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24/07/2007

Bastille Day (l'identité nationale est-elle soluble dans le Chardonnay ?)

C'était Bastille Day, l'autre week-end et, pour la circonstance, Fred T. Holdridge, celui qu'il faut bien appeler "le King" de German Village, nous avait proposé d'être ses invités. Grande figure de la vie locale, qu'il a par le passé largement contribué à animer aux côtés de son compagnon, et bien au-delà de ses fonctions de président du conseil d'administration de la German Village Society, Fred a aussi fait ses études secondaires avec Paul Newman, ce qui fait de notre auguste voisin, à double titre, un incontestable héros de proximité.

Point de grandes pompes pour l'occasion, ni défilé, ni discours, mais une invitation par le German Village Garten Club à une déambulation gourmande dans quelques uns des jardins particuliers les plus joliment dessinés de Beck Street, une des rues historiques qui bordent le côté nord du quartier. A partir d'un point de ralliement établi sur Frank Fetch Park auquel nous nous sommes rendus avec la voiture électrique de Fred, face à l'une des plus somptueuses villas de la place, la manifestation consistait ainsi à se laisser glisser de jardins en jardins, en faisant halte chaque fois auprès de petits buffets aménagés pour la circonstance.

Nous y croisâmes des journalistes de Channel 10, de lointains descendants de Français issus de Franche-Comté, des homosexuels en goguette affichant crânement la tenue des Sapeurs pompiers ramenée du Marais, des notables à la retraite, des cercles de copines, des avocats, une fille aussi éméchée que sa mère (et qu'il fallait discrètement soutenir de-ci de-là au cours de la conversation), des auteurs de livres pour enfants, de vieilles dames respectables, une Russe passionnée de mode française, un couple de hippies, une grande mondaine qui semblait revenir d'Hollywood... bref, toute une faune locale s'y était donnée rendez-vous.

Il régnait sur tout cela une ambiance à la fois mondaine et décontractée, chaleureuse et paisible, bienveillante et retenue autour de Français expatriés qui faisaient le clou de la soirée en lui apportant sa touche d'exotisme. Installés tantôt au centre et tantôt en bordure des jardins, les buffets, simples et bons, rivalisaient de trouvailles, des toasts de veau à l'italienne aux petites brochettes de boeuf bourguignon, des tartines de brie aux tartelettes aux fruits rouges.

Baignés par la lumière douce qui tombait en fin d'après-midi sur Beck Street, les jardins, intimistes et soigneusement entretenus apparaissaient comme les prolongements naturels d'intérieurs cossus, au-delà des verandas qui, le plus souvent, faisaient la transition. Tantôt ils se perdaient dans un lacis d'étroits passages qui zigzaguaient parmi les massifs, tantôt ils s'aménageaient en réseau de terrasses et de patios, de spas ou de piscines, nichés autour des maisons.

Ils ne furent plus bientôt qu'un aimable prétexte, la toile de fond joliment plantée de réjouissances plus gourmandes. Sauf peut-être pour les chiens passés maîtres dans l'art de profiter de toutes les opportunités de goûter aux victuailles (chacun sa technique : certains faisaient les animaux savants et dansaient à la demande, d'autres préféraient la ruse et prenaient le buffet à revers), les aliments eux-mêmes parurent bientôt un prétexte à de multiples toasts, de Sauvignon ou de Chardonnay, généralement portés à l'amitié franco-américaine.

Ainsi, telle était la vision que se faisaient les Américains de notre fête nationale. Peut-être aurions-nous pu, au moins pour l'honneur, faire mine de nous en offusquer car, au fond, l'essentiel pour Bastille Day ici, semblait clairement être de boire. Une sorte de soif d'identité nationale, si l'on veut. Pour un peu, on y aurait perdu son français. On y a, en tout cas, perdu le chemin du retour.

24/04/2007

Pataskala Tornado (1) Prom bal, shopping et burito

Elle aurait pu venir des Rocheuses, des Appalaches ou des Grands Lacs, c'est du Kansas qu'elle a finalement surgi ; embrasser les grandes plaines du Mississipi avant de fondre sur Columbus, elle a préféré prendre l'avion ; prendre un nom de président, de star hollywoodienne ou de bataille du pacifique, elle a opté pour un prénom d'artiste.

Nom : Camille. Age : 18 ans. Statut : nièce. Date d'arrivée : 16 mars. Date de départ : 25 mars. Niveau d'alerte : maximum. Dégâts : en cours de chiffrage. Séquelles : profondes.

