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30/03/2008

L'art délicat du rond-de-jambe en dehors sous climat continental (2) La question de l'universel

En ouvrant la jolie barrière de fer noir ouvragé du début du siècle dernier, je ne peux que tomber nez-à-nez avec les intrus. Depuis, nous avons réinstallé notre somptueuse chaîne B/O - le modèle Beolab 8000, à utiliser avec le système Beosound 9000 : "une pure icône musicale" souligne la notice publicitaire de l'objet qui ajoute, sobre : "une véritable universalité", ce qui me fait penser qu'il faut que je me tape le dernier François Jullien dont le titre, à lui seul, est un vrai bonheur : "De l'universel, de l'uniforme, du commun et du dialogue des cultures". Encore le titre n'est-il rien à côté de la conversation avec la libraire, une femme qui vient d'un "milieu d'argent" mais qui "croit en l'Etat". Et qui croit aussi que notre civilisation l'emportera sur la chinoise si nous persévérons dans notre être. Ou quelque chose comme ça. Bref, avec ce matos high tech, à l'avenir, en cas d'incident, je pourrais monter perfidement le volume en faisant comme si tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes, en faisant au besoin quelques pas de danse, à défaut de footing, dans le salon. Et puis si l'incident en question sur le trottoir se révèle être un début de catastrophe nucléaire ou quelque chose dans le genre, tant pis, ce sera comme une ultime élégance, vaine et magnifique, qui s'évanouira dans l'azur. De toutes façons, entre mourir carbonisé direct dans le salon ou courir se cacher à la cave, y a pas à tortiller : il vaut encore mieux prendre l'option de la mort instantanée dans le salon.

Mais là, dans ma tenue de jogging préférée au milieu des passants sur ce trottoir verglacé, je ne peux pas me retrancher dans le salon et monter le son. - Que se passe-t-il donc ? lancè-je à l'homosexuelle assemblée. Et là, j'apprends un truc absolument incroyable : Richard - Richie pour les intimes -, mon voisin d'en-face, s'est lamentablement vautré sur le verglas en sortant de chez lui la veille et montre à qui veut bien s'arrêter sur le trottoir le haut de sa fesse droite marquée d'une large brûlure rougeâtre. Je vois bien en même temps que les deux autres commencent à profiter de mon arrivée pour filer en douce. Ils ont raison : mais qu'est-ce qui lui prend-il donc au Richard, il le voit pas peut-être que c'est pas très joli-joli à voir sa blessure de guerre ? Bref, il faut agir vite. Je commence à trottiner en direction du parc pour empêcher Richie, à la recherche d'un relais de conversation de trottoir, de me coller deux plombes avec son histoire passionnante.

Au début, je l'aimais bien, Richie. Aujourd'hui encore aussi, d'ailleurs, mais différemment, disons à distance respectueuse. Avant je discutais volontiers avec lui, en le croisant l'après-midi. Jusqu'à ce que je comprenne que ces élans de jovialité, sur le coup de cinq-six heures, ne soient généralement que la conséquence de la beuverie en règle de l'après-midi. Ses hésitations ou sa lenteur, que je mettais sur le compte d'une sorte de réserve, ont fini par apparaître pour ce qu'elles sont : une lourdeur de poivrot. La difficulté, c'est de faire la synthèse entre ce Richard-là, le plus souvent rond comme une queue de pelle, et celui qui, plus jeune, formé au ballet d'Akron, était un danseur passionné qui fit même de nombreuses tournées en Europe, à Londres, à Nice, et j'en passe. Pourtant, quand il me parle de la France maintenant, ce n'est plus que pour louer les bouteilles fameuses de la Côte de nuit, le reste j'ai l'impression, il s'en fout un peu.

Ah, elle est belle la danse américaine. Il n'a quand même pas pu s'empêcher de s'assurer que, moi aussi, je pouvais pratiquer le verglas en tutu avec lui dans un duo magnifique un soir de blizzard. L'autre soir, alors que l'on s'apprêtait à monter en voiture pour aller dîner, il nous salue, échange quelques mots avec nous en contournant sa vieille mercedes (mais bien pourrie comme mercedes, avec un grandiose bruit de ferraille qui terrorise tous les écureuils du quartier, pauvres bêtes) et, pile au moment où on réussit à le lâcher, patatras ! re-rond comme une queue de pelle, il se re-vautre sur son verglas préféré dans un sublime dérapage, juste avant le passage piéton. Danse avec les clous. Et qui c'est qui s'y colle, pour le relever ? En tout cas, j'aurai essayé, en l'attrapant sous les bras, mais ça a marché moyen, il a fallu qu'il y mette du sien, Richard du Déclin. Misère. Richie, je t'en conjure, si toi aussi, comme le voisin du 600 et quelque, tu as repéré ce blog et que tu te souviens comment fonctionne ton traducteur Google, ressaisis-toi : (re)lève-toi et (ne rate plus la) marche.