10/04/2007
Rambaud m'a tuer (2) La chaise de Descartes
Rengagez-vous, qu'y disaient. Voilà qu'après les formalités d'usage, je me retrouve convoqué, avec les égards dus à ma candidature, chez Russel Reynolds, place Vendôme, à côté de la Chancellerie. Genre le Jugement dernier, en plus british. Du moins je suppose, vu que ça risque quand même de chauffer cinq minutes, le jour dit, en enfer. Ok, mettons dix. Allez, tope-là, je prends le forfait séminaire, avec le jacuzzi (c'est possible, techniquement, avec de la mousse ?), à côté du haut fourneau.
N'importe quoi.
D'ailleurs, c'était plus tard, ma conversion à la métallurgie. Au moins, on ne va pas mourir étouffé avec la chronologie ici. Rapport au Jugement dernier, ce n'est pas que je sois un sale type, au fond. Disons simplement que si j'ai des petits-enfants un jour - à supposer que je me souvienne de ce que je voulais leur dire -, je devrais quand même parvenir à les faire rigoler un peu avec quelques antiques faits d'armes. Histoire au moins de retarder le moment où ils me badigeonneront de confiture de coings, à côté de la ruche. A moins qu'ils ne préfèrent le jeu du papy roti près du barbecue, les salopiots. Ou celui de la chaise roulante, sur les falaises d'Etretat.
Remarque, vu les jeux que m'a montrés Niels l'autre fois, ça pourrait être beaucoup plus brutal. Quelque chose entre Elephant, Casino et Full Metal Jacket. A côté, Descent sur Frisson, on dirait Wounchpounch sur Cartoon Network. L'horreur. Je garderai une petite pilule de cyanure, au cas où. Faudra juste que je reste bien concentré sur la couleur, pour pas confrondre avec le cocktail enchanté de donépézilo-rivastigmine - allez, une petite goutte de tacrine pour relever le tout. Et même pour me relever tout court, tiens. Je pourrais peut-être la peindre, la pilule, pour pas m'emmêler les pinceaux ?
Ça me rappelle un jour, il y a mon prof de philo qui entre dans la salle, et qui lance comme ça à la classe (dans laquelle, chaque séance, il y avait une crise de pleurs ; il faut dire que l'on avait tout de même passé six mois sur neuf sur la psychanalyse, c'est beaucoup pour les nerfs et, maintenant que j'y repense, ça ressemble quand même à un truc pour draguer les filles), de but en blanc, mi-espiègle, mi-jaloux : "Allez-vous arrêter de baisouiller, bande de petits salopiots !".
Ah, elle est belle la France. Et la philo, pas mieux.
Et il rajoute, en me regardant : "Vous êtes plus beau que moi, mais je suis plus aimable que vous". Mais je ne lui ai rien demandé moi, à ce type. J'ai même accepté de faire le tour du lycée avec lui pour lire devant d'autres terminales la dissert à laquelle il m'avait mis dix neuf. La honte, cette tournée. Je me souviens, c'était un sujet de bac blanc. Une citation de Piaf : "Sans amour, on n'est rien du tout". Du bol : j'avais lu les Lettres à un jeune poète ; au moins, je ne m'étais pas encore fourvoyé dans Belle du Seigneur. Et puis j'y avais mis du coeur à l'ouvrage. Ça sentait le vécu, cette dissert.
Rétrospectivement, tout de même, j'ai un doute. Dix-neuf, c'est beaucoup. Et puis d'ailleurs, en khâgne, Hugo s'est pointé le premier jour en racontant qu'il venait d'attrapper un vingt au bac, le vrai - et en C en plus. Moi, je venais de gambader en A2. Il n'y avait que des filles, ou presque : c'est un critère pas plus nul qu'un autre, le nombre d'heures de maths ou l'existence d'un club de ferrovipathes par exemple. Et d'ailleurs ce n'est pas un mauvais critère du tout. Comme dit Baudelaire, "le goût pour le monde des femmes, mundis muliebris, est un facteur de génie". C'est rien de le dire.
Je m'égare.
