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31/05/2007

Bienvenue au zoo (les heures supplémentaires ne font pas le bonheur, même défiscalisées)

A German Village, qu'on se le dise, l'animal est roi. Et d'abord le chien, naturellement. Il y en a ici de tous les formats, de tous les âges et de toutes les couleurs - Bullmastiffs, Chow Chows, Epagneuls tibétains, Welsh Corgi Pembrokes, Rhodesian Ridgebacks, et j'en passe - tous chouchoutés d'un même élan new age. Des petites personnes bien comme il faut - pas un pet de travers - et traîtées comme il se doit, entre dog-sitters, toiletteurs, traiteurs et psychologues dédiés.

Un domaine - la psychologie canine - dans lequel j'estime toujours avoir mes chances bien que mon savoir, en la matière, soit essentiellement intuitif. Qu'importe : le vrai génie canin se contrefiche de l'académisme, il invente de nouvelles théories, propose une vision, ouvre des perspectives, bâtit un projet. Et fait adhérer la communauté canine à son programme pour lequel, naturellement, une majorité s'avère nécessaire, vu que sinon on pourra pas tout faire ce qu'on a dit pour créer de nouvelles niches défiscalisées et continuer à mener cette vie de chien comme si le chien chinois, dit de la houpette à poudre, ne menaçait pas déjà, à nos portes, cet édifice patiemment construit d'attentions raffinées.

Je le sens bien, ils ne vont pas tarder à voter ici, les chiens. Visionnaire (on le sait), inspiré (c'est moins reconnu), je me prépare.

Mais, le truc le plus nouveau, ici, ce ne sont pas les chiens, ce sont les écureuils. Au début, j'ai crû qu'ils passaient ici par hasard, limite pour jeter un oeil aux nouveaux non millionnaires du quartier - ce serait presque méprisant comme animal, l'écureuil.

Mais non, ça passe, ça repasse, et dans tous les sens en plus, à l'envers, à l'endroit, ça se course, ça sautille, ça chahute sur les arbres, les fils électriques, les escaliers, les parterres. Et encore, je vois pas tout. Il faut dire que je n'ai pas que ça à faire, non plus, faut quand même pas déconner.

Il y a un économiste qui soutenait récemment qu'avec le malheur de la faim dans le monde et notamment des heures supplémentaires non encore défiscalisées, il manque un peu de contemplation dans nos existences. Un beau métier, économiste, il faudra que je reconsidère ma position adoptée, sans doute un peu hâtivement il y a une quinzaine d'années, après les explications de Fitoussi sur le modèle IS/LM.

En tout cas, je m'inscris d'ores et déjà dans cette nouvelle tendance économique visionnaire : un quart d'heure d'écureuils par jour, et hop, le tour est joué. Après ça, on peut dépecer la planète et écraser ses voisins, on se sent tout de même mieux, plus aériens, enfin en paix avec soi-même.

Cela dit, j'ai comme l'impression qu'ils s'en foutent un peu, les écureuils, de la contemplation. Non, ce qu'ils veulent, eux, c'est de la noisette fraîche, et de la bonne. Des vrais drogués. Au début, je lâchais bien de temps en temps une croûte de fromage - de chez Wholde Food Market -, voire une chute de pizza - même provenance, ça rehausse tout de même la beauté du geste. D'ailleurs, comme je n'avais pas encore détecté l'hyménoptère dans les parages, je me disais que ça mangeait quand même beaucoup comme bestiole, la fourmi américaine. Une stupide erreur de diagnostic qui, sans aller jusqu'à m'empêcher de dormir, m'a tout de même laissé perplexe quelques jours.

Petit à petit, j'ai commencé à balancer de la noix de cajou, de l'amande et même, tout récemment, de la pistache. C'est drôle la pistache, surtout quand ils montent aux arbres avec - il y en a un qui s'est fait une espèce de fauteuil, là, sur une demie branche surplombant le jardin - vu qu'il leur faut d'abord écarter les deux coquilles tout en conservant la pistache à l'intérieur.

