04/08/2009
Rambaud m'a tuer (1) C'est encore loin la mer ?
NB : Je republie ici une note de la fin 2007, qui manquait à la série "L'amour en Vénétie au temps des Brigades rouges".
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C'est Yves Rambaud qui m'a recruté chez Eramet. C'était en 1997, un peu avant le printemps. Après un court séjour comme directeur de cabinet en collectivité locale - ayant débarqué, hors du sérail, en pleine campagne électorale, j'y ai appris en six mois deux ou trois choses très utiles -, je me morfondais au Quai d'Orsay comme dans un asile, quand on arrête de prendre ses pilules.
La première année, j'ai pourtant attrappé au passage tout ce que je pouvais, au-delà des dossiers politiques que je suivais en propre à la direction d'Asie et d'Océanie. Etudes de fond pour la conférence annuelle des Ambassadeurs qu'avait instituée Juppé un peu plus tôt, suivi pour la direction des travaux d'un comité de réorganisation des moyens extérieurs de l'Etat, quelques cours d'arabe..
La deuxième année, des relais d'activité se sont vite avérés nécessaires. Je m'en suis tiré en consacrant une partie significative de mon temps à donner des cours de questions européennes et internationales à la Sorbonne, et à monter un enseignement de culture générale en interne, pour donner un coup de pouce à ceux qui voulaient monter en grade.
Un bon souvenir, d'ailleurs, ces cours maison : la consistance de l'auditoire, plus âgé, plus engagé aussi, donnait aussi à ce cours des allures de séminaire. Elle me changeait de l'apathie des jeunes gens de Saint-Michel : vingt ans après 68, on avait aussi peu de chance d'attrapper un pavé perdu en traversant le boulevard que de croiser une idée originale en arpentant la salle. C'est aussi que, dans la filiation directe du laboratoire intellectuel que furent les classes préparatoires à Normale Sup, je concevais ce qu'on appelle "la culture générale" moins comme l'inventaire de savoirs laborieusement ordonnancés autour de sujets de dissertation plus ou moins heureux, que comme une mise en relation de disciplines variées au service d'une réflexion vivante. Quoique j'y misse les formes, cette approche convenait sans doute davantage au second qu'au premier cercle.
A l'évidence pourtant, le compte n'y était pas. Je n'avais pas renoncé pour rien, un an plus tôt, à la voie universitaire : j'avais besoin d'action. Et ce beau métier - dont j'avais endossé le rôle et l'ambition à vingt ans dans une soirée de khâgneux - tournait au cauchemar sous l'autorité d'abord d'un guignol, au demeurant plutôt sympathique, puis d'une folle, qui - le cas n'était pas si rare - donnait un sens à son existence en corrigeant chaque mot de chaque note, chaque ponctuation de chaque télégramme, chaque étiquette de chaque dossier.
Au début, j'ai cru que c'était pour rire, ou alors que c'était une sorte de bizutage. En fait, non. J'en étais à un point où je commençais à écrire des phrases du type : "La balle - en rajoutant : de la répression - est désormais dans le camp de la junte" (birmane). Ou je diffusais à mes camarades de promotion, à côté des télégrammes officiels, des compte rendus de réunions à Bruxelles plus officieux et, disons, plus divertissants que les pensums d'usage, qui faisaient office d'exutoire. L'un d'eux, à la manière de Marguerite Duras, a fini par tomber dans les mains du chef d'une de ces délégations qui avait le goût des lettres, mais pas le sens de l'humour. Bref, j'étais à peu près aussi mûr que Romain Gary finissant par commenter dans ses télégrammes quotidiens la qualité des flocons de neige qui tombaient sur Bâle.
Aujourd'hui encore, inconsciemment, j'essaie de ne porter que les corrections qui me semblent essentielles aux papiers qui me passent entre les mains. Et je crois que j'ai gardé, non pour moi-même, mais pour la jeune génération qui entrait alors dans la carrière, une partie de la colère contre ce système d'un autre âge qui, aux antipodes des réformes audacieuses qu'entreprenaient alors le Canada ou le Japon, ne comprenait pas qu'il mourrait à petit feu. Quand je pense au potentiel d'enthousiasme et aux qualités intellectuelles gâchés dans cette machine à broyer les talents, je suis tout de même à deux doigts de trouver Sarkozy un peu mou du chapeau.
