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10/04/2007

Agence nationale Pour l'Expatriation (2) Pour une poignée de dollars

Numéro 20 ? numéro 20 ?! numéro 21 ?... J'étais tellement absorbé dans mes pensées que j'ai failli me faire doubler sur le fil de ma nouvelle vie. Je pensais à la réplique de Jean-Claude Van Damme dans Chasse à l'homme. Après avoir criblé de balles un malfrat (qui l'avait bien cherché, il faut bien le reconnaître, un vrai sale type comme dirait Régine), il se penche vers lui et lui souffle à l'oreille : "Désolé pour ta chemise, mon vieux". Sacré Jean-Claude. C'est comme ça, tous les trucs débiles, je m'en souviens. C'est comme les refrains de midinettes que je chantonnais à longueur de journée au Quai (par exemple : "Quand vient la fin de l'étéééé sur la plaaa-geuh..."), en rédigeant des notes sur les dernières facéties de la junte, en Birmanie, entre deux coups de fil de la troisième secrétaire de l'Ambassade - une tueuse. A la fin, ma binôme, une mélomane en plus, elle n'en pouvait plus. Moi, avec la junte birmane, pareil.

Identifiant s'il vous plaît ? - euh, numéro 20 - non, l'identifiant ! - euh... Ça commence mal cette affaire. Voyons voir : badge de cantine ? date de naissance ? numéro de carte bleue... non ? Faut pas me faire des trucs comme ça, madame, je suis quand même fragile, moi, comme nouveau chômeur. Je sens bien qu'au fond d'elle-même, elle n'est pas méchante d'ailleurs, cette femme. Parfois même, quand on la fait rire, un sourire passe, imperceptible, sur son visage marqué. Puis elle reprend vite son rôle, sinon on sent bien que ça ferait craquer tout l'édifice, qu'elle enverrait tout valdinguer - ce système tout gris, et son mari avec. Peut-être bien qu'elle m'immolerait par le feu dans la foulée, on ne sait pas ce qui peut passer par la tête des gens, dans ces moments-là.

Prudence.

S'ensuit une investigation minutieuse à l'issue de laquelle le verdict tombe. Il y a une bonne et une mauvaise nouvelle. La bonne, c'est que j'ai 100 % des pièces demandées. La mauvaise, que j'ai 0 % de celles qui ne m'avaient pas été demandées. Et qui sont pourtant indispensables. Il faudra renvoyer tout ça vite fait, sinon je n'aurai pas le temps d'entrer dans les listes que j'en serai déjà sorti. On peut dire ce qu'on veut, ils sont quand même super rapides aux Assedic, on le voit bien sur le terrain.

Ce n'est pas terminé. Je dois aussi passer voir mon conseiller ANPE pour l'emploi, en face. C'est quelqu'un qui va m'aider, à qui je pourrais me confier, et qui me proposera des premières pistes de job. Là, j'ai un moment de flottement compte tenu de ce qui avait été convenu au téléphone, sur l'anticipation de mon départ. Manifestement, il faut quand même faire semblant, la machine ne pourrait sans doute pas tolérer cet écart de procédure. Elle vient de photocopier le contrat de ma compagne, je viens de lui réexpliquer la situation. " Ah, ben elle va être belle la vie là-bas!" Bon. Je fais donc comme si c'était une idée très positive de l'ANPE. Mais je redoute le pire. Qui n'est jamais sûr. Comme quand on roule à 150 km/h en freînant à dix mètres du mur. Il y a toujours un espoir, si Spiderman passe par là, en revenant de la boum de Sophie Marceau, le soir de l'élection de Bayrou.

De fait, avec mon nouveau coach, j'entre dans une nouvelle dimension. D'abord, mon rendez-vous tombe mal : c'est l'heure du déjeuner. Au signe qu'il me fait d'entrer, je comprends qu'il va me tolérer à titre exceptionnel, mon conseiller spécial, mais c'est vraiment parce que, comme ça, soudain, il m'aime bien. Il ne va pas falloir que je me la ramène de trop non plus.

Même si ça part sur une base amicale forte, à l'évidence, tous les deux.