C'est technique. L'écureuil qui a un CAP, il s'en sort. Mais le malheureux qui a fait Centrale, HEC ou Science Po, il est cuit : quand la pistache s'ouvre, il perd la coquille et la pistache avec. Et, il faut bien le dire, il a l'air un peu ballot, après ça, à regarder partout, le sourcil froncé, genre : c'est qui qui m'a piqué ma noisette ? Je me demande même s'il ne serait pas un peu soupçonneux à mon égard, dans ces moments-là, l'écureuil qui a fait Science Po. Où ça mène l'avidité. Il n'y a décidément aucun esprit de corps dans cette école.

D'ailleurs, quand j'en fait trop pleuvoir, de la noisette, ils essaient chacun d'en ramasser le plus possible, les goinfres - ça castagne un peu, par la même occasion et, à mon avis, il y a aussi un problème de parité, chez eux, aggravé par un problème de chapardage de noisette tout de même assez rustre - vu qu'il reste difficile de faire les courses et de manger en même temps. Ils enterrent ensuite leur butin où ils peuvent, en espérant que leurs potes ne les voient pas, ce qui est bien sûr une illusion, vu que tout finit par se savoir dans le quartier, je le sais, en Nouvelle-Calédonie c'était pareil. Pire peut-être.

Et puis bon, un jour, ça a fini par m'énerver ce défilé zoologique, du coup, je leur est livré en pâture une poignée de Haribo épicés de toutes les couleurs (un truc réellement inmangeable, acheté par erreur chez Giant Eaggle). Pas de bol, ils ont clairement eu l'air d'en raffoler. Je ne sais pas quel genre d'ingrédients psychédéliques ils mettent là-dedans chez Haribo mais, au vu des effets secondaires apparents, ça fait quand même peur.

Il y en a même un, le lendemain, qui s'est mis à boulotter les fleurs qu'on avait laissées sur la terrasse - de somptueux oeillets blancs que nous avait offerts Fred, le voisin de derrière, pour Memorial Day. S'il a vu le carnage en passant, il a dû se dire qu'on était vraiment des sales types - il a tout de même libéré la France, en 44, le Fred, et d'ailleurs, on dirait qu'il n'a pas lâché sa casquette de Commander in Chief depuis - ou alors qu'on adorait les oeillets à un point qu'il ne soupçonnait pas. Voire qu'on avait vraiment très faim.

C'est sans doute cette dernière option dont, localement, la malséance le dispute à l'exotisme, qu'il a retenue : le lendemain, il nous invitait à un apéritif avec les francophiles du quartier. On a évité de se jeter sur les petits fours pour infirmer la thèse de la faim ; du coup, je ne suis pas sûr que nous n'eussions commencé à accréditer celle de la soif.

Si la vie est un confluent de dilemmes qui finissent par se noyer dans une vallée de larmes, après tout, autant que ça soit dans la Sonoma.

En tout cas, je leur passerais un ou deux comprimés d'ecstasy à la place, aux écureuils, que ça serait pas pire. Des vrais maboules. Mettons qu'on se fasse un ou deux petits écureuils au barbecue un de ces jours, il faudra quand même bien faire attention à en choisir un élevé au maïs et à la noisette fraîche, sinon, je ne réponds plus de rien, ça pourrait bien nous faire vraiment bizarre, à nous aussi, le Haribo épicé, par contrecoup.

30/05/2007

Qui veut rêver de gagner des millions ? (ma vie matérielle)

Mais c'est un vrai quartier de millionnaires, ce coin de German Village, qui d'ailleurs, comme tout quartier de millionnaires qui se respecte, devrait n'accueillir que des millionnaires. Il va falloir que je leur en parle, à mes nouveaux voisins.

Il faut toujours dire la vérité.