Quand même, une autre fois - il faisait un cours sur la conscience - il nous regarde, et nous lance : "Eh bien, voyez-vous, tout ceci signifie simplement que ce n'est pas la peine de faire de mauvaises expériences pour savoir qu'elle sont mauvaises". Et alors, moi, ça rate pas, je prends la parole, et je prétends illico le contraire. Déjà insupportable, enfin, ça se confirmait. Et pontifiant avec ça, tant qu'à faire.
Il était toujours assis sur le dossier, les pieds sur la chaise, mi-Socrate, avec sa barbe, mi-Nicolas Cage, avec son blouson en cuir marron clair. Gauchiste, va. D'ailleurs, il s'était même fait virer d'un lycée de la rive gauche un jour au motif qu'il s'intéressait trop à l'actualité. Un héros. Long silence. Il regarde ses pompes, le visage enfoui dans la barbe qu'il lisse machinalement avec la main. Ça dure deux bonnes minutes - le temps sans doute nécessaire pour que je prenne conscience de l'énorme connerie d'ado que je viens de sortir. Mais non, trop fier.
Dix-sept ans. Refaire le monde ou rien du tout.
Et puis, deux minutes, ça va beaucoup trop vite pour moi. Par exemple, à l'ena, ils sont plus rapides, je le sais. D'ailleurs, ils la disent même pas la connerie : ils vont plus vite, mais plutôt dans le genre académisme que ratatouille. Ça empêche pas la connerie, ça peut même faire plus de dégâts collatéraux mais, d'un point de vue épistémologique, c'est comme qui dirait une connerie technique. C'est comme ce type-là, l'ingénieur d'astreinte, à Tchernobyl, j'ai vu ça l'autre soir sur Arte, ils font des reconstitutions très véridiques aujourd'hui à la télé. Ce type, il a voulu bien faire, je suis sûr. Il a même ajouté une petite touche de fantaisie personnelle pour combler les lacunes du manuel. Un artiste. Le plus grand du vingtième siècle, si ça se trouve. A côté, le scandale du Crédit Lyonnais, ça fait quand même petit joueur.
Bon, et alors, mon prof de philo, tout à coup, il se lève, prend sa chaise, fait un geste à ma voisine du devant pour qu'elle s'écarte un peu et hop là ! il me la balance la chaise, de façon à ce que je puisse l'attrapper par les pieds, j'entends bien - mais il me la balance quand même. Fin de la démonstration. Le cours reprend comme s'il ne s'était rien passé. J'ai juste l'air un peu niais avec la chaise en l'air. Le temps de saisir que ce n'est pas la peine de la prendre dans la figure pour savoir que ça fait mal.
C'est quand même puissant, la philosophie, quand on y pense.
Bon, je reprends. Et puis non : je reprends pas. Quelque chose m'échappe. Ça déraille. Pourtant, au début, c'est sûr, je voulais raconter une histoire sérieuse, presque noble, je ne dis pas grandiloquente, non, mais enfin, faire quelque chose à la hauteur du sujet - d'ailleurs, je suis sûr que ça va revenir - me fendre d'un récit édifiant, avec du panache, dramatique aussi, enfin, quelque chose de respectable, qui tienne la route en somme. C'est vrai, sur le moment, ça m'a tout de même un peu traumatisé cette histoire, ça n'arrive pas tous les jours, non plus, d'être tuer comme ça. En apparence, tout va bien. Mais je sens qu'il y a un truc qui lâche, ça doit être nerveux. C'est peut-être le départ qui approche.
Ou alors quelque chose de grave qui se serait passé dans ma vie ? Une sorte de fissure, dont je ne me serais pas aperçu sur le moment ? Ça m'étonne quand même.
Peut-être la porte de la cave, quand on était gamins - encore que, sur le moment, je m'en sois plutôt bien aperçu. On jouait à cache-cache au sous-sol. J'étais le plus jeune de la bande, je devais avoir cinq ou six ans. Naturellement, c'est moi qu'on fait compter contre le mur. Et, naturellement, ils me passent tous sous le nez. Il fait presque noir. Il faut tâcher d'attrapper le dernier pour avoir une chance de ne pas me retaper le comptage. C'est mon frère. Je tourne sur moi lentement dans la pièce et, tout à coup, je crois entrevoir sa silhouette, au fond de la pièce, dans l'embrasure de la porte. Je me dirige vers lui, mine de rien, dans la pénombre. Et bon, tellement mine de rien que je regarde ailleurs pour que ça fasse plus vrai, et paf ! au moment où je passe le seuil, dans les dents qu'il me la claque, la porte. C'est quand même dur le bois qu'ils utilisent pour faire les portes, je me rendais pas bien compte avant.
