30/08/2007
On achève bien les ados (la compassion de Laura Cole)
Après une intense journée de travail sur trois ou quatre sujets en même temps, compliquée par surcroît de nouveaux dêmélés administratifs, je m'apprêtais, comme souvent, à aller courir aux environs de sept heures sur Schiller Park. J'étais quasiment prêt quand, soudain, on sonne. Je m'en vais ouvrir de bonne grâce, bien que la pulsion de la petite foulée en fin de journée ait quelque chose de relativement irrépressible.
En fait, et contrairement à mes footings océaniens, le soir venu, au long des cocoteraies - qui, oui, parfois me manquent -, ces sorties-là sont l'occasion le plus souvent d'un moment d'isolement, de recentrage, de concentration particulier, voire de chautauqua, cette sorte de déambulation mentale que l'on déroule comme un fil, aurait dit Pirsig dans son Traité du zen et de l'entretien des motocyclettes. Un nouveau couple d'Adventistes du Septième jour peut-être ? A moins qu'il ne s'agisse de fervents adeptes de l'Eglise de Zion, ou de David Beckham passé me saluer en ami ? - Sacré David.
En fait, non. Quand Laura Cole s'est présentée sur le pas de ma porte, j'ai d'abord crû à une sorte de psychologue, ou d'assistante sociale, venue me réconforter après l'agression de l'autre jour. Il faut dire qu'elle s'est tout de suite enquise de ma santé avec un sens de la compassion que, dans ma tenue de jogging, bouche bée, là, comme ça, au-dessus des marches, j'ai trouvé vraiment charmant. Mais si la compassion est l'un des grands ressorts de ce monde, las ! Rien n'est gratuit... La fourbe était en fait une envoyée spéciale de CBS venue tout spécialement m'interviewer sur les lieux du délit.
Il s'agissait de boucler un sujet pour le journal du soir sur Channel 10 consacré à la recrudescence de la criminalité au sud de Columbus. Pensez donc : on dénombre 28 agressions au cours des trois dernières semaines. Heureusement que je ne les ai pas rencontrés à chaque fois, ces types, ça m'aurait lassé. Une fois ça va, ce serait presque même divertissant, mais vingt-huit là, 1,333 par jour, non merci. Ou alors on en profite pour travailler vraiment le sujet, on pimente les dialogues, on met du rythme, et on finit par mettre sur pied un truc hollywoodien... Bon, ok, je veux bien me faire interviewer, mais pas en short. Ni devant le numéro de la maison. D'ailleurs, l'agression ayant eu lieu dans la rue d'à-côté, il suffira de faire deux pas pour tourner le sujet.
Me voilà donc ressorti deux minutes plus tard tout fringant - point trop non plus, pour garder un petit côté cowboy, voire boxeur, à mon avis indispensable aussi bien à la reconstitution de la scène qu'au message que je m'apprête à délivrer à l'Amérique profonde. Au milieu de Columbus Street, le caméraman m'équipe d'un micro et teste la lumière pendant qu'on commence à bavarder avec ma nouvelle amie journaliste. De fil en aiguille, je déroule le récit (que je vais d'ailleurs bientôt pouvoir raconter en chinois en faisant le poirier si ça continue). Je prends même du recul à sa demande pour reprendre mon arrivée dans la rue et la scène du choc des civilisations au milieu de la route.
Il y avait deux options possibles. La première : noircir le tableau à mort, en faire un thriller auquel j'aurais échappé de justesse, encore sous le choc face aux caméras. La seconde : en faire un récit plus distancié, dédramatisé, presque léger. La télévision américaine aurait naturellement préféré la première, histoire de continuer à mettre le feu aux poudres - on connaît l'histoire du ressort de la peur depuis le film de Moore. Mais je ne tiens pas particulièrement à ce que les trois types de vingt ans finissent lynchés au coin de Reynoldsburg.
