10/04/2007
C'est joli l'Alaska (quand est-ce qu'on rentre ?)
On n'imagine pas comment, en dehors du bureau, la vie est semée d'embûches. J'aurais dû m'en douter en arrivant sur Chicago : pas moyen d'apercevoir la ville dans la purée de pois du dessous. Comme à la Tour Montparnasse, les jours de brouillard.
On a beau dire, ça donne quand même des compétences solides, quatre ans dans le même bureau. Moi par exemple, je suis devenu incollable sur la météo. D'autant que j'ai appris sur le tard que j'avais un éminent homonyme météorologue. Au point d'errance professionnelle où j'en suis rendu, pas question de me faire voler ce business prometteur : je me suis lancé illico dans un bulletin quotidien, d'ailleurs apprécié de mes premières abonnées, même si pour démarrer dans le métier, je me suis d'abord concentré sur le temps de la veille. Je ne dis pas que c'était très utile, mais ça détendait un peu, les jours maussades.
Tant que j'y suis, j'ai aussi acquis une connaissance, pour ne pas dire une ouïe très fine du conflit social : elles passaient toutes dans le coin, les manifs, pas moyen d'y échapper. Je finissais par les identifier à l'oreille, comme un garagiste ausculte un moteur. C'est comme ça que j'ai bien vu qu'il était en panne l'ascenceur social. Et, au 52ème étage de la Tour Montparnasse, social ou pas, quand on parle d'ascenceur, forcément, tu tends l'oreille, parce que l'escalier de la précarité à mille cinq cents marches, merci bien : pour le descendre, passe encore, ça se fait assez vite, je m'en rends bien compte en ce moment. Mais pour remonter la pente après, bonjour, je ne vais pas tarder à m'en apercevoir non plus d'ailleurs, s'ils continuent à me persécuter comme ça, les services de l'immigration - j'y viens.
Du coup, à l'arrivée dans la ville du vent, on prend le même tarif météo que d'habitude : deux heures de retard pour bifurquer sur l'Ohio. Mais ç'aurait pu être pire : le type de l'immigration - on aurait dit Jackie Chan - a voulu me renvoyer chez moi direct. Au début, j'ai pensé à le défier en combat singulier. Finalement, je lui ai laissé une chance, ça n'aurait pas été humain comme combat, vu que j'ai fait du karaté dans ma jeunesse - médaille de bronze de Do shotokan en coupe de Seine-Maritime. Rien que le titre des fois, ça paralyse mes adversaires, je l'avais bien senti déjà, dans China Town, à New York, il y a trois ans : pas un pour relever le défi, les lâches. Bruce Lee au fond, c'est un peu comme de Gaulle : au début, on a l'impression qu'ils sont plusieurs, et on voit bien qu'au premier truc sérieux, il n'y a plus personne. Et encore moins pour prendre la relève derrière.
J'ai eu beau lui expliquer que je croyais vraiment en Dieu, que j'étais pour un renforcement massif (mass reinforcements) des forces armées en Irak et qu'accessoirement, je n'avais plus de chez moi au pays de Jacques Chirac, il n'a rien voulu savoir. Depuis le collège, si ce n'est pas depuis l'école primaire, j'ai un vrai don pour énerver les gens de l'administration, moi, c'est dommage que ce soit pas un métier. Bon, j'aurais pas dû prononcer le nom de Jacques Chirac non plus, j'ai l'impression que ça l'a énervé encore plus - pire que nous. Surtout depuis sa dernière déclaration métaphysique chez Drucker sur la vie après la politique de la mort ou quelque chose de ce genre, je n'ai pas bien compris, on aurait dit la blague de Raffarin sur le référendum. Sauf que ça sent un peu le revenant annoncé, cette déclaration fumeuse, et le roussi avec par la même occasion. Si ça continue comme ça, quand on reviendra, il ne restera plus que le Parc Astérix, la poste et Hippopotamus.
Finalement, Anny, qui a dû elle aussi de nouveau justifier son job par la même occasion, a ressorti mon billet retour, et ça a fini par le faire. Au moins temporairement : Jackie Chan m'a donné six mois, pas un jour de plus. Soit c'est une blague - mais ça en n'avait pas trop l'air -, soit c'est un point qu'il va falloir regarder sérieusement, et vite fait, avec l'avocate d'Abercrombie. Ou alors, c'est un coup de ma mère.
Mais, sur l'échelle de la survie, ce n'est pas le plus grave.