Et puis, pour couronner le tout, un responsable de second rang fantômatique, qui cherchait sa place entre la relecture des télégrammes de second rang et le respect des consignes de sécurité, en cas d'incendie - on ne sait jamais. Délicieux, mais inutile (je l'ai recroisé à Montparnasse, une petite dizaine d'années plus tard : enfin devenu ambassadeur, il passait l'après-midi dans une librairie du coin avec un chihuahua, ou quelque chose approchant ce format). Je m'ennuyais tellement que, dès la fin de la première année, j'avais failli me laisser tenter par un poste diplomatique, chiraquien en diable, en Polynésie... J'en fus heureusement dissuadé in extremis par mon patron de l'époque. Pour aggraver mon cas, à la cantine, je commençais à parler reconnaissance et performance sous les yeux, attentifs mais héberlués, de mes camarades.
Décidément, je m'étais égaré.
Et il me serait à l'évidence difficile de tenir encore un an jusqu'aux trois années réglementaires avant de prétendre partir en poste à l'étranger. Trois ans... c'était le délai estimé nécessaire pour bien comprendre le fonctionnement de la centrale avant de prendre le large. Pour le coup, c'est moi qui ai manqué d'humour.
Là-dessus, je suis informé un matin par un collègue bienveillant qu'un cabinet fait la chasse dans la direction pour un poste de directeur de la communication basé en Nouvelle-Calédonie pour le compte d'un groupe minier. Je m'étais toujours dit en quittant le territoire en 1994, après une coopération et un DEA d'ethnologie, que j'y reviendrais volontiers un peu plus tard, s'il y avait quelque chose d'intéressant à y faire. Voilà qui ressemblait à un clin d'oeil du destin. Je rappelais le cabinet dans la foulée.
17:50 Publié dans L'amour en Vénétie au temps des Brigades rouges | Tags : yves rambaud, quai d'orsay, sorbonne, khâgne jeanne d'arc | Lien permanent | Commentaires (3)
06/05/2008
Une confidence d'Obama
Tombé à nouveau ce matin sur cette confidence d'Obama à propos de sa mère, en essayant de terminer à l'arraché une note de lecture sur le Durpaire & Richomme ("L'Amérique de Barack Obama") pour nonfiction.fr :
"Je sais que c'est l'esprit le plus bienveillant et généreux que j'ai rencontré, et que ce que j'ai de meilleur en moi, je le tiens d'elle".
18:12 Publié dans L'amour en Vénétie au temps des Brigades rouges | Tags : obama, mère | Lien permanent | Commentaires (0)
10/04/2007
Rambaud m'a tuer (6) Psychanalyse des contes de flingues
On passe une heure et demie au téléphone. Je me sens un peu las, mais aussi très imaginatif. Entre deux réponses que je fais à ses questions de maman, par ailleurs angoissée par certains comportements de son bébé qu'elle ne comprend pas bien (j'ai encore honte), je lui explique, dans les grandes lignes, le projet d'ouvrage sur le nombril féminin auquel je suis en train de mettre la dernière main.
Elle finit par m'en demander le titre. Entre quelques dossiers et essais philosophiques épars, je lui précise illico non seulement le titre, mais aussi les deux sous-titres de cet ouvrage improbable : "Au-delà du nombril - De l'inoubliable à l'inespéré - Pour une investigation thérapeutique du vide" - à paraître prochainement, chez Fayard précisè-je. Décidément, les mariages brésiliens, ça ne me réussit pas, moi. Comme elle persiste pourtant à manifester son intérêt pour ce futur best-seller, je m'engage - ben gadon - à lui en passer une synthèse de quatre à cinq pages dans les deux jours qui suivent.
Misère.
Je me retrouve ainsi, dès le lendemain, à me lancer dans la rédaction d'une note du plus grand intérêt sur les femmes et leur nombril. Après avoir donné des crampes diverses - qui du mollet, qui de la glotte - à toute la junior entreprise de Sciences-Po avec ce papier, je me décide à lui envoyer, la mort dans l'âme à vrai dire, car j'imagine que le projet d'article risque fort de me revenir sous forme de cocotte en papier, si ce n'est assorti d'une convocation à comparaître pour imposture devant le premier tribunal d'instance venu.