Regards perdus dans le vide, épuisement physique, tics nerveux, tremblements de la maléole, lessivage psychologique, Weltanschauung laminée, tics nerveux incontrôlables, appartement dévasté (encore que désormais truffé de nounours, bretelles de soutien-gorges et autres rubans dorés)...

Au 3627, Chagrin Drive, on est à peu près aussi guillerets qu'à Stalingrad en février 43, à la clôture des festivités germano-soviétiques.

Tout avait pourtant commencé de façon paisible, il y a une dizaine de jours. Rayonnante mais sage, Camille débarquait à Columbus, ayant juste égaré ses bagages à Chicago, avec seulement un jour d'avance sur le planning. Le premier jour fut tranquille et harmonieux, tout empreint du bonheur des retrouvailles.

On devrait toujours se méfier des premiers-jours-tranquilles-et-harmonieux tout- empreints-du-bonheur-des-retrouvailles - et des expressions à la noix par la même occasion. Il apparaît, rétrospectivement, comme une sorte d'ultime répit avant la tempête, ce premier jour fourbe et dangereux.

Et elle ne tarda guère à se déchaîner, d'ailleurs, la tempête.

Les jours suivants furent en effet pris dans une double tornade furieuse, l'une mue à l'ouest au-dessus du quartier commercial d'Easton par un nouveau genre de shopping compulsif et dévastateur, l'autre à l'est sur la paisible bourgade de Pataskala par une nécessité absolue de faire réaliser sur place la robe de "prom", ce bal qui aux Etats-Unis clôt l'année scolaire. Impossible d'échapper au déchaînement de cette tornade adolescente qui emporta tout sur son passage, et finit par envahir non seulement la salle de bain, le dressing et la bibliothèque, mais aussi le salon, le bureau et la voiture.

Et même les rendez-vous avec l'agent immobilier, tant qu'à faire - des fois que nous l'eussions oubliée, ne serait-ce qu'un quart de seconde, la robe ; à moins que ce ne fût pour vérifier que, sous son apparence d'agent immobilier, l'agent immobilier avait, lui aussi, une vraie passion pour les robes de bal. Du bol, il s'appelait Kelly, notre agent immobilier. Il se serait prénommé Malcolm ou Robert que ça aurait sans doute été plus tendu, à certains moments. Bref, on aurait pu dormir sous une tente sur les bords de l'Ohio le mois prochain ou se nourrir de Wonka Razzapple Magic Dip matin, midi et soir pendant deux ans : l'essentiel était que l'on repartît le jour dit avec la même robe que la cousine de Monica Bellucci dans Mission impossible III.

Paranthèse culturelle : le Wonka est un truc que m'a fait découvrir Camille, une sorte de mélange de sucres fruités - celui-là associait judicieusement fraise, cerise et pomme - que l'on goûte avec un batonnet, sucré lui aussi pour ne rien gâter, ou alors seulement les dents. Je me demande du coup si ce n'est pas le produit miracle qu'ont ingéré Lance Armstrong et Floyd Landis sur le Tour de France, ce truc - auquel cas je suggère que les médecins du Tour s'intéressent davantage à la langue qu'à la vessie des coureurs : moins gênant, et plus efficace au vu de la coloration chimique prononcée et persistante de cette saleté de confiserie amerloque.

Ce n'est d'ailleurs pas tout. Camille, qui fait généreusement partager ses coups de coeur et qui a une passion manifeste pour la gastronomie mexicaine, surtout celle de chez Tacobel, m'a aussi fait découvrir le burito. Ah, le burito, les amis, rien que d'y repenser, je m'étouffe derechef. Mais la pire étouffade, c'était quand même la première, avec le burito lui-même (moi non), le vrai, celui qui est fourré au riz, aux haricots rouges, au poulet grippé avec une petite touche de Chili sauce, de compote d'avocat mauve et aussi une pâte en plastique rafistolée tout autour, des fois que le consommateur trouverait ça trop facile à ingurgiter, même sans le caoutchouc.

La vache. Si le Wonka est à la diététique ce que l'huile de foie de morue est à la gastronomie, alors le burito est à la paix entre les peuples - et en particulier avec le peuple mexicain, qui est quand même vicieux comme peuple pour avoir ne serait-ce qu'imaginé un truc comme le burito -, ce que la Dianétique est à L'Etre et le néant, avec tout de même plus d'accointances avec le néant.

Mais bon, ils étaient peut-être morts de faim, quand ça leur est venu, l'idée du burito, au Mexique.