30/05/2007
Qui veut rêver de gagner des millions ? (ma vie matérielle)
Mais c'est un vrai quartier de millionnaires, ce coin de German Village, qui d'ailleurs, comme tout quartier de millionnaires qui se respecte, devrait n'accueillir que des millionnaires. Il va falloir que je leur en parle, à mes nouveaux voisins.
Il faut toujours dire la vérité.
C'est ce que m'a appris mon père, à huit ans, lorsque l'on est allé habiter à la campagne et que j'ai raconté à tout le monde que j'étais champion de karaté. Il faut dire que je trouvais ça un peu ballot, comme idée, d'habiter la campagne, cauchoise en plus comme campagne - finir déjanté comme Maupassant, merci bien. D'ailleurs, à certains moments, ça n'a pas dû me passer bien loin, la déraison et, aujourd'hui encore, il y a des fois où je dois rester bien concentré pour ne pas m'emmêler les synapses.
Bref, j'ai dû surcompenser. Je faisais même des démonstrations de maniement du fouet - une technique chinoise ancestrale, comme chacun sait - devant mes nouveaux amis ébahis.
N'importe quoi.
Comme à l'école primaire, quand j'entraînais derrière moi toute la cour de récréation dans le rôle de Napoléon. Un soufle incontestable. C'est beau, l'enfance d'un chef. Ou que je mettais la foule en transe dans des concerts de rock mimés au coin de la cantine avec mon copain Christophe Lias (que je mettais au fond, à la batterie). Je crois bien qu'on a inventé une nouvelle langue par la même occasion, dans une sorte de no man's land linguistique entre le français et l'américain (il n'y a tout de même pas de hasard), avec peut-être aussi une petite pointe de swahili de temps à autres - ça fait toujours chic un petit laïus sur les racines africaines des mélodies endiablées dans les interviews d'après-concerts, dans le journal de l'école, en sirotant une grenadine au bord de la piscine municipale.
L'esperanto, à vrai dire, on s'en foutait un peu. L'essentiel, c'était de faire vibrer la foule. Ce qu'a d'ailleurs, plus tard, confirmé sans ambages mon thème astral des éditions Marabout selon lequel j'avais une relation privilégiée à la femme, à l'enfant - et à la foule. Et aussi que j'étais un amant remarquable, je n'invente rien, je veux dire, c'était incontestablement écrit par les gars de Marabout qui devaient quand même s'y connaître sur le sujet, sinon ils auraient pas fait écrivains chez Marabout. C'est d'ailleurs à ce moment-là - une mauvaise passe - que j'ai trouvé ça pas con, l'astrologie, ça me revient maintenant.
N'empêche, l'ivresse de la scène, les enfants, c'est vrai que ce n'est pas donné à tout le monde, mais c'est tout de même quelque chose.
Tout ce succès ne m'a d'ailleurs pas empêché de rester un garçon très accessible par ailleurs. J'ai su garder la tête froide. Un vrai gentleman, simple, avec toujours un mot gentil pour ses fans. Surtout pour Anne et Nath, je n'ai jamais pu réussir à choisir entre les deux. J'ai vu plus tard que Ray Charles avait eu le même problème, ça a fini par m'aider, cette proximité, je ne dis pas de nos talents - Ray déclinait un peu à l'époque tandis que j'étais en pleine ascension à l'école Henri Cahan - mais au moins de nos dilemmes, même si ça a pris du temps.
Mais, à la différence de Ray, j'ai évité la coke. Le talent musical avec, mais déjà, avec un dilemme, j'ai du mal, alors avec deux en même temps, il aurait fallu qu'en plus de la coke, je me mette à la sophrologie et j'ai toujours trouvé ça un peu fantasque, comme discipline, la sophrologie. Moins rigolo que la dianétique en tout cas, bien que je ne sois pas très calé non plus en dianétique.
Bref, comme il n'était pas encore fermement établi, à l'époque, que je fusse vraiment visionnaire - et cela bien que j'eusse tout de même fini, quelques années plus tard, par me commettre sur les tatamis de l'Université de Mont-Saint Aignan au cours d'une première année universitaire aussi brillante sur le plan intellectuel que lamentable sur le plan administratif (j'y reviendrai si le lecteur le souhaite, ça éclairera d'un jour neuf le débat, parfois un peu technique il faut bien le reconnaître, sur la réforme de l'Université) -, mon père a suggéré que je dévoile le pot aux roses.
- Père, vous n'y pensez pas ? (On pourrait pas trouver un petit arrangement, genre, je tonds la pelouse ou j'arrête de torturer ma cousine, et on n'en parle plus ?). Mais non, Père, qui condamne l'esbroufe par tempérament plus encore que par philosophie, resta inflexible. Je dois dire que j'ai un peu ramé après ça pour redresser mon image, la vache. Et ça n'a pas été la dernière fois.
Mais tout ceci ne nous avance guère : comment je fais, moi, maintenant, pour leur avouer qu'on n'est pas millionnaires, à mes nouveaux voisins ? Dans la campagne cauchoise, passe encore, surtout entre Criquetot Isneauville et Hautot-le-Vatois : il n'y en a pas un qui est assujetti à l'ISF, une vraie misère, c'est pas comme entre Baons-le-Comte et New York, par exemple.
Mais ici, ça va faire tâche, je le sens, ils voudront plus me parler mes voisins. Pourtant, moi, je ne suis pas sectaire, et on me trouve généralement sympathique. Quoique, ça dépend en fait : des fois, on me prend aussi pour un sale con. Par exemple, le conseiller d'éducation du collège Albert Camus, le chef de la cellule trotskiste de Rouen-Jeanne d'Arc et le responsable local des Témoins de Jéhovah, un peu plus tard, avec lesquels j'avais pourtant accepté de discuter bien que j'eusse tout de même autre chose à faire. On ne peut pas plaire à tout le monde, non plus. C'est difficile à admettre comme idée au départ, mais c'est le début de la sagesse.