Eh bien non. Non seulement elle ne me le renvoie pas, mais elle fait même état de mes recherches de psychanalyste en tête de son dossier dans le numéro suivant de Vingt ans (en rappelant que l'ouvrage est à paraître). C'était en février 1993, juste avant mon départ en coopération. J'ai acheté le magazine dans l'aéroport. Je n'en croyais pas mes yeux. Je sais bien que Vingt ans ans ne reflète pas la totalité de la presse d'opinion ; mais enfin, de ce jour date sans doute chez moi un rapport singulier, à la fois sceptique et fasciné, avec la presse - surtout la presse féminine.
Bien des années plus tard, je crois qu'elle pigeait alors à TF1, je me décide à la rappeler pour lui confesser le fin mot de l'histoire. Elle était en reportage, me demande de la rappeler un peu plus tard. Je n'en ai pas eu le coeur.
Là dessus, mon premier interlocuteur, We Want You, me demande si je suis d'accord pour discuter deux minutes avec son associée, Faut Voir Quand Même. Allez dire non aussi, et avec une associée en plus, ça ne pouvait être que charmant comme entretien subsidiaire.
Tu parles, c'était la nuit et le jour, ce duo infernal, à croire que ça avait été étudié exprès. Il y en a un qui t'endort, et l'autre que te passe à la sulphateuse. Un peu comme les gars de Tattaglia, au péage, dans le Parain, quand Sonny apprend que Carlo a encore mis une raclée à sa soeur, Connie. Du coup, il voit rouge, le Sonny, il fonce tête baissée dans sa R-16 américaine, et Tom Haagen n'a même pas le temps de le faire escorter.
Chaque fois que je le revois, ce film, je me dis, c'est pas vrai, il va tout de même pas recommencer comme la dernière fois, cet abruti, tu le vois pas Dugenou que c'est un gros piège ? Eh bien, non, il le voit pas, et il remet ça, et vas-y que je fais broum-broum, à croire que ça ne lui a pas suffi de se faire déjà trouer comme ça une bonne quinzaine de fois, mais quel tanche, je vous jure. C'est pas que je tienne plus que ça à ce qu'elle survive, la tanche, non, je peux même dire - non sans courage quand on pense à quel point ces gars-là et leur descendance avec sont rancuniers comme des chancres - que je peux pas le piffrer, pareil que ma grand-mère avec JR dans Dallas, sale type, non, c'est pour Monsieur et Madame Corleone que ça me fait de la peine, Don Vito, il voit tous les coups d'avance mais là il est cloué au lit à cause de sa truffade de quand il a acheté des oranges, il peut rien faire, et un coeur en or avec ça, on le voit bien quand il meurt dans les tomates - et Madame Vito, pareil.
Et allez, ratata - aïe, ratatata - argh, rarratatatata - glups, et encore, j'abrège vu que j'ai une histoire à terminer, moi, ce n'est même plus une histoire d'ailleurs, c'est un chemin de croix, mais dans quoi je me suis embarqué, mon Dieu - eloi, eloi, lama sabactani, un seul mot de toi et je finis au prochain épisode, tu vas voir que je vais te remettre tout ça d'équerre, moi, ça va pas traîner. Et après, je m'enfuis en Argentine du sud sous le faux nom de Reinhard Martin, ça brouillera les pistes.
N'empêche, le coup du péage, c'était pas du sulphatage pour rigoler, comme par exemple quand on te met un mot sur ton carnet de correspondance, ou que ta tante intercepte le mot licencieux que tu destinais à la fille de la voisine de tes grand-parents et qu'elle le ressort en plein repas dominical. Remarque, en y repensant, je crois bien que j'aurais préféré me faire sulphater pour de bon à cet instant précis, ça doit faire plus mal sur le moment mais après au moins tu te tires pas la honte pendant des mois, sans parler de l'angoisse qu'on en retrouve un autre le dimanche d'après, et comme ça tous les dimanches pendant un an - un supplice, c'est là que tu te dis que le gars de l'almanach de la Poste qui te ferait même pas passer un petit dimanche à l'as de temps en temps, ni vu ni connu, entre le samedi et le lundi, est quand même un grand pervers. Alors certes après, tu présentes bien l'Ena, mais sans conviction et même avec une vague appréhension des fois qu'il y ait un malade dans le jury qui te ressorte ce petit bijou de poésie telle qu'en elle-même l'éternité n'y aurait pas changé une virgule, ou même seulement raturé à mort et brûlé au fuel lourd ce qu'il y avait d'écrit dessus.