- Quelle est votre profession, monsieur ? directeur de la communication. Il cherche. Désolé, mais on n'a pas de code pour cette profession. Ah ? eh bien, je ne sais pas moi, on pourrait peut-être regarder à boulanger, garagiste. Ou proxénète ? non non, je plaisante, je ne mange pas de ce pain-là - pour boulanger ou pour proxénète, précisez s'il vous plaît, ce n'est pas le même code - on ne va pas y arriver là : les deux, tenez, mettez chargé de communication voir... Quelques instants de tapotage de clavier. Ah, votre bassin est en tension monsieur (je suis tombé sur le seul rebouteux de toute l'ANPE d'Ile-de-France) Il y a beaucoup d'offres, et dans votre branche, et dans votre secteur géographique (je savais que j'étais né sous une bonne étoile) : nous allons les examiner une par une, si vous voulez bien. Super, très bonne idée que je fais, assertif.

A-t-il senti un brin d'ironie ? A moins qu'il n'ait percé à jour le flottement de mon business plan et préféré m'orienter, sagement, vers un vrai métier ? Ils ont l'oeil ces gars-là, c'est le métier qui parle, parce que des gugusses comme moi qui se prétendent charcutiers en chef, ils en voient passer quelques uns par ici, on ne la leur fait plus. Suit donc un inventaire remarquablement bien ciblé : hôtesse d'accueil, responsable fichiers, sous-traitant de l'assistant d'un webmaster d'une start up d'une personne en projet (mais en fort développement), coursier dans une agence de communication... On en passe au moins une trentaine d'opportunités, comme ça, en revue : c'est vrai que c'est beaucoup, mais ça montre bien la tension dans mon bassin. Une fois sur trois, le salaire horaire oscille entre 6,1 et 8,03 euros de l'heure.

Un petit coup de mou. Je le sens mal, d'un coup, mon nouveau challenge avec l'ANPE.

Mais bon, je vois bien qu'il débute dans le métier, il veut bien faire, il sent, malgré ma bonne volonté évidente, un problème d'appropriation, il cherche à comprendre pourquoi je n'adhère pas à la nouvelle démarche active de l'agence. Je fais donc pédagogique : ce sont tout de même des fonctions très spécialisées, ces offres, je ne suis pas sûr d'être à la hauteur non plus. C'est comme pour cette histoire de poulets, dans le Kentucky. - Ah, mais si le poulet vous intéresse, monsieur, j'ai là un très beau job de manager chez Kentucky Fried Chicken justement, un métier de relation, pour ne pas dire de communication - ça vous dit ? (...) C'est vrai que c'est tentant, mais je vais quand même réfléchir un peu. Tant pis si, par maheur, le boulot me passait sous le nez.
En même temps, si ça continue comme ça, je peux peut-être aussi faire dans la tarte, remarquez. Après tout, il y a un important besoin de tartes dans le monde, aussi.

La conclusion finit par s'imposer : il faut organiser un rendez-vous avec un conseiller encore plus spécialisé. Même si c'est quand même difficile à imaginer. Comme il faut choisir un créneau tout de suite et que je n'ai pas mon agenda, réflexe magique, j'appelle mon assistante pour trouver ledit créneau en quelques secondes, sans me rendre compte de ce que je suis en train de faire. Je raccroche. Et là le type me fait :

- Mais, vous travaillez encore en ce moment ?

Un éléphant rose passe dans la pièce avec de petites ailes - très mignonnes d'ailleurs, les petites ailes. C'est sûr, ça fait désordre. Alors, je recommence mon explication et là, ouf, je sens bien qu'il fait comme s'il n'avait rien entendu, il s'en bat les orteils de mes circonvolutions, mon conseiller spécial. En bon coach, il est centré sur le résultat, c'est un homme d'action, ce qu'il lui faut, c'est inscrire un autre rendez-vous sur l'agenda de son collègue expert, et un code dans la case. Et on finit par en mettre un, de code, dans la case : pilote de ligne, hôtesse de l'air, charcutier, président du conseil constitutionnel - on s'en contrefout. Ce qui compte, c'est le code. Le pire, c'est qu'il finit par entrer un code erroné, que je me permets de rectifier - on ne sait jamais, des fois qu'ils me convoquent demain matin chez Olida. Ou à la brigade des moeurs de Courchevel. D'ailleurs, d'instinct, il sent bien qu'on ne peut pas avoir confiance dans un type qui fait de la communication.

Allez lui en vouloir.

Agence nationale Pour l'Expatriation (1) On achève bien les poulets

La première démarche du candidat à la création d'entreprise, c'est... l'inscription à l'ANPE et aux Assedic réunis. Evidemment, dans le genre conquête de nouveaux marchés, ça calme. En fait, il s'agit d'une démarche liée à ma démission pour motif familial, qui peut s'avérer utile pour activer si nécessaire des droits à indemnisation au retour, mais qui vient quand même se télescoper avec mes démarches actuelles pour créer une société en France, avant mon départ aux US.