Parce que je vois bien que ça les travaille, moi, cette affaire, mes voisins. Et je ne le sens pas encore très bien de lancer un débat de proximité sur la mixité sociale. Généreux, mais trop prématuré. Voire dangereux. D'ailleurs, le premier truc que m'a dit Phil, le propriétaire de la maison d'à-côté avec son magnifique sweat-shirt des Buckeye, c'est que notre arrivée allait faire grimper la valeur de son bien. Ben, c'est rien de le dire, mon gars, vu que, pour le moment, ce qui grimpe, c'est surtout le prix des travaux et la valeur de l'euro avec. Comme s'il ne suffisait pas d'une épreuve à la fois.
Si encore on avait acheté une vieille ford pourrie, ou une masure en contreplaqué, je ne dis pas. Au moins, une maison pourrie, ça présente l'avantage estimable qu'on ne s'interroge pas pendant des semaines sur la meilleure manière de faire les travaux dedans, ni d'y faire entrer avec un sens consommé de l'ingénierie tous les corps de métiers avec, par la même occasion.
Non, ça ne vient pas même à l'idée, le concept de travaux, dans un gourbi. T'as ton gourbi, et voilà, t'es content et tu n'en bouges plus - du moins pas avant qu'il y en ait un qui se décide à défiscaliser les intérêts d'emprunts. Et encore, tu attends quand même qu'ils se mettent tous d'accord autour d'une loi en bonne et due forme, des fois qu'ils soient plusieurs sur le sujet à vouloir y ajouter une petite touche personnelle.
Non mais, si tout le monde donnait son opinion géopolitique, comment on la ferait, nous, la guerre en Irak ici, hein ?
En fait, je sens bien que ma réflexion n'est pas mûre sur le sujet, avec mes voisins. Je le sais, je ne devrais pas écrire avant d'être bien au clair, sinon après, ça me décrédibilise. S'il est vrai que la nuit porte conseil et aussi qu'une climatisation forcenée rafraîchit les idées au-delà de 80° fahrenheit, je devrais peut-être en laisser passer une ou deux, de nuits, avant de définir une stratégie.
D'ailleurs, moi qui ne me souviens jamais de mes rêves, je crois bien que la nuit dernière, j'en ai fait un en dollars. Ce n'est pas sans doute pas le commencement de la fortune, mais c'est sûrement le début de l'intégration.
23:55 Publié dans Jours tranquilles à German Village | Tags : argent, stars, politique, karaté, université, défiscalisation, etats-unis | Lien permanent | Commentaires (2)
24/04/2007
Pourquoi Columbus ? (Desperate Housemen)
"But... what brings you here ?" nous lança le vieux mécano incrédule, sapé comme un farmer dans un film de Raoul Walsh, sur le parking de Chagrin Drive, un dimanche après-midi, lorsque nous lui avons dit que nous venions de Paris. Pareil pour le caissier de chez Trader's Joe, l'esthéticienne d'à-côté, la responsable immobilière de Short North - et j'en passe.
Pas mieux au bureau. D'ailleurs, il faut bien dire que, moi aussi, ça a été ma première réaction : "Euh, Columbus, t'es sûre ma chérie ? On va peut-être réfléchir un peu, d'abord, non ?".
Cause toujours (t'avais qu'à pas choisir une aventurière).
Bon, reprenons. Columbus, c'est d'abord le siège d'Abercrombie & Fitch, grande marque américaine de vêtements, que rejoint Anny pour aller tailler des croupières à la concurrence sur le marché de la lingerie. Quel siège d'ailleurs ! conçu par Anderson à base de matériaux design et de grands espaces lumineux, au beau milieu de l'immense domaine forestier de New Albany.
Bluffant.
On dirait une sorte de secte hype d'un nouveau genre, quelque part entre le Seigneur des anneaux (sans les Hobbit), une pub Hollywood et le campus de Stanford.
C'est aussi une ville de l'Ohio en plein développement, avec près de deux millions d'habitants, à laquelle L'expansion d'octobre a consacré une pleine page sur le thème "Columbus, reflet de l'Amérique". Alors que toutes les grandes villes du Midwest, comme Cleveland, Chicago ou Détroit, voient, notamment du fait de la crise du secteur automobile, leur population décroître, Columbus témoigne d'un dynamisme indéniable, avec une croissance économique d'environ 3 % par an depuis 2000.
Procter continue d'y faire ses tests marketing (and so does Abercrombie) et Honda s'y installe, à côté de nombreux autres sièges sociaux de grandes multinationales, notamment dans le domaine des assurances et de la finance.
Surtout, l'Université d'Etat de l'Ohio, la deuxième faculté du pays avec plus de 50 000 étudiants, entraîne dans son sillage des centaines de centres de recherche et autres start up dans le domaine des hautes technologies - une pépinière, à mi-chemin de New York et de Chicago.
C'est enfin une ville traversée par l'Ohio, entre grands buildings d'affaires des années 30 downtown et quartiers plus européens, comme German, Italian, Victorian villages, ou Short North - sans parler de zones plus résidentielles à Granville ou Bexley.
On dirait le camp de base de Desperate Housewife... ça tombe bien, on va peut-être réfléchir à une version masculine d'un truc de ce genre avec mes nouveaux potes abandonnés à eux-mêmes de ce nouveau business women's club.
04:14 Publié dans Du rififi chez les Yankees | Tags : Columbus (Ohio), Abercrombie & Fitch, L'Expansion, Desperate Housewife, université, haute technologie, recherche | Lien permanent | Commentaires (0)