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20/06/2007

Une vie de chien (1) L'art de la guerre

Tout se présentait pourtant bien l'autre soir. Mark et Amy nous attendaient, un peu plus bas, sur City Park Avenue pour un apéritif qu'au lieu d'aller prendre au bar de Lindey's nous acceptâmes bien volontiers de prendre sur la terrasse qui borde la piscine derrière leur maison. Soit. Je m'empresserais donc, tandis que les filles commenceraient à papoter, à retourner chercher un "Raymond reserve" à la maison - un nom au pittoresque indéniable, au moins ici, qui fait aussi un crû plus qu'honorable de la Nappa Valley.

Seul inconvénient : la manoeuvre m'oblige à repasser devant le voisin côté nord. Le problème, ce n'est pas lui - il est seulement impotent et un peu sourd, donc inoffensif n'était sa maison blanche dont je n'aime pas du tout les reflets bleutés. C'est son chien, une saleté de caniche gris avec des poils on dirait des plumes, qui me couvre d'aboiements inamicaux chaque fois que je passe. Je sais, c'est ballot et cela témoigne, dans une certaine mesure, à la fois d'une vision du monde égocentrée et d'un manque de sang-froid.

Mais ces piaillements de roquets, comme dirait Chirac à Fabius, que je prends sans doute à tort de façon trop personnelle, ont vraiment le don de m'énerver. D'ailleurs, l'autre jour, devant une nouvelle bordée d'aboiements stridents, et profitant que son maître avait le dos tourné, je lui ai balancé un caillou qui traînait devant la barrière.

Une vieille manie : plus jeune, j'avais ainsi profité que tout le monde avait le dos tourné lors d'un repas dominical chez mes grand-parents, pour balancer sur les cyclistes qui participaient au criterium de la Saint-Barthélémy et qui passaient en bas du jardin, tout ce que j'avais pu trouver dans le placard de la cuisine (oeufs, liquide vaisselle, etc).

A mon avis, les coureurs ne s'en sont toujours pas remis. Mamie Jeanne non plus d'ailleurs, qui cherche toujours, une bonne trentaine d'années plus tard, les produits disparus dans le placard désordonné de ses souvenirs. La honte, c'est quand ils sont venus m'en reparler le lendemain - pourquoi moi ? - et qu'il m'a bien fallu, après un interrogatoire serré, passer aux aveux sans que personne n'envisage une seconde de m'appliquer le VIe amendement. Ah ! Cruelle justice. On aurait dit Guantanamo la maison, ce jour-là.

Et là, zut ! Canichou, je le rate. Techniquement, je m'en veux un peu : je n'étais pas très loin et, ancien handballeur approché pour passer en filière sport-études, je manque rarement ces coups-là. Bien sûr, il y avait la difficulté, non négligeable, de trouver le bon angle à travers la barrière. Peut-être aurait-il fallu désaxer davantage le tir, et ne pas vouloir d'un seul coup lui dégommer les dents et lui boucher la glotte en libérant toute la puissance du shoot. C'était ambitieux mais, avec une seconde de concentration en plus, c'était jouable, je crois.

Toutounet a tout de même senti passer le vent du boulet - un avant-goût de la lucarne que je lui mettrais la prochaine fois dans son neurone. Et d'autant plus dissuasif qu'à défaut d'avoir le chien, j'ai tout de même dégommé la Sainte-Vierge qui trônait au fond du jardin - le fracas plus le vent, ça l'a changé des petites tapettes sur la tête, à mon sens, un peu trop complaisantes, de son maître quand il dépasse vraiment les bornes. Etant donné qu'il n'a pas eu le temps de faire la relation entre le lancer du caillou et le salto arrière de la Sainte-Vierge, il a dû se dire, si ça se trouve, ce type est vraiment très fort - peut-être un nouveau Révérend Farewell dans le quartier -, et ça lui a donné à réfléchir.

D'ailleurs, si Dieu existe, ce dont m'assure la plupart de mes nouveaux amis américains avec lesquels je ne souhaite pas me brouiller en masse trop vite - l'Humanité étant ce qu'elle est, ces choses-là viennent bien assez vite comme ça et après quand ça dégénère, tout peut arriver, je le vois bien dans Les bienveillantes -, il ne devrait pas apprécier et, avec un peu de chance, Dieu, il lui mettra la foudre, les sauterelles, les serpents, les grenouilles, et une petite une bombe H pour être bien sûr, au chien, pour le prochain orage, et je ferai d'une pierre deux coups.

Faudrait voir à ne pas me sous-estimer dans le coin, je peux faire dans la stratégie de haut vol - et, que les choses soient claires, ce n'est là qu'une modeste illustration de mes capacités.

20/04/2007

L'Amériii-que, l'Amériii-que...

Cela a commencé comme le refrain de la chanson de Joe Dassin, comme un air inconscient qui aurait accompagné ces derniers mois, et qui de fil en aiguille m'aurait mené jusqu'ici. A dire vrai, je m'y suis laissé entraîner par ma compagne, doucement, mais sûrement. C'est elle déjà qui m'a fait découvrir New York, il y a trois ans. C'est à nouveau elle qui m'embarque dans l'aventure américaine, reprenant au vol une envie que nous avions eue alors.

Certes, l'Amérique de Georges Bush - son arrogance et sa bêtise - ne font pas un programme. Mais l'obscurantisme du moment, et le biais affligeant qu'il introduit dans notre rapport aux Etats-Unis, nous masque la profondeur de champ : le pays de la recherche, de l'innovation, de la conquête, du multiculturalisme - bref, une aventure ouverte sur le monde d'aujourd'hui, qui reste un creuset du monde de demain.

Sur un plan plus personnel, ce voyage ne va pas non plus, si l'on ose dire, sans une visée de rééquilibrage. Plus jeune, vers dix-sept ans je me suis passionné pour la Nouvelle-Calédonie pour des raisons d'abord politiques - comprendre un processus de décolonisation original - puis, vers trente, économiques, en y revenant défendre, auprès d'Yves Rambaud, les intérêts d'une compagnie minière française qui y a son coeur historique, et les ennuis qui vont avec. Il y avait aussi le sentiment que quelque chose de plus épique s'y passait. Le job est fait et, avec lui, une certaine aventure culturelle s'est déroulée au fil de rencontres improbables, au coeur de l'Océanie.

Partir de Calédonie c'était quitter une périphérie pour retrouver un centre. De même, quitter Paris et la France aujourd'hui, c'est déplacer le centre de gravité et, avec lui, le champ des possibles. Et, comme lorsque j'ai quitté le Quai d'Orsay en 1997, je sens autour de moi comme un mélange d'envie et de bienveillance dans cette aventure dont le caractère de projet neuf survit à des racines si anciennes ; c'est le propre des mythes. Et puis, je crois que je vais aimer notre nouvelle communauté de Columbus.