Aparté : Je ne me souviens plus de ton prénom, ô fille de la voisine, mais sache, Guenièvre mettons, que si tu avais attrappé PLUS VITE ce billet fougueux de tes petites menottes, la destinée eût pu me faire guichetier. Lors, la prochaine fois que l'on t'écrit des vers, va cours envole-toi, saisis cette rosée, rentre vite chez toi, à tête reposée, et détourne l'intrus qui prétend au quatrain, tandis que par les rues, j'erre bohémien.
Longtemps, je me suis couché de bonne heure du coup, sur la banquette arrière, quand on approchait du péage de Bourgtheroulde - ah les cons. Des vrais teigneux, les Tattaglia, limite sauvages, pas fiers pour deux sous en plus, vu que les vrais cerveaux, c'était les Barsini. Heureusement qu'on les connaissait pas, nous, comme famille, les Tattaglia. Je ne dis pas qu'on n'aurait pas aimé faire un petit stage par-ci par-là à New York chez eux, avec mon frère, histoire de bien peaufiner nos techniques qui étaient quand même rudimentaires à côté - on s'en était bien rendu compte au moment de la Guerre du Kippour, c'est Roger Gicquel qui nous a ouvert les yeux, et c'est à ce moment-là que j'ai voulu publier Vers l'armée de métier dans la collection Oui-Oui que je trouvais plus adaptée que la collection des Martine -, enfin bon bref, l'occasion ne s'est pas présentée, et là-dessus, ils me disent non, en plus, chez Oui-Oui, du coup je me suis inscrit au club pongiste de la mission Saint-Michel.
La suite est sans surprise, hélas. De la bolognaise qu'ils en font du Sonny, à tel point que Don Corleone est obligé de demander à un ami pâtissier, qui lui devait un service, de le remettre en état, histoire qu'il soit bien présentable comme mort.
Si c'est pas malheureux, tout de même, de finir en gâteau.
07:53 Publié dans L'amour en Vénétie au temps des Brigades rouges | Tags : vingt ans, le parrain, guerre du kippour, poésie, ena | Lien permanent | Commentaires (0)
Rambaud m'a tuer (5) La Guerre de Troie n'a pas eu lieu
C'est une journaliste, charmante, qui souhaite parler au professeur Sorbier, je crois - un psychanalyste précise-t-elle. Elle souhaite l'interviewer sur le thème "les femmes et leur nombril" pour un prochain dossier du magazine Vingt ans - une référence obligée pour qui s'intéresse aux grandes doctrines géopolitiques contemporaines. Je lui explique que je ne suis pas le professeur en question.
J'en profite aussi, maintenant que le contenu dudit magazine me revient en mémoire, à émettre un doute incident sur ce que pourrait devenir la politique culturelle de la France si une femme venait à être élue présidente. Ce serait peut-être pire, remarquez, avec un inculte qui, si ça se trouve, ne connaît peut-être même pas l'existence de Vingt ans - ô, choix moliéresque. Bayrou, lui, semble bien avoir des lettres. Il a même tout appris par coeur en huitième pour pouvoir attrapper un dix-sept en récitation et finir premier de la classe, à Espelette.
Je sais, j'ai fait pareil en sixième au collège Albert Camus, en rédaction, et après c'est pas facile, tu te sens investi d'une sorte de mission, tu commences à écrire à Dieu, d'abord poliment puis sur un ton de plus en plus comminatoire, ou tu vises le boulot de conseiller général, mais tu ne peux pas en parler tout de suite, sinon ça affole tout le monde, surtout avant la publication des résultats semestriels, tu es obligé de faire des tas de communiqués au niveau du canton au lieu de faire tes devoirs et tu finis par faire un recit warning pour avertir que tu ne vas pas pouvoir maintenir le même niveau en récitation tout le temps, les institutionnels du collège perdent confiance et, après ça, t'es obligé de t'exiler, comme Spinoza ou Jean-Marie Messier par exemple.
Bon. Mais supposons que ça le reprenne, Bayrou, ce problème durito-réthorique, le jour où ça va vraiment chauffer avec les Perses. La guerre, ça va tellement vite de nos jours à la télé qu'au premier bégaiement, on aura tous zappé avant qu'il ne termine de déclamer son communiqué martial en alexandrins avec césure à l'hémicycle histoire de se faire plus applaudir que Victor Hugo à l'ONU, et après - mettons que ce soit une belle soirée d'été -, on va tous manger une glace à Mabillon, ou à Mouffetard, bon allez d'accord, à Mabilllon, sans se douter qu'on aura à peine le temps de demander un supplément d'éclats de gaufrettes avec le Macadamia Fig Crunch que, déjà, le ciel nous sera tombé sur la tête, par Toutatis.