C'est ce que m'a appris mon père, à huit ans, lorsque l'on est allé habiter à la campagne et que j'ai raconté à tout le monde que j'étais champion de karaté. Il faut dire que je trouvais ça un peu ballot, comme idée, d'habiter la campagne, cauchoise en plus comme campagne - finir déjanté comme Maupassant, merci bien. D'ailleurs, à certains moments, ça n'a pas dû me passer bien loin, la déraison et, aujourd'hui encore, il y a des fois où je dois rester bien concentré pour ne pas m'emmêler les synapses.

Bref, j'ai dû surcompenser. Je faisais même des démonstrations de maniement du fouet - une technique chinoise ancestrale, comme chacun sait - devant mes nouveaux amis ébahis.

N'importe quoi.

Comme à l'école primaire, quand j'entraînais derrière moi toute la cour de récréation dans le rôle de Napoléon. Un soufle incontestable. C'est beau, l'enfance d'un chef. Ou que je mettais la foule en transe dans des concerts de rock mimés au coin de la cantine avec mon copain Christophe Lias (que je mettais au fond, à la batterie). Je crois bien qu'on a inventé une nouvelle langue par la même occasion, dans une sorte de no man's land linguistique entre le français et l'américain (il n'y a tout de même pas de hasard), avec peut-être aussi une petite pointe de swahili de temps à autres - ça fait toujours chic un petit laïus sur les racines africaines des mélodies endiablées dans les interviews d'après-concerts, dans le journal de l'école, en sirotant une grenadine au bord de la piscine municipale.

L'esperanto, à vrai dire, on s'en foutait un peu. L'essentiel, c'était de faire vibrer la foule. Ce qu'a d'ailleurs, plus tard, confirmé sans ambages mon thème astral des éditions Marabout selon lequel j'avais une relation privilégiée à la femme, à l'enfant - et à la foule. Et aussi que j'étais un amant remarquable, je n'invente rien, je veux dire, c'était incontestablement écrit par les gars de Marabout qui devaient quand même s'y connaître sur le sujet, sinon ils auraient pas fait écrivains chez Marabout. C'est d'ailleurs à ce moment-là - une mauvaise passe - que j'ai trouvé ça pas con, l'astrologie, ça me revient maintenant.

N'empêche, l'ivresse de la scène, les enfants, c'est vrai que ce n'est pas donné à tout le monde, mais c'est tout de même quelque chose.

Tout ce succès ne m'a d'ailleurs pas empêché de rester un garçon très accessible par ailleurs. J'ai su garder la tête froide. Un vrai gentleman, simple, avec toujours un mot gentil pour ses fans. Surtout pour Anne et Nath, je n'ai jamais pu réussir à choisir entre les deux. J'ai vu plus tard que Ray Charles avait eu le même problème, ça a fini par m'aider, cette proximité, je ne dis pas de nos talents - Ray déclinait un peu à l'époque tandis que j'étais en pleine ascension à l'école Henri Cahan - mais au moins de nos dilemmes, même si ça a pris du temps.

Mais, à la différence de Ray, j'ai évité la coke. Le talent musical avec, mais déjà, avec un dilemme, j'ai du mal, alors avec deux en même temps, il aurait fallu qu'en plus de la coke, je me mette à la sophrologie et j'ai toujours trouvé ça un peu fantasque, comme discipline, la sophrologie. Moins rigolo que la dianétique en tout cas, bien que je ne sois pas très calé non plus en dianétique.

Bref, comme il n'était pas encore fermement établi, à l'époque, que je fusse vraiment visionnaire - et cela bien que j'eusse tout de même fini, quelques années plus tard, par me commettre sur les tatamis de l'Université de Mont-Saint Aignan au cours d'une première année universitaire aussi brillante sur le plan intellectuel que lamentable sur le plan administratif (j'y reviendrai si le lecteur le souhaite, ça éclairera d'un jour neuf le débat, parfois un peu technique il faut bien le reconnaître, sur la réforme de l'Université) -, mon père a suggéré que je dévoile le pot aux roses.