Vu la tournure sanglante que ça prend, surtout entre le nez et les incisives, et moi là-dessus qui commence à geindre, mon frère il me dit un truc du genre : bon, t'as pas intérêt à en faire un plat quand on va monter, sinon je t'en remets une. Ah ben non, merci, une porte, c'est déjà bien je trouve pour la soirée. Et puis, si j'avais eu une petite soeur, j'aurais fait pareil. Peut-être même qu'on l'aurait enfermée dans un sac la nuit au fond de la cave pour être plus sûr, vu qu'avec les filles, il y a pas de code de l'honneur.
Ou alors il y en a peut-être un, mais personne ne sait comment ça marche. Non, le sac, ç'aurait été l'option la plus sûre. Je ne dis pas que ç'aurait été facile à prendre comme décision d'un point de vue éthique, ça aurait sans doute posé des tas de problèmes difficiles : où est-ce qu'on le trouve le sac ? qui a un morceau de ficelle ? est-ce qu'il y en a qui a lu le dossier sur les noeuds indéfaisables dans le dernier Castor Junior ? et puis, est-on vraiment sûr qu'on ne l'entendra pas au fond de la cave après ? vu que ça risque tout de même de couiner assez fort dans les aigus - je le sais, j'ai eu une petite cousine, c'est à peu près la même chose, pas moyen de faire du karaté avec, à peine tu esquisses le geste, même un beau geste comme dans La fureur du dragon, et tout de suite c'est elle qui fait le cri de Bruce Lee, c'est vraiment n'importe quoi comme jouet.
D'un autre côté, on était trop jeune pour mettre sur pied un comité de pilotage. Et puis il n'y a pas de décision idéale non plus, il faut savoir improviser dans un univers d'information imparfaite à la Akerlof, étant bien entendu que cette rationalité autoréférentielle peut amplifier les dysfonctionnements ; il faut le prendre en compte, sinon on a forcément des surprises. Surtout avec ma cousine.
Bref, je me tiens la machoire comme je peux, et on monte. Ça ne rate pas, à la première question de ma mère qui me voit passer en coup de vent dans le couloir, l'espèce de borborygme informe et douloureux que je finis par émettre du mieux que je peux en guise de RAS fait éclater l'affaire. Et m'oblige à cracher le morceau en même temps qu'une ou deux dents.
Ça aurait quand même dû me mettre la puce à l'oreille, pour la chaise, l'histoire de la porte.
07:46 Publié dans L'amour en Vénétie au temps des Brigades rouges | Tags : socrate, nicolas cage, tchernobyl, ena, crédit lyonnais, bruce lee | Lien permanent | Commentaires (0)
Rambaud m'a tuer (3) Vas-y dégaine John Wayne, voir ?
Ça n'a décidément ni queue, ni tête cette histoire. Et puis ça n'intéresse personne. Il faut que je me ressaisisse. Ou alors j'arrête. Je pourrais peut-être essayer de me concentrer sur un thème de société, un sujet de réflexion - c'est pas facile tous les jours de rigoler et de travailler en même temps, c'est un sujet qui me travaille beaucoup, justement, ces temps-ci. C'est peut-être le printemps : à d'autres, ça donne des allergies au pollen, des inflammations libidineuses et autres pulsions de jardinage, eh bien, moi, ça me turlupine la posture.
Sinon, je change de nom. Ou de site.
Et pourquoi pas de pays non plus, tant qu'on y est ?
Ou de métier. Il n'y a pas que burelier comme métier dans la vie, non plus. Il y aussi les grands espaces sauvages, le plaisir de ramener le bétail au ranch le soir venu, d'occire un ou deux Cheyennes en route avec mon nouveau flingo - peut-être même toute la tribu comme dans Le dernier Samouraï, si t'es un peu en avance sur le match, sur le chemin du retour ; mais bon, après ça te donne des remords et ça finit par te gâcher le match, résultat, t'es bien avancé.