Le lendemain de notre arrivée à Columbus, j'ai crû qu'à la suite d'une regrettable erreur on était remonté vers l'Alaska au lieu de descendre sur l'Ohio... Une tempête de neige a pris en écharpe tout le nord-est des Etats-Unis, de Saint-Louis et Minneapolis jusqu'à Washington et à la pointe nord-est du Maine. Sur le coup de midi, tous les occupants de la holding financière en face de l'appartement à Easton ont commencé à décamper et, chez Abercrombie & Fitch, ils ont fait pareil. La tempête de neige s'est bientôt muée en une saleté de tempête de glace : une pluie de cristaux durs comme des gravillons, qui viennent se coller sur les routes, les vitres, les tôles et, accessoirement, sur le premier français sorti descendre les poubelles - ils ont quand même la tempête revancharde dans le coin.
Les rues se sont peu à peu vidées, et un escadron de chasse-neige a bientôt pris le relais en quadrillant tout ce qui ressemblait de près ou de loin à une route ou à une place de parking. Drôle de concert : le jour, celui des raclettes des automobilistes qui s'acharnent à décoller la glace ; la nuit, le doux va-et-vient des trucks qui traquent le flocon. Encore heureux qu'il n'y ait pas eu de clandestins dans les parages, avec le bruit des flingues, on n'aurait pas fermé l'oeil de la nuit.
Ce matin encore, la température avoisinait les - 10°. Pour la Saint-Valentin, je m'étais dit comme ça qu'on aurait pu aller courir tout nus dans les bois alentour - une sorte de ressourcement primitif, une inspiration primale (chaque fois que je lis un psychanalyste - en l'occurence, le dernier bouquin de Pontalis, sur le vol aller -, ça me fait le même effet : c'est vraiment n'importe quoi la psychanalyse). Réflexion faite, on attendra le printemps. Ou alors, c'est que pour courir. Enfin, si on n'est pas morts de froid d'ici là. Ou dévorés par un ours blanc - il paraît que c'est arrivé il y a quelques semaines par ici, à un arrêt de bus. Depuis, je guette les ours blancs à la fenêtre et le premier qui montre patte blanche, je l'attaque à la raclette anti-gel.
J'avais noté dans ma cleck-list de faire une présentation de mon business en arrivant. Vu la tournure que prennent les événements, je vais plutôt commencer par mon testament. Peut-être même par un projet d'épitaphe alternative : "dévoré par un ours dans l'Ohio", je sens que ça ne va pas le faire. C'est ma grand-mère qui va bien rigoler : elle va croire que c'est encore un truc qu'on lui raconte pour voir si elle capte encore quelque chose du monde en général, et de sa descendance en particulier. Descendance aux enfers du Jour d'après, oui. D'ailleurs, je m'attends à voir passer un paquebot d'un moment à l'autre devant la maison, juste avant l'ours.
Il n'y a pas à dire, on n'est pas tous égaux devant le réchauffement climatique.
07:20 Publié dans Du rififi chez les Yankees | Tags : Chirac, Jackie Chan, immigration, météo, Pontalis, ours | Lien permanent | Commentaires (0)
Chasse à l'homme (et autres avis de turbulences)
Je m'en doutais un peu : ça se confirme. Depuis ces derniers jours, je suis un homme traqué.
Tout a commencé au bureau. C'est tout juste s'il n'a pas fallu que je crie que j'étais encore là avant qu'ils me fassent tomber les cloisons dessus. Pour un peu, ils m'auraient même coulé dans le béton, à la sicilienne, c'est un peu moins cruel qu'à la batte de base-ball dans un champ de maïs version Casino. Mais tout de même, après dix ans de bons et loyaux services, ça fait quand même de la peine, des méthodes pareilles. Et puis c'est pas dans le droit du travail non plus - ou alors peut-être à la section BTP, faudra que je jette un oeil un de ces jours, on ne sait jamais, c'est des petits malins au bureau, un de plus un de moins, ça se voit pas dans le Document de référence, l'essentiel, c'est que ce soit de la belle ouvrage.
Changement de décor juste après. Voilà que je me retrouve à l'Ourcine au milieu d'une bande d'Américaines en goguette qui parlent chiffons entre un débarquement de Chicago et une mission à Londres. Une autre planète. J'ai fait celui qui maîtrisait bien le sujet, entre le velouté et les Saint-Jacques, mais je n'ai pas donné le change longtemps. Elles ont bien vu les filles que, question shopping, j'assurais pas des masses. J'ai bien essayé d'en caser une lorsque Neil a raconté son accident de camion (c'est elle qui conduisait ; je n'ai pas tout compris mais il y a quand même un moment où j'ai arrêté de compter les morts dans cette histoire). Mais bon, je ne m'y connais pas très bien en camions non plus. Ils l'ont bien senti à la SLN quand j'ai débarqué, il y a dix ans. Du coup, ils m'ont orienté sur la communication en croyant que j'y ferais moins de dégâts. Ils se doutaient pas, les gars.