Parce que les Perses, eux, au lieu de faire un communiqué martial à la télé - elle est tellement nulle, la télé iranienne, c'est pas comme la télé polonaise, que les dirigeants savent bien que c'est pas la peine de s'époumonner à faire des déclarations fracassantes dedans vu que personne n'écoute - d'où le dynamisme du marché de l'emploi pour les fonctions de muezzin, muezzin adjoint, ou même muwebzzinmaster pour les paroissses les plus avancées -, et badaboum ! ils nous balancent leurs missiles Shahab-3, peut-être même 4 ou 5 pour peu qu'elle les ait vraiment énervés, la poésie française, un truc au propergol liquide à guidage inertiel, et là, je vous le dis, le projet pédagogique du SNUipp-FSU, on va l'emporter avec nous pour l'éternité, les amis, et le souvenir des glaces avec, il ne sera plus temps de regretter de ne pas y avoir pensé plus tôt dans l'après-midi, à la glace, c'est comme ça, les derniers instants ont toujours un goût amer et sublimé.
C'est comme un jour, en servant une tisane à mon père, ma mère lui renverse l'eau bouillante dessus et alors là, tout ce qu'il trouve à dire mon frère, c'est : "Ma tisane, ma tisane !" en pleurnichant. Je ne comprends toujours pas qu'après ça, mes parents, ils aient encore bien voulu de lui dans la famille. Peut-être par précaution, histoire de ne pas mettre tous leurs oeufs dans le même panier, des fois que le deuxième rejeton eût un pète au compteur. Rétrospectivement, on ne peut pas leur donner tort - même si, avec le coup de la porte de la cave, mon frère a quand même bien aidé à me le dérégler, le compteur - ce qui, si l'on raisonne méthodiquement, sans se laisser emporter par les passions destructrices comme c'est trop souvent le cas dans le monde quand l'aîné fracasse une raquette de tennis sur le crâne du cadet ou l'oblige à manger de sa soupe aux potirons, semble bien donner davantage raison à Baudrillard qu'à Rica Zaraï.
Non, ce qui pourrait nous sauver, dans cette affaire, c'est que, comme le Shahab-3 a une portée maximale de 5000 inches, il faudrait d'abord acheminer la cargaison en Logan jusqu'à, mettons, Hanovre ou Munich, ça nous laissera un peu de temps pour calmer les Anglais, se faire un Thema sur la télé polonaise, relancer l'axe franco-allemand et intercepter l'ennemi in extremis grâce à l'Eurocorps. Et après ça, on pourra redonner un peu de gniaque à la construction européenne. J'insiste - après, pas avant les gars -, sinon on va plomber cette affaire pour encore cinquante ans, et un demi-siècle à ne pas pouvoir prêter Jean-Louis Debré comme joueur au Panathinaïkos ou au Deportivo la Corogne et à le garder rien que pour nous, ça va vraiment finir par énerver tout le monde.
De toutes façons, je m'en fous, je serai le seul à avoir anticipé le second tour entre Nihous et Schilardi et ça restera forcément pour la postérité, un pronostic si lumineux. D'ailleurs, suis-je bête, je m'en fous d'autant plus en fait, que je suis protégé par le bouclier anti-missiles américain maintenant (faudra seulement, au cas où, que je vérifie où ils en sont dans le programme au juste, parce que des prises de position pareilles, sur le moment, tu fais pas attention, et puis paf, ça peut se retourner contre toi par contumace, et après, tu es acculé à faire une déclaration fracassante, le 18 juin par exemple et justement ce jour-là à cause du problème des marronniers dans l'Histoire, obligé de trouver l'inspiration le matin même pour passer à la radio le soir, à supposer qu'ils ne programment pas l'émission le matin parce que sinon, t'es mal, remarque après tu deviens vraiment célèbre, mais plus moyen d'un autre côté de faire une petite blagounette de temps à autres avec tes amis car, brusquement, tu incarnes la France), et bon, sous réserve de vérification, ça me fera autant d'effet du coup cette pétarade qu'à mes chers compatriotes un déraillage de train ourdou ou un écrasement d'avion hindi.