Ou en prennent pour cent cinquante ans de prison. Je ne plaisante pas : il y a deux ans, pour mettre fin à une série de cambriolages, faire un exemple et sanctuariser ce quartier chic, c'est ce qu'ils ont collé à une autre bande de trois types, vers Jaeger. Entendons-nous : cent cinquante, ce n'était pas le total, mais la peine de chacun. Sentence de pierre, silence de mort. Franchement, quand j'y pense, ça me rend fou. A lui seul, ce fait-là pourrait ruiner définitivement toute espèce de sympathie à l'égard de l'Amérique. Et me faire ouvrir une cellule trotzkiste au beau milieu de Third Street, juste pour voir. Et aussi pour mettre un peu le souk, comme à la belle époque. On ne devrait jamais trop s'éloigner de son adolescence.
En attendant, je calme à nouveau le jeu entre les poubelles, le lampadaire, la caméra et la chaussée de Columbus Street. A la question de savoir si j'ai été effrayé, je lui réponds tranquillement que non, que ça va trop vite et qu'à proprement parler, on n'a pas le temps. La seule chose, c'est de rester concentré sur le flingue parce que ça peut partir n'importe comment (encore qu'en y repensant, c'était tout de même peu probable) et de la jouer cool en essayant de calmer le jeu. Que feriez-vous si c'était à refaire ? Une amie ici avait suggéré de parler tout de suite en français. Pas bête, ça surprend, ça complique, ça peut dérouter. Pas bête, mais pas sûr du tout non plus : a priori, l'objectif n'était pas de bavarder. Bref, je crois bien que j'aurais fait la même chose, en fait.
Tout cela finit par passer quelque part pour l'édition de 23h00. Pas grand chose à dire sur le sujet. Ça le fait plutôt bien. C'est un métier. Et puis, si j'ai déjà, dans une autre vie, fait des sujets (des interviews radio en l'occurence) avec Melbourne, Hong-Kong ou Singapour, je n'avais encore rien réalisé en direct avec la télé américaine. D'ailleurs, je confesse avoir accepté l'interview, non pas seulement par jeu, mais aussi pour des raisons professionnelles, pour vérifier : mais rien de plus universel qu'un sujet d'actu pour la télé, en fait.
Ce qui me frappe le plus, c'est que j'ai l'air désinvolte au début, magnanime à la fin, et qu'au milieu, je trouve le moyen de partir d'un grand éclat de rire en reconstituant la scène. Et ils retiennent la prise, en plus. De deux choses l'une : ou bien j'ai en effet été traumatisé et c'est un rire nerveux ; ou bien c'est vraiment à désespérer, à certains moments, de mon manque d'esprit de sérieux. C'est comme si les choses étaient à la fois très graves et infiniment drôles, sans que je parvienne très bien à choisir, vous comprenez ?
Au moins avec une balle entre les deux yeux, ç'aurait été moins équivoque comme reportage vu que des cadavres qui font les malins par ici, depuis la conquête de l'Ouest, il n'y en a tout de même pas des masses.
23:51 Publié dans Jours tranquilles à German Village | Tags : médias, etats-unis, violence, prison, channel 10, cbs | Lien permanent | Commentaires (0)
24/08/2007
Variations sur une rencontre (2) Sobre
L'autre soir, on dîne sur la terrasse. Puis il se met à pleuvoir à verse et j'en profite pour aller faire quelques pas sous la pluie.
Sur ce, il y a trois types qui me demandent de l'argent dans la rue d'à-côté, avant de passer leur chemin.
A peine eu le temps de bavarder.
Il faut dire qu'ici, le temps, c'est de l'argent. Ce n'est pas comme en Ardèche, me disait l'autre soir encore, un policier du coin.