Démarche préalable qui semble en effet plus pratique à effectuer ici, compte tenu des conditions très restrictives mises à la création d'une entreprise par un résident étranger aux Etats-Unis en tant que Treaty investor (tant pis pour l'avis de l'avocate américaine, qui considère manifestement que le dossier est clos). Sauf si on veut créer une usine de fabrication de poulets dans le Kentucky, ou une unité taxidermique pour centenaires en Floride avec 854 emplois à la clé - pistes sur lesquelles j'hésite encore un peu vu que dans ma prochaine formation marketing, il n'y a pas l'option poulets par exemple, ce qui est un oubli bête compte tenu du besoin de poulets dans le monde. Et puis bon, gérer comme ça 854 employés spécialisés dans le découpage du poulet, ou du centenaire, honnêtement, je ne sais pas si j'y arriverais. C'est quand même un sacré challenge de gérer en même temps les employés et les poulets.

Et moi, pendant ce temps-là, je me tape un article de Guelfand intitulé : "La transdiciplinarité en acte" qui permet d'éviter le piège quantophrénique magistralement identifié par Gilbert Durand dans le décryptage du discours consommateur à travers la méthode dite de l'analyse projective. C'est bien gentil ces conneries, mais heureusement qu'il y en a une qui bosse à la maison parce que, à ce stade, je ne vois pas bien qui à qui je vais pouvoir la vendre moi, l'analyse projective, sur le marché de Short North entre le boulanger et le fleuriste. Ça va faire exotique, ils vont se dire "les français, quelle bande de taches tout de même... " Mais pardon, c'est quand même pas tous les Français qui connaissent l'analyse projective. En plus, Guelfand, il ne m'a jamais payé les études que j'avais faites pour lui, il y a une vingtaine d'années, sur le shampoing Dove pour la maman et pour le bébé. C'était une sorte de CPE en plus performant : on n'était pas sûr d'être embauché, mais on n'était pas sûr d'être payé non plus. La grande époque.

Une heure d'attente par rapport au rendez-vous fixé. Honnêtement, je trouve ça raisonnable. D'autant plus qu'ils n'avaient pas noté le rendez-vous pourtant convenu au téléphone aux Assedic, ce qui aurait pu me valoir de revenir une prochaine fois - situation qui, vis-à-vis de l'administration en général, me met dans un état de transe intérieure. Il faudra quand même que j'aille en parler aux Adventistes du Septième Jour à Columbus, c'est pas normal : on ne perd pas la foi dans l'intêret général comme ça. Mais là, rien du tout, je me sens au contraire extraordinairement détendu comme si, je ne sais pas moi, je me préparais à un week-end de deux ans, une sorte de RTT thermonucléarisée dont personne ne maîtriserait plus le reporting. Je ne dis pas que ça détend tout à fait sur le plan de l'employabilité, en imaginant par exemple la réponse à faire au type qui me demandera bien un jour : "bon, c'est bien gentil tout ça, mais vous avez fait quoi là-bas, au juste ? en insistant bien sur le "au juste " dans le cas où je me serais contenté d'écrire à côté de mon boulot de psychologue pour chiens - ou alors il faudra surtout insister sur le côté psychologie. Mais enfin, dans l'immédiat, ça s'apparenterait plutôt à une apesanteur cotonneuse en situation de vol interstellaire.

Je les trouve gentilles, au reste, les hôtesses de l'ANPE, assez humaines même, elles ont dû faire un stage sur un thème du genre : "de l'usager au client" ou "de l'administration des situations à l'accompagnement des projets" comme dans les hôpitaux pour les malades en phase terminale. Et puis sexy en plus, il faut le dire, c'est étonnant, au début, j'ai même crû que j'étais entré par mégarde dans un bar à filles : cuissardes pour l'une, jean fleuri pour l'autre, petits hauts ravissants. On voit bien que ça bouge, l'emploi, en France. A moins que ça ne soit conçu pour détourner l'attention. Un peu comme si le gouvernement s'entendait avec Laure Sainclair et Zara Whites pour nous persuader qu'en réalité il ne faut pas compter 4,4 millions mais seulement 2,1 millions de chômeurs. Ah ah ah. Mais non, ça ne ferait rire personne. Et puis ce serait tout de même très machiavélique comme technique de communication.