Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

10/04/2007

Rambaud m'a tuer (6) Psychanalyse des contes de flingues

On passe une heure et demie au téléphone. Je me sens un peu las, mais aussi très imaginatif. Entre deux réponses que je fais à ses questions de maman, par ailleurs angoissée par certains comportements de son bébé qu'elle ne comprend pas bien (j'ai encore honte), je lui explique, dans les grandes lignes, le projet d'ouvrage sur le nombril féminin auquel je suis en train de mettre la dernière main.

Elle finit par m'en demander le titre. Entre quelques dossiers et essais philosophiques épars, je lui précise illico non seulement le titre, mais aussi les deux sous-titres de cet ouvrage improbable : "Au-delà du nombril - De l'inoubliable à l'inespéré - Pour une investigation thérapeutique du vide" - à paraître prochainement, chez Fayard précisè-je. Décidément, les mariages brésiliens, ça ne me réussit pas, moi. Comme elle persiste pourtant à manifester son intérêt pour ce futur best-seller, je m'engage - ben gadon - à lui en passer une synthèse de quatre à cinq pages dans les deux jours qui suivent.

Misère.

Je me retrouve ainsi, dès le lendemain, à me lancer dans la rédaction d'une note du plus grand intérêt sur les femmes et leur nombril. Après avoir donné des crampes diverses - qui du mollet, qui de la glotte - à toute la junior entreprise de Sciences-Po avec ce papier, je me décide à lui envoyer, la mort dans l'âme à vrai dire, car j'imagine que le projet d'article risque fort de me revenir sous forme de cocotte en papier, si ce n'est assorti d'une convocation à comparaître pour imposture devant le premier tribunal d'instance venu.

Eh bien non. Non seulement elle ne me le renvoie pas, mais elle fait même état de mes recherches de psychanalyste en tête de son dossier dans le numéro suivant de Vingt ans (en rappelant que l'ouvrage est à paraître). C'était en février 1993, juste avant mon départ en coopération. J'ai acheté le magazine dans l'aéroport. Je n'en croyais pas mes yeux. Je sais bien que Vingt ans ans ne reflète pas la totalité de la presse d'opinion ; mais enfin, de ce jour date sans doute chez moi un rapport singulier, à la fois sceptique et fasciné, avec la presse - surtout la presse féminine.

Bien des années plus tard, je crois qu'elle pigeait alors à TF1, je me décide à la rappeler pour lui confesser le fin mot de l'histoire. Elle était en reportage, me demande de la rappeler un peu plus tard. Je n'en ai pas eu le coeur.

Là dessus, mon premier interlocuteur, We Want You, me demande si je suis d'accord pour discuter deux minutes avec son associée, Faut Voir Quand Même. Allez dire non aussi, et avec une associée en plus, ça ne pouvait être que charmant comme entretien subsidiaire.

Tu parles, c'était la nuit et le jour, ce duo infernal, à croire que ça avait été étudié exprès. Il y en a un qui t'endort, et l'autre que te passe à la sulphateuse. Un peu comme les gars de Tattaglia, au péage, dans le Parain, quand Sonny apprend que Carlo a encore mis une raclée à sa soeur, Connie. Du coup, il voit rouge, le Sonny, il fonce tête baissée dans sa R-16 américaine, et Tom Haagen n'a même pas le temps de le faire escorter.

Chaque fois que je le revois, ce film, je me dis, c'est pas vrai, il va tout de même pas recommencer comme la dernière fois, cet abruti, tu le vois pas Dugenou que c'est un gros piège ? Eh bien, non, il le voit pas, et il remet ça, et vas-y que je fais broum-broum, à croire que ça ne lui a pas suffi de se faire déjà trouer comme ça une bonne quinzaine de fois, mais quel tanche, je vous jure. C'est pas que je tienne plus que ça à ce qu'elle survive, la tanche, non, je peux même dire - non sans courage quand on pense à quel point ces gars-là et leur descendance avec sont rancuniers comme des chancres - que je peux pas le piffrer, pareil que ma grand-mère avec JR dans Dallas, sale type, non, c'est pour Monsieur et Madame Corleone que ça me fait de la peine, Don Vito, il voit tous les coups d'avance mais là il est cloué au lit à cause de sa truffade de quand il a acheté des oranges, il peut rien faire, et un coeur en or avec ça, on le voit bien quand il meurt dans les tomates - et Madame Vito, pareil.