23:45 Publié dans Variations sur une rencontre | Tags : argent, rencontre, vie quotidienne | Lien permanent | Commentaires (1)
12/08/2007
Réchauffement : quand les Poutéouatamis s'y mettent (et les Quicapoux avec)
Ah, ça ! Ça nous pendait au nez depuis un moment. On le sentait venir, ces dernières semaines. Et puis revoir An Inconvenient Truth n'a pas dû arranger l'affaire : sacré Al, toujours le maux pour rire. Sauf que ça a tout de même dû énerver, là-haut, déchaîner les foudres des esprits Poutéouatamis. Peut-être bien aussi ceux de leurs cousins Quicapoux par la même occasion. Il suffit que ça tombe pendant une réunion de famille ces trucs-là et ça a vite fait de dégénérer. Ça crée un effet de surenchère, c'est comme pendant les campagnes électorales. Il y a les Poutéouatamis (qui s'ennuient toujours un peu, le dimanche) qui se disent :"Tiens, et si on montait un peu le radiateur en bas, pour rigoler un peu ?". Et les Quicapoux, qui ne veulent jamais être en reste d'une connerie (ce que je peux comprendre, ce n'est pas la question), qui rajoutent : "Ouais, pas mal. Et nous, si on faisait macérer la serre, pour voir?".
C'est tout vu, les gars. Des températures comprises entre 90 et 100° (Fahrenheit, tout de même) sur l'ensemble du territoire américain, et l'indice d'hygrométrie qui oscille entre 100 et 110-115 (il s'agit sans doute de l'indice humidex, toujours en Fahrenheit, sachant qu'à partir de 90, on entre dans une zone de malaise généralisé, et qu'au-delà commence une zone de risque qui rend les activités sportives dangereuses et les coups de chaleur probables). Même en Nouvelle-Calédonie, je n'ai pas souvenir d'avoir connu de telles chaleurs, en tout cas pas avec des taux d'humidité pareils. Ou alors peut-être au moment des alertes cycloniques, juste avant l'arrivée de la tempête, au-dessous de l'oeil du cyplope, quand plus un souffle de vent ne passe et qu'une chaleur poisseuse écrase et liquéfie soudain tout. A la télévision, CNN et Fox News multiplient les recommandations de prudence et suggèrent de ne sortir qu'en cas de nécessité.
Oh, je sais bien que la plupart d'entre nous réfute spontanément l'idée selon laquelle ni les Poutéouatamis, ni les Quicapoux n'y seraient pour quelque chose. Ah ah ah ! Grossière erreur, les amis. C'est à tort que nous nous persévérons dans nos schémas scientifico-laïques étriqués, alors qu'il serait encore temps de se convertir à l'Esprit Qui Souffle Sur La Grande Plaine (Et Qui Rafraîchit l'Atmosphère Par La Même Occasion). C'est pourtant évident. En tout cas, vu d'ici, à la limite de la Bible Belt - qui passe un peu plus bas, à Portsmouth, le repaire du regretté révérend Farewell, et qui se prolonge bien plus au sud, vers Atlanta -, c'est évident. Manifestement, on a fait une grosse connerie quelque part. Il y en a un, peut-être même une bande, qui s'en est aperçu, mais qui n'a pas voulu s'en vanter.
Résultat : tout le monde en slip, au coin. Comme à la maternelle, quand j'ai voulu faire une fugue (ma deuxième), en 1971 je crois. Franchement, c'est pas très brillant comme méthode pédagogique. Il y en a une à l'époque qui a dû sécher le module : "L'enfant apprend-il vraiment mieux en slip ?" de son cursus de sciences de l'éducation. Parce que la réponse est non. Ou alors c'est la chienlit, comme en 68. Ah ben, dans ce cas-là, d'accord. Et hop ! Tout le monde retire son slip ! D'accord, mais à ce moment-là, personne ne te demande de dessiner en même temps ta famille, de colorier ta maison ou de raconter tes vacances. Non, tu es libre de tes mouvements et, dans une certaine mesure, sur un plan plus ontologico-érotique, tu assumes même ton être-dans-le-slip-avec-autrui. Bref, premiers ou derniers au caté ? - "M'en fous", disent les Poutéouacapoux, toujours un peu rigides : tout le monde, peut-être pas en slip mais en tout cas dans la serre. Après, vous ferez ce que vous voulez, pour le slip.