Bref, tout en pressentant cette catastrophe annoncée à cause des nombreuses qualités que mettront en évidence aussi bien mon test graphologique que mon profil typologique de Myers-Briggs qui a pour but de vous aider à mieux vous connaître et vous développer, je n'en souffle pas un mot à ma nouvelle amie journaliste. Au lieu de quoi, allez savoir pourquoi, j'ajoute que, certes, je ne suis pas le professeur Machin, mais que je suis moi-même psychanalyste - "et, vous n'allez pas me croire, précisè-je, facétieux, il se trouve que j'axe actuellement mes recherches sur les relations qu'entretiennent les femmes avec leur nombril" - il y a des jours, je me trouve vraiment consternant. Naturellement, je m'attends à ce qu'elle me raccroche brutalement au nez.
-"Non, ce n'est pas possible ? me fait-elle, mais c'est in-croi-ia-ble !".
Ah ben ça, tu m'étonnes que c'est incroyable.
Mais bon, pour la suite, on verra plus tard parce que ça m'a épuisé, moi, de nous avoir épargné le choc des civilisations, la guerre avec, et d'avoir en même temps relancé la construction européenne. Je ne dis pas que, sous l'angle du choc de la connerie, l'humanité en soit sortie grandie, ou simplement indemme, mais enfin, de nouveau, la main tremblante et le front soulagé, elle peut écrire une nouvelle page de son histoire, l'humanité.
D'ailleurs, si elle pouvait terminer celle-ci par la même occasion, je sens bien que ça détendrait tout le monde.
07:51 Publié dans L'amour en Vénétie au temps des Brigades rouges | Tags : vingt ans, bayrou, victor hugo, snuipp-fsu, myers-briggs, construction européenne | Lien permanent | Commentaires (0)
Rambaud m'a tuer (4) L'amour en Vénétie au temps des Brigades rouges
Alors, pourquoi tant de haine ?
Car enfin, ma mère est la bonté incarnée, mon père un sage (je note tout de même que si nous partageons avec Saint-Louis la particularité d'habiter un lieu où l'on rendait la justice, il s'est abstenu, lui, de zigouiller le chêne dans le jardin, ok, c'était un saule pleureur, et rachitique en plus, mais on lui a mis de ces lucarnes les enfants, au saule, à faire pleurer Di Biagio un soir de quart de finale au Stade de France), mon frère (passons, pour cette fois, sur les diverses tortures moyennâgeuses dont je fus la victime) un chic type.
Comme le furent aussi mon oncle Jean ou mon grand-père Raffaële. Sauf, pour Raffaële, un jour où l'on jouait au ballon et où mon père, en voulant marquer un but à Duilio, à moins que ce ne soit le contraire, lui a mis une reprise de volée totalement incontrôlée pile sur la tasse de café qu'il s'apprêtait à boire devant la maison, et cela, notons-le au passage, en laissant la soucoupe intacte et sans effleurer la main. Du travail d'orfève, limite de la sorcellerie, qu'il a dû se dire, Raffaële, en regardant d'un coup le vide entre la tasse et la soucoupe, avant de mettre un nom sur le sorcier.
Et alors là, il s'est mis à déblatérer une série de trucs en udinese en laissant là son siège et sa soucoupe, on s'est dit alors, dans cette sorte de sondage instantané - intéressant en ce qu'il permit au politologue en herbe que j'étais alors, de saisir par surprise les préférences brutes de l'électeur alors qu'il avait peut-être juste envie de boire un expresso tranquille au soleil, l'électeur, il ne se doutait pas -, on s'est donc dit à cet instant précis qu'il aurait penché davantage pour Mussolini que pour Gérard Schilardi (de là, ce devait être au tout début des années soixante-dix, l'attention portée par la suite par les politiques au calendrier électoral, et qui expliquera plus tard la conquête du pouvoir par le Parti socialiste grâce à des dates bien choisies, comme 1971 ou 1981 par exemple).
Si, du moins, il avait eu le courage de se présenter contre le Duce, Schilardi : ça n'aurait peut-être pas évité la campagne d'Abyssinie, mais ça aurait au moins permis de faire diversion pendant la finale, au sein de cette équipe, fière certes, mais pas dominatrice pour un sou. A supposer que Schilardi ait eu la bonne idée de faire un discours de repentance à la 80e minute à l'Olympia Stadion, histoire de marquer aussi sa responsabilité, indéniable, dans la formation de l'Axe. Mais bon, je reconnais aussi que ça commence à faire beaucoup de conjectures, même pour un lépidoptérophile amateur d'effet domino, et tout ça pour un malheureux expresso.