- Père, vous n'y pensez pas ? (On pourrait pas trouver un petit arrangement, genre, je tonds la pelouse ou j'arrête de torturer ma cousine, et on n'en parle plus ?). Mais non, Père, qui condamne l'esbroufe par tempérament plus encore que par philosophie, resta inflexible. Je dois dire que j'ai un peu ramé après ça pour redresser mon image, la vache. Et ça n'a pas été la dernière fois.

Mais tout ceci ne nous avance guère : comment je fais, moi, maintenant, pour leur avouer qu'on n'est pas millionnaires, à mes nouveaux voisins ? Dans la campagne cauchoise, passe encore, surtout entre Criquetot Isneauville et Hautot-le-Vatois : il n'y en a pas un qui est assujetti à l'ISF, une vraie misère, c'est pas comme entre Baons-le-Comte et New York, par exemple.

Mais ici, ça va faire tâche, je le sens, ils voudront plus me parler mes voisins. Pourtant, moi, je ne suis pas sectaire, et on me trouve généralement sympathique. Quoique, ça dépend en fait : des fois, on me prend aussi pour un sale con. Par exemple, le conseiller d'éducation du collège Albert Camus, le chef de la cellule trotskiste de Rouen-Jeanne d'Arc et le responsable local des Témoins de Jéhovah, un peu plus tard, avec lesquels j'avais pourtant accepté de discuter bien que j'eusse tout de même autre chose à faire. On ne peut pas plaire à tout le monde, non plus. C'est difficile à admettre comme idée au départ, mais c'est le début de la sagesse.

Parce que je vois bien que ça les travaille, moi, cette affaire, mes voisins. Et je ne le sens pas encore très bien de lancer un débat de proximité sur la mixité sociale. Généreux, mais trop prématuré. Voire dangereux. D'ailleurs, le premier truc que m'a dit Phil, le propriétaire de la maison d'à-côté avec son magnifique sweat-shirt des Buckeye, c'est que notre arrivée allait faire grimper la valeur de son bien. Ben, c'est rien de le dire, mon gars, vu que, pour le moment, ce qui grimpe, c'est surtout le prix des travaux et la valeur de l'euro avec. Comme s'il ne suffisait pas d'une épreuve à la fois.

Si encore on avait acheté une vieille ford pourrie, ou une masure en contreplaqué, je ne dis pas. Au moins, une maison pourrie, ça présente l'avantage estimable qu'on ne s'interroge pas pendant des semaines sur la meilleure manière de faire les travaux dedans, ni d'y faire entrer avec un sens consommé de l'ingénierie tous les corps de métiers avec, par la même occasion.

Non, ça ne vient pas même à l'idée, le concept de travaux, dans un gourbi. T'as ton gourbi, et voilà, t'es content et tu n'en bouges plus - du moins pas avant qu'il y en ait un qui se décide à défiscaliser les intérêts d'emprunts. Et encore, tu attends quand même qu'ils se mettent tous d'accord autour d'une loi en bonne et due forme, des fois qu'ils soient plusieurs sur le sujet à vouloir y ajouter une petite touche personnelle.

Non mais, si tout le monde donnait son opinion géopolitique, comment on la ferait, nous, la guerre en Irak ici, hein ?

En fait, je sens bien que ma réflexion n'est pas mûre sur le sujet, avec mes voisins. Je le sais, je ne devrais pas écrire avant d'être bien au clair, sinon après, ça me décrédibilise. S'il est vrai que la nuit porte conseil et aussi qu'une climatisation forcenée rafraîchit les idées au-delà de 80° fahrenheit, je devrais peut-être en laisser passer une ou deux, de nuits, avant de définir une stratégie.

D'ailleurs, moi qui ne me souviens jamais de mes rêves, je crois bien que la nuit dernière, j'en ai fait un en dollars. Ce n'est pas sans doute pas le commencement de la fortune, mais c'est sûrement le début de l'intégration.