Ici commence donc la phase terminale du réchauffement climatique, la dernière vague de chaleur de l'Humanité. On entend même le cataclop-cataclop des cavaliers de l'Apocalypse, le soir, dans les westerns à la télé. Ça fait quand même beaucoup de signes convergents tout ça. Quand je pense que nous, on n'a rien trouvé de mieux à faire qu'à venir se fourrer au beau milieu de la fournaise. On aurait pu, je ne sais pas moi, se donner le temps de la réflexion, protéger nos arrières, ouvrir un poulet ou égorger un mouton avant de partir. Mais non. Même pas l'ombre d'une danse de la pluie. Si encore j'avais gardé un lagon à portée de main. Le seul truc où on peut se baigner à la rigueur ici, à moins d'une demi-heure, c'est Alum Creek. Et Alum Creek, soyons clair, ce n'est ni Wolfeboro, ni Santa Monica. On a essayé une fois. On a crû à un casting pour Délivrance. Un grand souvenir, Alum Creek.
Il doit pourtant bien y avoir une raison à tout ça. Après tout, je me suis toujours senti un peu prophète. Et comme c'est moins facile, et parfois même nul, dans ton pays, du coup, tu te rattrappes à l'étranger où - et ça tombe bien - les gens saisissent un peu moins bien la subtilité de ta pensée, tout en acquiescant poliment à tes propos, ce qui renforce le gourou qui sommeille en toi. Rien ne m'arrête donc dès qu'il s'agit de pontifier souverainement, encore que je me sois un peu calmé ces dernières années. Mais alors, ce serait donc ça le sens de ma présence ici, en plein dans les braises : annoncer la fin du monde ?
Tout s'expliquerait alors. Notamment l'épisode du slip et aussi certains moments de flottement au cours de ces derniers mois. C'était donc ça : une épreuve. Comme Saint-Jérôme, ou de Gaulle entre 47 et 53 : dans le désert. Et ce blog alors, ce serait comme qui dirait l'Arche de Noé de la connerie. Pour qu'on se souvienne, un peu plus tard, dans les veillées, jusqu'à quelle profondeur, livrés à nous-mêmes, on pouvait atteindre. Le mieux, ce serait encore de persuader le Comité exécutif Poutéouatami de me sauver moi-même pour que je puisse témoigner en direct, faire des soirées à thèmes, une sorte d'inter-villes de la connerie. Il y a plein de trucs à faire. Il faut juste me donner l'opportunité de présenter le projet.
Et dire qu'il m'est arrivé de penser que j'étais abandonné de tous, notamment du responsable commercial de Time Warner et de la chargée de compte à la Huntington. Mais non, c'était calculé. Tout le monde avait dû se passer le mot. Je ne suis pas seul. Joie, joie ! En vérité, je vous l'annonce, tous ceux qui ont pêché, vont brûler. Et dans d'atroces souffrances, en plus. Les autres aussi. Je sais, ce n'était pas prévu comme ça au départ et, compte tenu de ce que certains ont crû pouvoir raconter dans un contexte de concurrence religieuse exacerbée pour l'obtention du module pratique d'inflammation de la foule, ça peut paraître injuste. Mais c'est comme ça : on a vrillé le thermostat et il y en a pas un, ni de Poutéoutami, ni de Quicapoux, qui est capable de remettre le truc d'équerre. Allons ! Il est encore temps de se repentir ! A genoux, frères hum...
Réveil en sursaut. - "Mon pauvre chéri ! Tu as dû attrapper un bon coup de chaleur, on dirait, sur le transat. Et puis, l'agression d'hier, ça n'a pas dû arranger les choses, non plus. Oh la la, ta pauvre tête. Déjà qu'avant... - Euh, tu veux dire que mon boulot de prophète du réchauffement là, c'était un mauvais rêve ? - Pour prophète, ça m'en a tout l'air. Mais pour le réchauffement, ça tournerait plutôt au cauchemar en ce moment par ici".
23:35 Publié dans Du rififi chez les Yankees | Tags : réchauffement climatique, climat, chaleur, An Inconvenient Truth, Wolfeboro, environnement | Lien permanent | Commentaires (2)
11/08/2007
Variations sur une rencontre (1) Interculturel
Ça s'est passé hier soir, après le dîner. Il faisait un peu chaud pour dîner dehors, mais la température et l'humidité avaient tout de même un peu baissé depuis le début de la semaine ; et puis la pause de la fin de journée, dans le jardin, reste un moment privilégié pour nous ; pour les écureuils aussi, d'ailleurs. Au menu : asperges et oeufs mollets, pasta alla siciliana (une délicieuse recette maison), et quelques pêches fraîches parfumées à l'Amaretto pour finir. Je remontai après ça travailler sur un article au bureau. Soudain, le tonnerre se met à gronder. Des éclairs flashent à travers la fenêtre, en direction de l'ouest. La météo confirme le passage de sévères orages pour la nuit.
