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28/11/2007

Trois jours chez ma mère (l'abus de mobilité nuit gravement à la santé)

Il y a des escapades dont on sent bien, fût-ce à travers des signes infinitésimaux, que, sans jamais basculer dans le pathétique, elles seraient presque de trop. Ne jamais revenir à intervalles trop rapprochés de l'endroit que l'on a quitté. Ça perturbe les repères. Et ça finit par embrouiller tout le monde. Ce n'est pas encore : "Mais qui c'est celui-là déjà ?", mais c'est presque : "Bon, et sinon tu t'es décidé, finalement, sur ton nouveau lieu de résidence ?". Bref, on est à deux doigts du célèbre proverbe norvégien : les invités, c'est comme le poisson : il y a un moment où ça pue. Ce qui n'empêche pas les Norvégiens d'être des gens adorables, en début de soirée.

Avis donc aux DRH inspirés (ce qui est généralement le cas, passé un certain niveau de poésie dans la carrière) ou aux familles skizophrènes (lassées de la grisaille, mais effrayées par Sicko) : poussée dans ses retranchements les plus extrêmes, qu'on se le dise, l'abus de mobilité nuit gravement à la santé. Et, il faut bien le reconnaître, l'expatriation rend fou.

Les voyages forment sans doute la jeunesse, mais ils fatiguent la maturité, sur un plan d'ailleurs plus psychologique que physique, et parfois davantage son entourage que soi-même. Au moins, en passant trois jours chez ma mère, l'autre jour, quasiment sans bouger, du moins pas au-delà d'un périmètre raisonnable, aurais-je reposé tout le monde, y compris mon père (excepté peut-être au cours de l'épisode, impromptu, de l'inventaire, critique, d'une adolescence, houleuse).

Mais la psychologie ne fait pas tout : dans le brouillage des repères, les décalages horaires ont aussi leur part. Chez moi, ils ont la vertu, que je n'apprécie pourtant guère d'ordinaire, de me réveiller aux alentours de cinq heures du matin et de m'amener, selon les circonstances et les lieux, à me jeter au bureau avant l'aube ou à me faire traverser Paris à pied entre les éboueurs et les cafetiers.

Nous avons perdu le goût du mélange des genres et des gens, quelle tristesse! Moi, c'est l'uniformité qui m'ennuie et la mobilité qui m'amuse. Ai croisé Elephant Man au Luxembourg, Zeldin chez Attali (à propos, vous connaissez son histoire de muse ?) et une femme de 2,73 m chez Giacometti. J'ai même poussé la rapière avec des consoeurs un soir de grève et opté pour un Santenay à la suite d'un Languedoc en galante compagnie au comptoir des Papilles.

Ainsi vont les expatriations, mélange imprévisible d'aventure et d'exil, plein de fatigues souvent, autant que de fulgurances. C'est ce que s'acharnent à expliquer quelques psychologues éclairés, et les meilleurs coaches : les solutions aux problèmes les plus difficiles, c'est en sortant du cadre, parfois, qu'on peut les mettre à jour.

Apprendre à lire et à compter, c'est bien beau. A écrire, passe encore. Mais qui parle encore, au milieu du brouhaha ambiant, d'apprendre à regarder et à écouter ? Qui revoit La nuit américaine à part les étudiants en troisième cycle d'études françaises de la Ohio State University ? Et qui comprend vraiment ce que dit Cyrulnik ?

Anyway, home sweet home. Pour la première fois des trois ou quatre retours au pays depuis mon arrivée, en début d'année, aux Etats-Unis, je sens la perspective s'inverser. Rentrant en Amérique, ce n'est plus mon pays que je quitte. C'est chez moi que je rentre.