprêtions à rejoindre avant qu'il y en ait un qui ne tombit, que dis-je, qui ne chutassions sur la petite ligne qui précisait les admission fees s'ajoutant aux cotisations mensuelles, ainsi qu'aux frais de parking, de coaching et de fooding.

Là, en peignoir, je déclare humblement à deux jeunes journalistes calédoniennes qui m'entourent, tandis qu'une maîtresse de jeunesse, aussi saxophoniste que dévergondée, me guette d'un peu plus loin, que je m'en vais prétendre au Goncourt chez Flammarion. Sur ce, dans un rêve désespérément borné au plan de la géographie comme en une sorte de résistance sourde et bien campée à cette longue suite d'escales, je me prépare à (re)prendre le train pour, devinez quoi, aller (re)voir ma Normandie.

Je ne sais pas qui est le trouvère souffreteux qui a inventé la chanson, mais je ne serais pas fâché que Knut et sa bande - et cela même, rétrospectivement, dès les premières descentes historiques sur Villequier, un peu comme Jim Caviezel par Denzel Washington dans Déjà vu -, le zigouillent une bonne fois pour toutes. Ça m'ouvrirait des horizons sur le plan onirique. Et puis ça éviterait des tas de morts inutiles sur le Mississipi, en plus.

18/10/2007

Spéléologie du matriarcat (une séance d'épouillage au Studio Fovero)

Un début après-midi pluvieux, au Studio Fovero, le coiffeur qui fait l'angle entre Third Street et Whittier. C'est un salon agréable, contemporain sans être zen, au contraire, il serait plutôt d'allure baroque entre ses longs miroirs dorés et ses grandes tentures noires. Après un déjeuner rapidement avalé en face, chez Brown Bag (une excellente soupe à base de chou-fleur et de cheddar avec un sandwich végétarien), je m'y laisse choir en une sorte de demi-sieste, entre les mains de Michele, une jolie métisse dominicaine élancée, au teint à la fois mat et clair et au cheveu vigoureux, qui m'avait déjà convaincu, la dernière fois, de couper plus court qu'à l'accoutumée. C'est comme ça : rien de tel parfois qu'un bon raccourcissement pour se remettre les idées au clair.

D'ordinaire, aussi poliment que possible, je fuis les conversations de salon et me plonge, sitôt le shampoing fait et échangées les banalités d'usage, dans les lectures du moment, le journal du jour le plus souvent - j'avais cette fois emporté mon carnet de voyages. Une fois n'est pas coutume, je me laisse prendre au jeu, qui contraint à écouter d'abord, puis qui finit fatalement par conduire à répondre aux questions. Michele est une coiffeuse atypique, qui vient de New York et qui n'en peut plus de l'Amérique, où elle est pourtant née. A cause de la politique. Et de la chape de plomb que fait peser la religion sur une mentalité qu'elles juge déjà bien assez étriquée comme ça.

Dans deux ans peut-être, elle partira, sans doute à Londres. J'évoque les difficultés de l'arrivée, dis deux ou trois mots de mon travail. Je comprends cette phase anti-sociale qui aime les gens en même temps qu'elle s'en distancie. Le temps passe, il semble pourtant s'être arrêté. Petit à petit, le salon, qui était assez calme, se laisse envahir. Il est devenu un gynécée débridé qui, oubliant qu'un homme traînait par là (il en vient bien un autre un peu plus tard, mais on dirait un gourou illuminé, tout au fond, et tout rigolard sous sa grande barbe grise en contemplant les deux pinces qu'on lui colle bientôt de part et d'autre du crâne et qui lui donnent l'air d'un extra-terrestre), s'échange histoires contre confidences à travers le salon.

Les récits se superposent, s'entrecroisent, s'entrechoquent, rebondissent, reprennent à peine haleine, laissent les rires fuser, repartent de plus belle. On se croirait au théâtre. Ou au beau milieu d'une sorte de grotte primale où se réunirait, un jour de Pléistocène grisâtre, trois générations de femmes libérées se remontant joyeusement le moral pour mieux affronter l'air maussade de la saison. Je m'abandonne plus encore à cette séance qui semble vagabonder entre la coiffure, le massage de crâne et l'épouillage. Ce n'est certes pas l'extase de Jean Rochefort devant Anna Galiena dans le mari de la coiffeuse, mais c'est une sorte de rêverie improbable, un moment de magie sociale aux airs de délire fellinien. En réalité, à mesure que ça caquette de plus belle, j'ai soudain l'impression de me retrouver au beau milieu d'un poulailler, tel un gros chat ensorcelé, ravi d'avoir rendu les armes à l'heure d'un relâchement bienfaisant.