Moi, l'orage, je n'ai jamais pu résister : il faut que j'aille y voir de plus près. Je mets donc le nez dehors côté jardin, puis j'enfile un ciré, attrappe une paire de sandales en passant (c'est mon côté océanien) et pars faire le tour du pâté de maisons sous une pluie battante. De City Park Avenue, je tourne sur Frankfort Street, passe devant Max and Erma's (qui affiche, ces derniers temps, de nouvelles spécialités mexicaines), longe la laverie puis la cave sur Third Street, qui fait l'angle, et tourne à droite sur Columbus Street pour revenir vers la maison. La pluie est toujours battante. La rue est sombre, éclairée de biais et de loin par les lampadaires des rues avoisinantes.
Je m'y engage franchement. A l'autre bout, j'aperçois trois silhouettes qui avancent, les unes derrière les autres, sur le trottoir d'en-face. J'hésite une fraction de seconde : je ne suis encore qu'au début de la rue. Il peut y avoir un risque, mais je juge rapidement, sans doute un peu trop, qu'il n'y a pas de danger : la démarche n'est pas agressive et le petit groupe, des types d'une vingtaine d'années, semble filer droit sous la pluie. Pourtant, quand j'arrive à leur hauteur, deux des types foncent sur moi. L'un crie : "Give me the money, give me the money !". Je crois à un canular adolescent. Je dirige mon regard vers eux. A ce moment, l'un des membres de la bande, un Noir élancé, encapuchonné dans une sorte de Kway, légèrement de côté par rapport à moi, me donne un coup au visage que je ne vois pas partir.
Je ne distingue pas bien le deuxième, à côté de lui. Par le mouvement qu'elle a fait vers moi, la bande nous a ramené tout près du trottoir. Derrière, il y a le mur, une voiture et, entre les deux, un poteau électrique qui bouche le passage ; il y a un lampadaire au-dessus, mais un arbre au-dessous fait écran. Mon regard s'attache tout de suite à suivre le troisième larron, un Blanc, assez petit, plutôt enrobé. Il se détache de ses copains, me contourne légèrement par la droite et reste à environ trois mètres. Il tient un pistolet à la main. Il paraît nerveux. Il lève et abaisse son arme successivement, donne le sentiment de ne pas savoir quoi faire au juste. A partir de ce moment, je ne les quitte pas yeux, lui et son pistolet, et me place, par rapport à lui, non pas de face mais sur le côté. Au cas où il lui prendrait l'envie de tirer.
Derrière, ça continue : "Give me the money, give me the money !". Pas moyen d'utiliser ces deux-là comme écran, aucun ne vient se placer dans la ligne de tir. Ils ont plutôt l'air d'amateurs, mais cette disposition-là semble avoir été calculée. Un nouveau coup de poing part sur le côté. Je ne sens rien. Les deux coups ont porté, mais en manquant de puissance. Ça fait un peu petites frappes. Je fais un geste d'apaisement, interpose une main vers eux, mais sans répondre à l'agression. Les deux types sur le côté, grands, mais légers et nerveux, sont parfaitement prenables, mais je reste sous la menace de l'arme, complètement à découvert sur la droite, ce qui m'empêche de tenter quoi que ce soit vers mes agresseurs. Je dis que je n'ai pas d'argent. J'insiste. J'ouvre les bras. J'en remets une couche. Je ne suis pas d'ici. On se calme. L'un d'eux me passe rapidement la main sur les poches pour vérifier : rien.