Et allez, ratata - aïe, ratatata - argh, rarratatatata - glups, et encore, j'abrège vu que j'ai une histoire à terminer, moi, ce n'est même plus une histoire d'ailleurs, c'est un chemin de croix, mais dans quoi je me suis embarqué, mon Dieu - eloi, eloi, lama sabactani, un seul mot de toi et je finis au prochain épisode, tu vas voir que je vais te remettre tout ça d'équerre, moi, ça va pas traîner. Et après, je m'enfuis en Argentine du sud sous le faux nom de Reinhard Martin, ça brouillera les pistes.

N'empêche, le coup du péage, c'était pas du sulphatage pour rigoler, comme par exemple quand on te met un mot sur ton carnet de correspondance, ou que ta tante intercepte le mot licencieux que tu destinais à la fille de la voisine de tes grand-parents et qu'elle le ressort en plein repas dominical. Remarque, en y repensant, je crois bien que j'aurais préféré me faire sulphater pour de bon à cet instant précis, ça doit faire plus mal sur le moment mais après au moins tu te tires pas la honte pendant des mois, sans parler de l'angoisse qu'on en retrouve un autre le dimanche d'après, et comme ça tous les dimanches pendant un an - un supplice, c'est là que tu te dis que le gars de l'almanach de la Poste qui te ferait même pas passer un petit dimanche à l'as de temps en temps, ni vu ni connu, entre le samedi et le lundi, est quand même un grand pervers. Alors certes après, tu présentes bien l'Ena, mais sans conviction et même avec une vague appréhension des fois qu'il y ait un malade dans le jury qui te ressorte ce petit bijou de poésie telle qu'en elle-même l'éternité n'y aurait pas changé une virgule, ou même seulement raturé à mort et brûlé au fuel lourd ce qu'il y avait d'écrit dessus.

Aparté : Je ne me souviens plus de ton prénom, ô fille de la voisine, mais sache, Guenièvre mettons, que si tu avais attrappé PLUS VITE ce billet fougueux de tes petites menottes, la destinée eût pu me faire guichetier. Lors, la prochaine fois que l'on t'écrit des vers, va cours envole-toi, saisis cette rosée, rentre vite chez toi, à tête reposée, et détourne l'intrus qui prétend au quatrain, tandis que par les rues, j'erre bohémien.

Longtemps, je me suis couché de bonne heure du coup, sur la banquette arrière, quand on approchait du péage de Bourgtheroulde - ah les cons. Des vrais teigneux, les Tattaglia, limite sauvages, pas fiers pour deux sous en plus, vu que les vrais cerveaux, c'était les Barsini. Heureusement qu'on les connaissait pas, nous, comme famille, les Tattaglia. Je ne dis pas qu'on n'aurait pas aimé faire un petit stage par-ci par-là à New York chez eux, avec mon frère, histoire de bien peaufiner nos techniques qui étaient quand même rudimentaires à côté - on s'en était bien rendu compte au moment de la Guerre du Kippour, c'est Roger Gicquel qui nous a ouvert les yeux, et c'est à ce moment-là que j'ai voulu publier Vers l'armée de métier dans la collection Oui-Oui que je trouvais plus adaptée que la collection des Martine -, enfin bon bref, l'occasion ne s'est pas présentée, et là-dessus, ils me disent non, en plus, chez Oui-Oui, du coup je me suis inscrit au club pongiste de la mission Saint-Michel.

La suite est sans surprise, hélas. De la bolognaise qu'ils en font du Sonny, à tel point que Don Corleone est obligé de demander à un ami pâtissier, qui lui devait un service, de le remettre en état, histoire qu'il soit bien présentable comme mort.

Si c'est pas malheureux, tout de même, de finir en gâteau.

Les commentaires sont fermés.