Mes grand-mères, Luigia et Jeanne, ont été toutes deux femmes énergiques mais généreuses - l'Abbé Pierre à côté, on aurait dit Guy Roux. Avec tout de même, j'ai remarqué, un petit ralentissement énergétique après 85 ans. C'est bête, à ce moment-là, j'étais seulement au courant pour la Vittel, à cause des réclames dans le métropolitain, et pas pour le Wonka Razzapple Magic Dip, sinon, hop ! un petit sachet dans le café, un autre dans l'infusion, on leur aurait mis une ces tôles sur le Tour de France à Armstrong et Landis. Peut-être même, que par une sorte de ricochet anthropo-psycholologique, on leur aurait aussi vraiment mis un doute dans la foulée aux Américains, avant que Bush se décide pour de bon à aller casser la gueule à Assurnazirpal.
Mon oncle Duilio était un as (c'est malin aussi d'avoir vécu comme une étoile filante, alors qu'on avait encore quelques belles années devant nous pour continuer à faire des sondages avec Raffaële), sa femme une fée qui a enchanté mon enfance (comme je refusais de manger, elle me racontait des histoires abracadabrantes qui me faisaient ouvrir tout grand la bouche), ma cousine une délicieuse petite grenouille trop gentille avec les infâmes postosuchus que nous avons été, d'autres oncles bienveillants, quelques amis chers, toute ma famille italienne : Clara, Illa, Ilde, Luigi, Mario, Gianni, Anna-Maria, Michele, Alfeo, Angelina et les autres, une tribu chaleureuse...
Sortez les mouchoirs ?
Ah, j'ai bien eu une lointaine grand-tante avare et persifleuse et j'ai aussi croisé quelques taches et vermines diverses, ici ou là, comme tout le monde mais, dans un tel paysage, l'anomalie passa inaperçue et releva, pour tout dire, davantage du terrain d'observation que de l'influence néfaste.
De là peut-être la conviction, angélique mais qui n'est pas sans efficacité, qu'à la fin, ce sont les Justes qui l'emportent. Ou, pour dire les choses autrement, que l'ordre du pouvoir, et celui de l'argent aussi bien, sont ontologiquement inférieurs à celui de l'amour. Ce qui, dans un monde parfait, devrait en effet inciter à la commisération plutôt qu'au combat et qui me conduit, moi - tu parles d'une période christique - aux représailles massives, à tout le moins dans les cas d'agressions caractérisées. Plutôt, en somme, l'uppercut du droit que la joue gauche.
Alors quoi ? Diagnostiquer de cet effet de tribu latine un sens tout sicilien de la vendetta me paraîtrait quand même un peu tiré par le scalp. Ces identités affectives fortes n'en commandent pas moins, non seulement d'aimer, mais aussi de défendre ceux que nous aimons, et voilà tout - on ne va pas y passer tout le mois d'avril non plus.
Bon, nous revoilà paumés dans ce fatras de souvenirs mal rangés. Où en étions-nous déjà ? Ah oui...
Ambiance feutrée chez Russel, très british. C'est aussi le style de mon premier interlocuteur. Suit une aimable conversation de salon. Quand on y pense, ces jeux de rôles sont d'une déconcertante facilité.
Ça me rappelle un jour, je revenais, un peu éméché, d'un mariage franco-brésilien, si si, un vrai, enfin, un faux, mais un vrai, entre un homme et une femme, un mariage blanc en fait - enfin, moi, on m'avait juste dit que ce serait une fête très sympathique. Et, en effet, elle était très sympathique, cette petite fête. On était venu à quelques uns et on a eu du mal à repartir. On commençait à s'attacher. Je rentre donc tard, enfin tôt, vers 8 ou 9h00 du matin, ou quelque chose de ce genre. Je m'apprête à aller me coucher.
Soudain, le téléphone sonne.
07:50 Publié dans L'amour en Vénétie au temps des Brigades rouges | Tags : famille, psychanalyse, football, mussolini, gérad schivardi, parti socialiste | Lien permanent | Commentaires (0)