Ils hésitent. Les deux types s'écartent. Le petit gros reste face à moi. Il lève l'arme, la braque sur moi. Un instant, il donne l'impression de me viser le genou. Il remonte vers la tête. Redescend son arme. Je refais signe de mes mains ouvertes vers le sol pour calmer le jeu. Il n'y a rien. Rien à gagner, rien à perdre. Du calme. Il faut en rester là. Mais je n'ai plus la main. Le genou, le ventre, la tête ? Ça peut partir. Ça peut aussi ne pas partir. Tout dépendra de ce qui lui passera par la tête. Ils viennent peut-être de voir ensemble un film de gangs hyper violent, ou de jouer à un jeu video du même genre. Ils sont nerveux. Le gros me regarde, crie encore : "Give me the money !". Il braque à nouveau son arme sur moi.
Puis, tout à coup, il donne le signal du départ : les deux autres détalent à toute allure par où ils sont venus. Il garde son arme dirigée vers moi deux secondes encore peut-être, puis leur emboîte le pas. Le groupe se replie sur City Park Avenue. Je les suis depuis le trottoir opposé jusqu'au carrefour. Ils s'engouffrent dans une voiture garée devant la maison. La voiture démarre, remonte un peu la rue, tourne dans Frankfort Sreet, puis disparaît dans la direction de Pearl puis de High Street.
Je rentre à la maison. Mon entrée dans la salle de bains ne passe pas inaperçue : j'ai été touché légèrement à la lèvre, et à l'arcade, ça a donc pissé un peu le sang. Je bénéfice tout de suite de soins de premier plan : alcool, pommade pour la lèvre, pansements cicatrisants... Un vrai petit hôpital, à la maison. C'est bizarre. Je suis calme. C'est, je pense, l'effet du flingue braqué sur moi : partira, partira pas ? On ne peut que tenter de calmer le jeu et espérer que ça marchera. Mais ça aurait pu ne pas marcher et, de fait : ça calme.
En même temps, je suis en colère : German Village, le quartier, est réputé sûr, mais l'agression a eu lieu dans la rue à côté, et surtout la voiture était garée devant la maison - devant la maison ! La veille, ma compagne était allée faire quelques pas, la nuit tombée, vers Schiller Park en remontant la rue... Je me décide à appeler la police. Il est probable que ces jeunes types ne soient pas dangereux et aient agi sous le coup d'une sorte de défi ; peut-être avaient-ils aussi besoin d'argent. Mais ici, en Amérique, c'est trop dangereux. A cause des armes. Et de la violence sous-jacente. Je ne veux pas qu'on prenne le risque.
Le reste de la soirée se passe donc à expliquer l'affaire à l'agent Rich Kindler, matricule 2187, un petit air irlandais, qui reconnaît que les armes circulent un peu trop facilement dans ce pays, mais qui n'en préfère pas moins l'Ardèche à Paris. Je crois comprendre que c'est à cause du périph.
23:54 Publié dans Variations sur une rencontre | Tags : Sicile, Océanie, Etats-Unis, Africain-Américain, Mexique, Allemagne, France | Lien permanent | Commentaires (4)
03/08/2007
Woodstock, le retour (Community Festival à Columbus)
Après un grand concert de rap qui attira en masse les foules black et hispano downtown, puis un vaste rassemblement d'artistes itinérants au long de la Scioto River sur Front Street, c'était au tour de Goodale Park, un peu plus au nord, dans Victorian Village, de faire l'affiche pour le Short North Community Festival de Columbus. Le temps d'achever un rapide Haus Garten Tour qui, chaque année, ouvre aux visiteurs l'intimité d'une quinzaine de maisons de German Village - un aperçu qui s'est révélé décevant d'intérieurs au style middle class un peu lourd, alourdi encore de commentaires prétentieux, très différents pour tout dire des meilleurs standards de German Village aussi discrets et élégants que leurs voisins se montraient tape-à-l'oeil -, et nous voilà partis pour Short North.