Après, à la maison, à défaut d'un défilé de mode sur la nouvelle collection de chez Abercrombie, j'ai eu droit au défilé des amateurs d'électro-ménager, section Ile-de-France, vu que si on avait embarqué notre matériel là-bas, j'aurais sans doute déclenché la plus grande panne électrique de l'histoire des Etats-Unis (il faut dire qu'elle a un peu vécu la gazinière, on dirait un peu ma grand-mère, en moins agitée tout de même ; je ne sais pas si c'est mon prochain statut de cowboy, mais je trouve qu'on dirait un peu Ma Dalton ma grand-mère, ces derniers temps). Et hop, à peine arrivé, déjà fiché comme terroriste, ça aurait quand même fait désordre dans ma nouvelle notice du Who's who. Il fallait quand même bien que je la case quelque part celle-là, vu que j'en ai quand même marre de passer pour une tache obscure. Et puis je sais enfin qui je suis maintenant : une tache peut-être, mais éclairée.
Ça aurait fait d'autant plus tache d'ailleurs que, dans le même temps, dans la Lettre de l'Expansion de lundi dernier, ils ont fait passer mon avis de départ avant la brève sur Jacques Chirac. Il a un peu baissé Chirac non ? Parce qu'avant, il ne m'aurait jamais laissé passer devant, c'est sûr. Du coup, il y a Shimon Perez et Ehud Olmert qui, s'étant fait recaler derrière le Che sur la même page, ne me parlent plus. C'est bien gentil tout ça les amis, mais comment on va en sortir du conflit israelo-palestinien maintenant ? Quelqu'un y a pensé à ça, ou il faut vraiment que je m'occupe de tout : des cartons, du divorce du concierge, de la coupure du compteur électrique ET de la paix au Moyen-Orient ?
N'empêche, côté amateurs d'électro-ménager, j'ai tout vu ces derniers jours : les amoureux, qui viennent contempler la chose au crépuscule, mais quand même surtout les étoiles par la fenêtre ; les arnaqueurs slaves qui attendent la veille du déménagement pour me proposer une négociation au thallium ; l'étudiante, qui me conjure de suspendre les offres en cours et de tout lui réserver pour le lendemain avant de fuir dans la nuit en Patagonie, la traîtresse ; le technicien qui me demande si le sèche-linge il est à condensation ou à évacuation, comme s'il y avait pas un moment où il fallait bien l'évacuer le linge, je vous jure. Là où ça a quand même été vraiment tendu avec l'expert en sèche-linge, c'est quand il a rappelé une heure plus tard pour nous expliquer que le sèche-linge en question, il avait l'air franchement HS - et lui franchement énervé par la même occasion. J'ai bien senti qu'il fallait faire un geste, sinon, ça ferait comme au bureau. Peut-être même avec une petite pointe de raffinement oriental en plus.
Et puis, c'est hier, peu après l'aube, qu'ils m'ont donné le coup de grâce. Un commando de déménageurs a soudain fait irruption sur le palier. Je dois dire que je les ai trouvés plutôt humanistes, dans un premier temps, ces types. Ils ont bien vu que j'étais pas bien réveillé. Du coup, ils sont redescendus prendre un café le temps que je comprenne ce qu'ils me voulaient - et moi, mal réveillé, donc ingrat, qui me dis : ah ben d'accord, ils m'ont l'air de se la couler douce dans cette boîte. Ça n'a pas raté : forcément, les types, en remontant, ils se sont vengés. C'est tout juste si j'ai pu sauver le lit pour le soir avec quelques valises dessus - et encore, il a fallu défendre mon troupeau de bagages pire que Charley Waite dans Open Range. La récompense, c'est que si tu t'en tires bien, le soir il y a Sue Barlow sur le retour de Londres qui te tombe dans les bras.
Tu parles d'un monde de brutes. Moi qui étais justement en train de m'attendrir la veille sur l'appartement que nous sommes en train de quitter, à Port Royal. Du coup, j'ai trouvé refuge au Lutétia, sous le portrait d'Hemingway. C'est un truc de blogomane, pas à cause du portrait mais du business center, que j'ai appris en lisant une interview d'Assouline. Et puis comme dit Hugo, "quand la nuit essaie de revenir, il faut allumer les lumières comme on rallume les flambeaux". Tout ça pour dire que le décollage approchant (c'est pour lundi prochain), ça risque d'être quand même un peu pertubé ces prochains jours par ici.
07:18 Publié dans La vie quotidienne au temps de Jacques Chirac | Tags : Casino, Abercrombie, Chirac, Shimon Perez, Hemingway, Assouline, Lutetia | Lien permanent | Commentaires (0)