Je me souviens un jour, le lendemain de Nöel, j'en avais fait un super beau de revolver avec des legos, bariolé de toutes les couleurs, et là, à peine je le pointe dans le couloir que Joss Randall, mon frère - oui, encore lui - qui avait anticipé sur l'attaque à cause du fait qu'il étudierait les sciences de l'ingénieur plus tard, il me met un coup de karaté dessus et il m'explose mon pétard tout neuf, le bougre, encore plus impitoyable que Clint dans Eponyme.
A ce moment-là, j'ai bien senti, malgré mes protestations larmoyantes - oui bon, on ne peut pas être un héros tous les jours non plus, voyez Spiderman ou Zorro, ces types ont des moments de faiblesse et, à bien y réfléchir, c'est ce qui leur permet d'accéder au statut de héros, et c'est d'ailleurs ce qui fait la supériorité de Michel Rocard sur Arnold Schwarzenegger -, que ma mère s'en foutait bien que j'aye plus de pétard.
Peut-être même qu'elle était contente, au fond. Ce qui, entre nous, et bien que ma mère se montre généralement très empathique et responsable, est un peu léger comme attitude - peut-être qu'elle ne se rendait pas bien compte à l'époque, ou qu'elle n'avait pas une conscience du danger aussi aiguisée que nous - vu qu'on aurait mieux défendu la maison à deux qu'à tout seul, chacun un côté comme dans Rio Bravo. Car, naturellement, mon père avait encore autre chose à faire qu'à défendre le ranch, genre couper du bois, aller à la chasse au bison ou mettre de l'essence dans les chevaux de la voiture.
Il y a des enfances difficiles.
Et donc, là, vengeance, ça va flinguer pour de bon, les gars. Avec un peu de chance, il n'y en aura pas un qui parlera français en Amérique et je pourrais encore passer pour un type sérieux.
- Hellooo, pleaaase to meeeet yoooou ! My name is Oliver B.
(Cette manie de faire des mots comme des phrases : obligé de faire pareil, mais à la longue, ça diphtongue.)
- Oliver... bo... Bonaze ?
- Vas-y cowboy, t'as dit quoi ? Vas-y, bo quoi ?
- Oh sorry ! I think I've egratigned your naze...
("Egratigned ton naze", ah ah ah, n'importe quoi ! Ils parlent tous américain comme toi dans ta famille ?)
- What ?
- Vas-y, dégaine John Wayne, voir ?
A moins qu'il y en ait un de vicieux qui aille me persifler dessus sur TBS en prime time, juste avant "Everybody loves Raymond". Mais ça ferait quand même peu chevaleresque, très rapporteur et inamical comme comportement ; et, quand on m'attaque, je ne sais pas bien pourquoi au juste mais, après avoir tout de même vérifié qu'il s'agissait bien d'une intention consciente et délibérée et non d'une erreur malencontreuse, je massacre - genre Genghis Khan, à côté, on dirait Martine fait de la bicyclette. Et encore, sans prendre trop de risques dans les virages.
J'insiste tout de même sur le point de la vérification préalable car, dans ce genre de profils psychologiques, c'est un trait suffisamment singulier pour être mentionné et qui fait toute la différence entre Don Corleone et son fils aîné qui, manifestement, a le cervelet en forme de testicules ou, pour être tout à fait précis pour les lecteurs férus de science anatomique, les deux flocculus entre la valvule de Vieussens et l'amygdale cérébelleuse en forme de pédicules testiculaires avec, dans le cas qui nous occupe, une inflammation erysipéllitique aiguë autour de la valvule de Tarin, bref, résumé cette fois pour le lecteur pressé, et comme on dit à Bourail : le cerveau qui barre en couille.
Quant à savoir d'où me vient ce sens, tout de même un peu exagéré, des représailles massives - et qui n'a rien à voir, est-il besoin de le préciser, avec le fil conducteur de ce récit -, c'est un mystère, sur lequel je vois bien qu'il va me falloir, dans la foulée, pousser plus avant l'investigation.
07:45 Publié dans L'amour en Vénétie au temps des Brigades rouges | Tags : rocard, swcharzenegger, clint eastwood, zorro, genghis khan | Lien permanent | Commentaires (0)