Changement complet de décor : de la visite paisible on passait au raout endiablé et de la déambulation intimiste au vautrage collectif. Le long de Buttles Avenue, puis de Park Street, c'était d'abord un alignement hétéroclite de stands affairés. Beaucoup de babioles, des vêtements bon marché, de la vaisselle exotique, de petits cadres, des objets décoratifs des quatre coins du monde. Mais aussi les inévitables ateliers de tatouage - Welcome to Hell City -, incroyablement populaire auprès des jeunes ici. Au point de faire espérer, pour les plus excessifs d'entre eux (de grands aigles s'étalant par exemple sur les flancs d'un adolescent) qu'il sera possible sans trop de dégâts d'en effacer les effets d'ici quelques années.
Un peu plus loin, une concentration de stands "gastronomiques" faisait alterner jambonneaux et sucreries, pâtes et salades, friandises orientales et spécialités asiatiques tandis que la bière locale, la Budweiser, était servie à la pinte depuis des robinets directement branchés à de gros camions-citernes. S'il est bien une spécialité américaine en toutes circonstances, de la Guerre en Irak au Festival pacifique et du pique-nique à la fête nationale en passant par l'escapade familiale et la promenade du chien, c'est bien la logistique.
Columbus qui, comme toutes les villes honorables du Midwest, a un sens un peu classique des civilités (un footing torse nu, naturel sur les rives du Lac Michigan, frôle le strip tease sur Schiller Park), pour l'occasion, se relâchait un peu. Sur les vastes pelouses du parc, au pied des arbres et des scènes, en bordure de l'étang, le long des stands, partout ce n'était qu'attroupements dépenaillés. Un Africain-Américain à la coiffure rasta portait vaillamment le kilt, les houpes rivalisaient avec les crêtes parmi les bandes de rockers, une jeune femme imposante osait les seins nus, les chiens-mêmes était accoûtrés aux couleurs de l'Etat : chacun s'en donnait à coeur-joie au milieu des concerts.
Point de Crosby, Stills, Nash & Young ou de Joe Cocker de ce côté, pas plus de Jimi Hendrix ou de Janis Joplin ; Santana et les Who restaient portés disparus. A la place, d'honnêtes groupes locaux joliment inspirés et portés par la foule. Un blues emmené avait la faveur du public au centre du parc. Une petite formation, qui rappelait les Doors, rassemblait un public plus jeune et branché en bordure de Goodale Street ; devant la scène, on frôlait la communion, sinon le recueillement. Plus tard, et plus loin, vers Swan Street, une formation de jazz ferait la fermeture entre les buffets garnis et les couples dansant.
En marge des festivités, les messages s'entrechoquaient de toutes parts. Les stands politiques tenaient naturellement le haut du pavé : les libertaires y lançaient les mots d'ordre les plus radicaux, pendant la sieste ; des militants démocrates y faisaient la retape pour John Edwards - une personnalité politique mise à mal par un mauvais coup des Républicains en 2004, mais qui reste populaire et respectée. Et les dianéticiens, tout en jaune (s'étaient-ils dopés ?) scrutaient tout cela avec attention dans l'espoir - qui sait ? - de déceler de nouvelles failles et de faire d'autres adeptes.
Les tatouages identitaires n'étaient pas en reste ; mais le tee-shirt restait un vecteur très prisé, qu'il soit militant - "No planet, no party" -, audacieux - "Great ideas are born here"... Ou plus provocateurs : une drag queen affichant un "I kick hippies" peu amical, ou un tee-shirt drapeau sur un stand qui arborait un "Just in case you forgot how he feels about you" montrant un Bush en plein discours, le majeur malencontreusement relevé. la fin de règle accentue la déroute ; même les hauts fonctionnaires fuient les agences fédérales les uns après les autres.
Bref, tous les moyens étaient bons. C'est qu'au-delà des réjouissances, une fête américaine fournit d'abord une remarquable opportunité de communiquer tous azimuts - et, une fois n'est pas coutume, des idées ici plutôt que des produits. Même les poussettes furent armées pour la circonstance de panneaux contre la Guerre en Irak. Si le pacifisme commence au berceau, la relève promet déjà de faire passer la génération de Woodstock pour une bande d'amateurs.
23:45 Publié dans Du rififi chez les Yankees | Tags : concert, musique, Woodstock, Midwest, Short North Community Festival | Lien permanent | Commentaires (0)